PAR LE Dr JACQUES LALOUM*
LE CHIFFRE MAGIQUE de 21 pour définir l’hypertonie est issu d’une étude de Leydecker qui a mesuré la pression intraoculaire (PIO) de 20 000 yeux au tonomètre de Schiotz. Une PIO > à 21 mmHg a été retenue comme limite de la normalité car elle isolait les 2,5 % de patients présentant le chiffre le plus élevé. Non seulement cette valeur est purement statistique, mais elle repose sur l’hypothèse d’une loi de distribution gaussienne de la PIO, qui s’est révélée fausse.
La découverte d’une hypertonie oculaire commande une triple démarche.
• Premièrement, vérifier qu’il s’agit bien d’une hypertonie à angle ouvert primitive isolée par :
– la réalité de l’hypertonie oculaire (HTO) contrôlée au Goldmann en tenant compte de la pachymétrie ;
– l’absence de risque de fermeture appréciée par la mesure de la profondeur de la chambre antérieure en périphérie (signe de Van Herick) et vérifiée par la gonioscopie pratiquée dans une quasi obscurité pour rechercher une apposition irido-trabéculaire ;
– l’absence de cause d’hypertonie secondaire (syndrome de dispersion pigmentaire, sydrome exfoliatif, uvéite à bas bruit, auto-médication par corticothérapie locale, récession de l’angle post-traumatique, etc.) ;
– l’absence d’atteinte glaucomateuse.
L’examen stéréoscopique de la tête du nerf optique apprécie l’excavation en tenant compte de la taille du disque et vérifie le respect de la règle de l’ISNT.
La rétinophotographie recherche un déficit des fibres visuelles et une hémorragie de la margelle qui passe souvent inaperçue à l’examen direct.
L’examen du champ visuel standard recherche des anomalies confirmées sur plusieurs examens par divers tests très spécialisés avec certains appareils et analyseurs recherchant des déficits souvent discrets mais évocateurs.
À l’issue de ce bilan, soit il existe des anomalies, même très discrètes, mais confirmées, et surtout corrélées, qui font suspecter un glaucome, soit l’hypertonie est bien isolée, et ce bilan aura permis d’établir une base de référence : une progression confirmée affirmera le glaucome.
• Deuxièmement, évaluer le risque de glaucome par l’inventaire des facteurs prédictifs. Ces facteurs ont été calculés grâce au poolage de groupes d’études. Les principaux sont :
– l’âge (Hazard Ratio-HR-1,26 par décennie au-dessus de 45 ans). Si l’on ne tient compte que de l’âge, le HR est de 1,58 ; le risque double tous les dix ans ;
– la PIO (HR 1,09 par mmHg au-dessus de 21). La plupart des études retrouvent des chiffres semblables. Le risque augmente de 10 % par mmHg supplémentaire. L’incidence des GPAO est une fonction exponentielle de la PIO, mais attention, 54 % des cas incidents ont une PIO de départ < 22 mmHg ;
– l’épaisseur de la cornée centrale (ECC) (HR 2,04 par 40 µ au-dessus de 600 µ). Que les patients soient classés par le niveau de PIO ou bien par l’importance de l’excavation, l’ECC est un facteur prédictif majeur ;
– enfin des facteurs purement prédictifs, le rapport c/d vertical (HR 1,19 par 0,1 au-dessus de 0,3) et le PSD (HR 1,13 par 0,2 dB au-dessus de 1,8) (LV pour l’Octopus). Ces facteurs correspondent probablement à un état déjà pathologique plutôt qu’à un simple risque.
Ces données ont été intégrées dans un calculateur de risque simple, dont la précision a été validée. Il est disponible sur Internet et sous forme d’une application pour smartphone.
Certains facteurs doivent être ajoutés :
– l’histoire familiale de glaucome, l’origine d’Afrique noire ou antillaise liée à la pachymétrie et à l’excavation
– manquent aussi la myopie et les données des examens de structures, une anomalie même isolée ayant une forte valeur prédictive.
La prise en compte du degré de risque a permis, par l’étude OHTS, de différencier trois groupes très différents :
– premier tertile, le tiers des patients correspondant au degré de risque de conversion à 5 ans le plus faible, il est inférieur à 6 %. Plus impressionnant, il faut traiter 98 patients pendant 13 ans pour éviter un seul glaucome !
– deuxième tertile, il correspond à risque à 5 ans de 6 à 13 %. Il faut traiter 16 patients pendant 13 ans pour éviter un glaucome ;
– troisième tertile, il rassemble les patients présentant un risque à 5 ans > 13 %. Il faut traiter 7 patients pendant 13 ans pour éviter un glaucome.
Établir un profil de risque devant une hypertonie isolée est donc indispensable : pour au moins un tiers des patients hypertones le rapport bénéfice/risque n’est pas en faveur du traitement.
• Troisièmement, mettre en place, que l’on décide ou non de traiter, une surveillance adaptée au risque. L’évaluation du risque guide à la fois la décision thérapeutique et la fréquence de la surveillance. L’examen clinique reste un élément central de cette surveillance, mais les examens complémentaires apportent de plus en plus souvent la preuve du glaucome en démontrant simplement une modification structurelle ou fonctionnelle, d’où l’importance de l’établissement d’une base de référence.
* Praticien titulaire à la Fondation Rothschild.
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