TOUT ENFANT venant au monde hérite de l’histoire de ses parents. Cette simple phrase pourrait faire tiquer un biologiste, car il n’y a pas de gènes représentant une histoire vécue, acquise. Elle semblera normale pour un(e) freudien(ne).
À l’occasion de la naissance d’un enfant, une femme peut voir se répéter des faits, des scènes traumatisantes qu’elle-même a vécus dans sa relation avec sa propre mère. « Par sa venue, écrit Etty Burzyn, le tout-petit ouvre la porte à nos fantômes d’autrefois. » L’enfant, qui ne peut verbaliser mais est une éponge d’affects, exprime corporellement le dérèglement de son Umwelt (monde vécu) et adresse par là même un message à ses parents.
Merveilleux malheur.
C’est dans son héritage familial, nous y faisions allusion, que l’auteur va aller chercher ses meilleurs exemples. À 3 ans, elle est blessée à la tête par un hachoir que sa mère laisse échapper. On la retrouvera un an après, crispée sur le berceau de son petit frère, reprenant sur elle inconsciemment la « faute », l’irresponsabilité prêtée à sa mère.
La vie de l’auteur s’articule aussi à ce « merveilleux malheur » dont parle Boris Cyrulnik. Année 1940, passage en zone libre pour retrouver le père à Lyon, et le cortège bien connu de chiens hurlant dans la nuit et de passeurs louches, tout ce qui peut composer le tableau d’une famille juive en fuite et dont le récit est jalonné de symbolique enfantine.
Tel ce petit baigneur en celluloïd, pauvre jouet perdu par l’auteur dans la tourmente. Un bébé abîmé qui vaut pour le jeune frère de sa mère tué dans un accident ? Mais in fine, la petite fille est confiée par ses parents à la bonne Marie Lacroix, à Miribel, dans l’Ain. Elle-même figurée par l’immense statue de la Vierge lumineuse qui surplombe de façon tutélaire la côte du Mas Rillier. Anticipation d’une autre bonne dame refuge qui serait Françoise Dolto ?
Ce que le livre met en évidence, au travers de la vie d’Etty Buzyn et de divers cas exposés, c’est la manière dont l’enfant à venir, et aussi le bébé, s’inscrivent dans le passé familial et parfois réactivent d’anciens traumatismes refoulés.
De cette « part du bébé » dans l’adulte, le livre ne cesse de témoigner et encourt le reproche traditionnellement adressé à la psychanalyse freudienne d’immerger le sujet dans un passé indépassable, même si, ici, est trop rapidement esquissée l’idée que le bébé est un guérisseur, un involontaire thérapeute.
Un livre qui émeut à la fois parce qu’il évoque et par ses troublantes mises en abyme.
Etty Buzyn, « Quand l’enfant nous délivre du passé », Éd. Odile Jacob, 202 p., 20,90 euros.
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