Les soins palliatifs en pédiatrie (SPP) commencent à sortir des marges où ils ont longtemps été tenus, en partie à cause de la difficulté de les penser dès la naissance (voir ci-contre). Les particularités des SPP sont pourtant délicates pour les soignants, qui doivent s'adapter au développement de l'enfant, faire un pari sur l'avenir - car jamais les soins palliatifs ne sont un décret de mort sur un nourrisson - et associer les parents tout en œuvrant au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Pour ce faire, l'hôpital Robert-Debré s'est doté en mai 2015 d'une équipe mobile d'accompagnement et de soins palliatifs (EMASP) - la deuxième en France après celle de l'hôpital Necker. Le projet, soutenu par l'Agence régionale de santé, a été confié à la Dr Silvia Pontone, anesthésiste réanimatrice en pédiatrie, très sensibilisée à la question, pour avoir participé en tant que chercheuse-associée de l'INED à l'enquête nationale 2010 sur la fin de vie en France. Sa première mission fut de s'atteler au développement des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) : « à l'origine, elles se sont développées en oncologie. En pédiatrie, elles permettent de clarifier les objectifs de prise en charge d'un enfant dont la situation médicale est complexe, pour définir un projet de soins, qui peut inclure - mais pas obligatoirement - une décision de limitation ou d'arrêt des thérapeutiques (LAT) », définit-elle.
Dès janvier 2016, l'EMASP a mis en place une première fiche pour les RCP inter-service au sein de l'établissement, inspirée des travaux de l'équipe régionale ressources de soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP) d'Aquitaine et du service du Pr Stéphane Dauger. Très vite, il a fallu remettre l'ouvrage sur le métier, en prenant en compte les évolutions apportées par la loi Claeys-Leonetti de février 2016. « Le Conseil constitutionnel a précisé qu'il fallait laisser le temps aux parents d'accepter une décision de LAT et d'éventuellement déposer un recours juridique », rappelle le Dr Pontone. En outre, la médiatisation des cas du nourrisson Marwa, à Marseille, et de l'adolescente Inès, à Nancy, qui se sont soldées par deux décisions contraires a remis en lumière la nécessité de tenir compte de l'avis des parents.
In fine, c'est une fiche de 4 pages qui a vu le jour au printemps 2018, validée par le comité éthique de Robert-Debré. Elle trace tout le processus de décision collégiale (avec recours à un consultant extérieur), décrit le projet de soins et ses objectifs (espérance ou qualité de vie), précise les modalités de l'information aux parents et à l'enfant, et leur éventuelle opposition ou adhésion au projet et fait émarger les soignants présents aux RCP, « une participation qui n'est jamais simple », commente le Dr Pontone.
Depuis les premières ébauches, les fiches de RCP n'ont cessé de se multiplier : 12 en 2015, 79 en 2016, elles sont désormais 92 en 2018. Dans 80 % des cas, une réunion suffit. Mais il a fallu une fois tenir 6 RCP autour d'un nourrisson. Dans un tiers des cas, la réunion se conclut sur une décision de poursuite des traitements.
La fiche, un outil de convergence des regards
Loin d'être un simple formulaire, la fiche RCP symbolise les efforts pour harmoniser les approches et pratiques parfois diverses des services de réanimation, néonatalogie, neurologie, hématologie, cardiologie, etc.
En néonatologie, l'analyse des RCP depuis 2012 montre que la fiche est un bon guide pour discuter des décisions de LAT en détail (arrêt des thérapeutiques, limitation, non escalade, abstention dès la naissance), selon le Dr Caroline Farnoux. Et plus largement, pour discuter des projets de soins palliatifs - si le nombre de staffs est resté stable, les décisions de LAT ont diminué (de 91 % à 47 % entre 2012 et 2015) ; et il y a 20 % de survie après LAT, dont 16 % à deux ans. En revanche, la fiche objective mais peine encore à pallier les difficultés d'information et d'implication des parents. En 2018, sur une vingtaine de fiches, la moitié indiquait que les parents étaient informés du staff, 75 % faisaient état de la connaissance de leur position, et seulement 25 % mentionnaient un retour du staff aux parents. « Nous parlons des parents en staff, mais nous ne l'écrivons pas sur la fiche, mais dans le dossier. On peut mieux faire », commente le Dr Farnoux.
