« L’ARRÊTÉ est sorti pendant les vacances, s’insurge le Pr Frédéric Chabolle, président de la Société française d’ORL et chirurgie cervico-faciale (CCF). Heureusement, nous avons mis en place une veille pour les textes législatifs. De plus, nous n’avons pas été informés de cette décision. Ni l’Ordre des médecins ni d’ailleurs celui des pharmaciens ne l’ont été ». Chef de service ORL de l’hôpital Foch, il s’inquiète surtout des conséquences de cette nouvelle délégation de tâche qui permet aux pharmaciens d’officine d’effectuer les les TDR angines « dans un emplacement de confidentialité », précise l’arrêté. « Notre crainte, c’est que l’on passe à côté de pathologies graves infectieuses ou tumorales avec une perte de chance pour le patient. Le but du TDR est d’éviter une antibiothérapie systématique. Mais cela doit se faire en fonction d’un contexte clinique qu’il faut respecter », poursuit-il. Et Le Pr Emile Reyt, de renchérir. Chef de service au CHU de Grenoble et président du Collège Français d’ORL et CCF, il explique : « Il faut un avec œil averti capable de déterminer le type d’angine et de décider si le TDR est utile ou pas. S’il s’agit d’une angine grave, il faut traiter par antibiothérapie ». Le streptocoque A n’est pas la seule cause grave d’angine, expliquent-ils. D’autres germes notamment les germes anaérobies sont à l’origine de complications sévères relevant d’une antibiothérapie spécifique et adapté. De plus, certaines angines peuvent être liées à un cancer ou à une hémopathie.
La goutte d’eau...
Quant au test lui-même, sa réalisation n’est pas un geste anodin. « Il ne s’agit pas d’aller mettre un simple écrouvillon au fond de la gorge. Cela nécessite de connaître l’anatomie de la région amyygdalienne pour être sûr de prélever au bon endroit. Et je le répète, il s’agit d’évaluer un contexte clinique : y a-t-il un ganglion ? s’agit-il d’une mononucléose ? » relève le Pr Chabolle.
Du côté des libéraux, l’incompréhension est la même. « Ce n’est pas un test de grossesse, ce n’est ni une glycémie ni une surveillance d’anticoagulants où là le diagnostic est déjà posé. Là, c’est la goutte qui fait déborder le vase », prévient le Dr Jean-Michel Klein, président du syndicat national d’ORL et CCF.
Afin de tirer la sonnette d’alarme, les trois instances représentatives, le CNPORL, le SNORL et la SFORL ont décidé d’une action commune. Dans une lettre adressée à la ministre de la Santé avec copie au Directeur général de la santé, elles font part de leurs inquiétudes et rappellent qu’un test ne permet d’éliminer le streptocoque A mais pas les autres causes. Rassurer le patient en cas de test négatif peut conduire à un retard au traitement, ce qui peut engager la responsabilité du pharmacien.
Le CNPORL, le SNORL et la SFORL demandent également une mise au point de la DGOS et de la HAS sur le diagnostic d’une angine, l’évaluation de sa sévérité et ausi son traitement. En effet, la nouvelle possibilité donnée aux pharmaciens de pratiquer le TDR angine vient s’inscrire dans le contexte que les spécialistes jugent déjà « très préoccupant », d’une augmentation des phlegmons péri-amygdaliens et des cellulites cervicales graves.
Des complications de plus en plus fréquentes.
« Ces complications tardives des angines sont de plus en plus fréquentes. Une évaluation réalisée au CHU de Grenoble à partir des données nationales, montre une augmentation de 50 % entre 2008 et 2011. Et uniquement pour les cas hospitaliers », précise le Pr Reyt. Leur évolution rapide peut engager le pronostic vital. « Un phlegmon périamygdalien à germes anaérobies évolue très vite vers un choc septique avec passage en soins intensifs. Je viens d’opérer il y a 3 ou 4 semaines, une cellulite cervicale avec médiastinite associée pour lequel nous avons dû mettre un drain thoracique. Le patient a été hospitalisé en réanimation et extubé 3 jours après l’intervention », témoigne-t-il.
Les hospitaliers sont catégoriques. Ce type de complication ne se voyait pas il y a une vingtaine d’années. « Au CHU de Grenoble, nous avons aujourd’hui 25 à 30 cas par an de phelgmons péri-amygdaliens et 10 à 12 cas de cellulites cervicales. C’est énorme. Il y a vingt ans quand on en voyait un, c’était l’affaire de l’année », explique le Pr Reyt.
« Si les complications streptococciques ont pratiquement disparues, tous les indicateurs des services hospitaliers d’urgence et d’ORL montrent une nette augmentation de ces cellulites du cou et médiastinales », affirme également le Pr Chabolle qui, lui aussi, témoigne d’un cas hospitalisé depuis 3 semaines en réanimation à l’hôpital Foch, « trachéotomisé et ventilé ».
Les spécialistes s’interrogent sur l’émergence de ces pathologies. N’ait-on pas aller trop loin dans le slogan : « Les antibiotiques, c’est pas automatique ». « Nous avons atteint l’objectif mais il ne faudrait pas le dépasser. Ne faut-il pas ajuster le curseur ? », questionne le Dr Klein.
Parmi les hypothèses qu’ils formulent, la prise d’anti-inflammatoires stéroïdiens ou non stéroïdiens en automédication ou en prescription semblent faciliter la survenue d’infections sévères. « Une étude est en cours pour vérifier cette observation qui ressort des dossiers : les patients ne sont pas pris en charge de façon optimale et les complications surviennent chez des patients qui soit n’ont pas pris d’antibiotiques soit ont reçu des anti-inflammatoires », avance le Pr Reyt. Et beaucoup de ces anti-inflammatoires comme l’ibuprophène sont en vente libre et utilisés pour leur effet antalgique. « C’est un enjeu de santé publique. Il faut poser le problème et informer la population sur les risques de l’automédication », conclut le Pr Reyt.
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