Le dépistage du glaucome

Une affaire d’ophtalmologistes

Publié le 03/02/2010
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Crédit photo : BSIP

PAR LE Dr JACQUES LALOUM*

LA PRÉVALENCE du glaucome est prévalence, en nette augmentation. D’environ 2 % après 40 ans, elle croît de façon importante avec l’âge. Le risque de glaucome primitif à angle ouvert (GPAO) bilatéral est cinq fois plus élevé après 75 ans qu’entre 55 et 75 ans. Le risque de GPAO après 80 ans pourrait atteindre 10 %. Le vieillissement de la population entraînera ainsi mécaniquement une augmentation de 50 % des cas en 2020. Or au moins un patient glaucomateux sur deux n’est pas diagnostiqué, notamment parce que de plus en plus de personnes échappent au circuit médical (un développement de l’optométrie aggraverait ce phénomène).

Les traitements disponibles ont progressé.

Le traitement hypotonisant a désormais fait la preuve de son efficacité. Chez les patients hypertones, il empêche ou retarde la conversion glaucomateuse (étude OHTS). Chez les patients présentant une altération glaucomateuse du champ visuel, il stoppe ou ralentit sa progression (étude EMGT).

Une métaanalyse de 2005 reprenant les études les plus fiables confirme ces deux points essentiels.

Chez les patients présentant un glaucome à pression normale, l’évaluation est en faveur du traitement, une fois opérées les cataractes induites par la chirurgie (étude CNTGS).

Les prostaglandines et les associations fixes, plus efficaces, améliorent le confort et l’observance ; les traitements sans conservateurs préservent l’avenir conjonctival.

La trabéculoplastie sélective a démontré une efficacité comparable à celle au laser argon, mais avec des effets secondaires mineurs. Elle peut ainsi prétendre au deuxième, voire au premier rang, de l’algorithme thérapeutique.

Les inconvénients liés aux traitements de première intention, présentés par une étude américaine (Fleming et al 2005) comme un argument contre le dépistage, ont donc été réduits.

Evolution des tests de dépistage.

Variabilité, longueur ou difficulté d’interprétation rendaient les tests peu pertinents ; de nouveaux tests plus efficaces sont apparus.

De nouvelles techniques de périmétrie (FDT, très rapide) permettent une détection précoce d’altérations.

Les analyseurs de fibres visuelles sont très rapides et permettent une détection quantitative d’altérations précoces.

Une étude longitudinale a démontré la valeur prédictive de l’ophtalmoscopie confocale (HRT).

La pachymétrie enfin, précise le facteur de risque majeur qu’est une cornée mince, au-delà de l’erreur qu’elle entraîne sur la mesure de la pression intra-oculaire (PIO).

Le couplage de plusieurs examens très rapides et indépendants prend un intérêt déterminant : il permet d’améliorer la « courbe ROC » (augmenter la sensibilité, à spécificité égale, ou l’inverse).

La prise précoce de points de repère grâce à des examens quantitatifs, d’une part, poserait les jalons d’un dépistage en deux temps et, d’autre part, permettrait d’identifier ensuite les formes sévères qui nécessitent un traitement d’emblée agressif.

Malgré tous ces arguments, le dépistage de masse n’est peut-être pas la première étape à envisager, pour plusieurs raisons.

Un patient traité pour un glaucome sur deux n’est pas glaucomateux. Or le premier inconvénient d’un dépistage de masse est le surdiagnostic, responsable d’un traitement abusif de patients indemnes. Ce surdiagnostic entraîne pour la société des dépenses inutiles et pour le patient une baisse de la qualité de vie sans contrepartie.

Les patients diagnostiqués quittent dans une proportion surprenante le parcours de soins : les y remettre semble un enjeu prioritaire.

Une distinction nosologique fondamentale se fait peu à peu jour pour les GPAO : les progresseurs lents, qui ne connaîtront pas de gêne visuelle ; les progresseurs rapides, dont la menace visuelle justifie un effort de dépistage bien supérieur. S’il ignore cette distinction, le dépistage de masse poursuit deux objectifs trop éloignés.

Une histoire de famille.

Un dépistage concentré sur une population à prévalence élevée, donc de rendement bien meilleur, serait en revanche facilement réalisable, grâce au couplage des nouveaux tests. S’appuyant sur l’individualisation actualisée des facteurs de risque, il pourrait concerner en particulier les patients d’origine africaine, chez lesquels le début du GPAO est très précoce, et surtout les familles de sujets glaucomateux.

L’interrogatoire des patients montre que les patients ignorent généralement l’existence d’une atteinte dans leur famille, sans doute en raison d’une réticence des patients glaucomateux à parler de leur affection.

Le dépistage des seules familles de sujets glaucomateux permettrait d’identifier la moitié des sujets non diagnostiqués. Sa mise en œuvre partielle a commencé aux Etats-Unis. Ce dépistage nécessite d’abord de convaincre les patients glaucomateux que l’information de leur famille (fratrie) est un enjeu crucial. La mise en œuvre de cette pédagogie nous appartient.

Le glaucome par fermeture primitive de l’angle (GFPA) enfin, bien que dix fois moins fréquent que le GPAO, présente deux particularités en faveur du dépistage : un pronostic sévère et la faculté d’être dans la majorité des cas définitivement prévenu par une simple iridotomie.

Le dépistage des populations à risque (hypermétropie, familles des sujets atteints ou à risque) pourrait être facilité par l’OCT du segment antérieur.

Le dépistage disponible aujourd’hui, c’est l’examen de routine du patient qui consulte pour une presbytie.

Parce qu’un patient présentant un GPAO à pression élevée sur deux présente un PIO normale le jour de l’examen. Parce que l’examen des papilles se fait en stéréoscopie, et en tenant compte de leur taille. Parce que la profondeur de la chambre antérieure en périphérie doit être systématiquement mesurée, avec contrôle gonioscopique au moindre doute, voire une OCT du SA et/ou une UBM. Parce qu’un doute diagnostique n’est pas rare, qui impose de prendre des points de référence campimétriques et éventuellement structurels (OCT, HRT, GDx) pour vérifier l’absence progression. Le dépistage du glaucome ne peut reposer que sur l’ophtalmologiste.

C’est dire que la prescription des verres correcteurs par l’ophtalmologiste est, dans l’immense majorité des cas, l’unique chance pour le patient d’être diagnostiqué.

*Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild, service du Dr Caputo (Paris) et Centre ophtalmologique du Trocadéro, Paris.

Le Quotidien du Mdecin

Source : Bilan spécialistes