Du côté des cardiologues, la fiche apparaît comme un moyen de formaliser la discussion, d'encourager le recours aux intervenants extérieurs et de revenir sur certaines décisions. « L'éthique, c'est loin de la cardiologie », admet le Dr Constance Beyler, responsable du dit-service. Pour autant, la discussion est très présente, assure-t-elle. D'autant que les prises en charge sont intrusives et lourdes et que le tout ou rien est souvent la règle : « 50 % des enfants opérés vont bien mais il n'y a pas de critères prédictifs », explique le Dr Beyler. Ainsi d'un petit garçon né en juin 2008 avec un ventricule unique de type double discordance, détectée dès la 21e semaine d'aménorrhée. Les parents refusent l'IMG et demandent une prise en charge maximale, avec une chirurgie palliative. Le nourrisson subit une première chirurgie à 7 jours, puis à 20 mois et à 4 ans. À 6 ans, un diagnostic d'entéropathie exsudative (dysfonctionnement du VU) est posé. Il passe un an à l'hôpital entre 2016 et 2017. Les discussions pluridisciplinaires et les entretiens avec une famille qui se déchire se multiplient. Il est transplanté à 8 ans, peine à reprendre du poids, mais retourne malgré tout à l'école… « Quelle qualité de vie lui offre-t-on ? », s'interroge le Dr Beyler. « La prise en charge est très lourde. Mais lui a toujours été malade… » fait-elle remarquer.
« Un temps de réflexion pour réfléchir collégialement » : c'est ainsi que la Pr Odile Boesflug-Tanguy, chef de service de neurologie et maladies métaboliques, définit la RCP. Et le temps est une donnée cruciale selon elle. « Nous jouons souvent le rôle du consultant extérieur à qui l'on demande en urgence comment va évoluer le cerveau. Or c'est un organe très difficile à évaluer. Il faut du temps pour observer, et savoir changer d'avis », explique-t-elle, évoquant le cas d'une petite fille qui déclare à 3 ans une méningoencéphalite herpétique, s'aggravant quelques mois plus tard en une encéphalite auto-immune à anticorps antiNMDA secondaire. « La situation clinique est dramatique, on observe une nécrose dans le cerveau. Des traitements sont mis en place, sans amélioration. Une LAT est décidée en RCP, mais on lui laisse les thérapeutiques commencées. Sa situation depuis s'est améliorée, elle marche », illustre la Pr Boesflug-Tanguy.
La chef de service salue en outre l'intervention de l'équipe de soins palliatifs dans les RCP en ce qu'elle apporte des connaissances sur le vécu du handicap.
Elle met néanmoins en garde sur la façon de présenter la RCP aux parents. « Cela ne doit pas être un coup de massue. Il faut de la préparation, pour que les parents n'aient pas l'impression qu'on abandonne leur enfant ».
Enfin, le service de réanimation pédiatrique s'est appuyé sur les fiches RCP pour analyser le devenir à 3 mois de 47 patients pour lesquels il y avait eu une RCP. « La fiche RCP aide les équipes de soins dans les décisions de traitements raisonnables », résume-t-il.
« Son utilisation au quotidien depuis trois ans a facilité le développement de la culture palliative à Robert Debré, elle a permis d'impliquer davantage l'EMASP, et a facilité l'appropriation de la loi Claeys-Leonetti par les soignants », résume le Dr Silvia Pontone. Elle semble surtout avoir aidé les soignants à mettre en place des réunions dans lesquelles la parole de chacun est entendue et à adopter une démarche éthique pour discuter de situations insolubles dans leur individualité, à l'opposé de toute systématisation.
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