Dépistage et prise en charge de l’amblyopie

Le bout du tunnel est-il réellement en vue ?

Publié le 22/03/2012
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LE BOUT DU TUNNEL, c’est d’abord le dépistage. Le dépistage scolaire remplit bien son rôle en sélectionnant les enfants nécessitant un examen ophtalmologique (le dépistage par excès est sans gravité).

Les ophtalmologistes doivent mieux informer les adultes en âge de procréer (et les parents) de la nécessité d’examiner dès l’âge de deux mois les bébés à risque, du fait d’une hérédité possible. Comment faire accepter par tous les pédiatres la nécessité de cet examen dès l’âge de deux mois si tous les ophtalmologistes n’en sont pas convaincus ?

Il appartient à la sécurité sociale d’établir une cotation spécifique pour l’examen « protocolisé », avec skiascopie, des bébés et des jeunes enfants. L’existence de cette cotation applicable dès l’âge de deux mois tordra le cou à l’ineptie : « Avant un an, l’ophtalmologiste ne peut rien voir ». Parce que corriger une hypermétropie de +10 à deux mois n’est pas inutile. Il ne s’agit pas là de dépenses nouvelles, mais d’économie et de rentabilité pour la sécurité sociale, donc simplement de bonne gestion. Nous y reviendrons (même si l’absence de données épidémiologiques fiables actuelles pénalise la discussion).

Enfin, il appartient aux médias de tenir un rôle d’information en visant de rendre service et non juste de vendre des lessives. Introduire cette obligation dans le cahier des charges des médias bénéficiant d’une fréquence de télé- ou de radiodiffusion mérite un débat. L’imposer au service public devrait se faire sans qu’il soit nécessaire d’en débattre.

Le bout du tunnel, c’est aussi pour de nombreux enfants ne plus entendre jour après jour durant des mois, des années « Viens mon chéri, c’est l’heure de ton pansement sur l’œil ». L’occlusion intermittente n’est acceptable qu’en l’absence d’alternative plus « légère ». Il est impératif de la remplacer par les pénalisations de Weiss lorsque c’est possible.

Compte tenu de la brièveté nécessaire de cet article, quelques exemples vaudront mieux que des recettes.

Comme pour le film « Smoking – No smoking », commençons par un exemple dans lequel le même prénom a été attribué à des enfants différents dont les parents sont, soit pas informés, soit informés, soit très informés.

Les parents de Romane ne sont pas informés – Elle a trois ans et vient d’être dépistée à l’école. Elle présente une amblyopie droite à 1/10e en rapport avec un microstrabisme favorisé par une hypermétropie de +6/+2.

Les parents de Romane sont informés – Elle a un an et vient d’être dépistée par sa mère qui a réalisé un test d’occlusion alternée, comme elle l’avait lu dans la salle d’attente de son ophtalmologiste durant sa grossesse. Romane fixe mal lorsqu’on lui cache l’œil gauche. Elle est effectivement amblyope et le port de la correction +7/+3,50 ne suffira pas à améliorer l’amblyopie, du fait d’un microstrabisme associé.

Les parents de Romane sont très informés – Elle a deux mois et vient d’être équipée de lunettes +8/+5. Elle ne présentera ni strabisme, ni amblyopie. Grâce à l’ophtalmologiste qui, des années auparavant, avait expliqué au père strabique, la nécessité de faire examiner ses bébés à venir dès l’âge de deux mois, et qui a bien fait la nécessaire skiascopie sous tropicamide.

(La variation supposée de l’hypermétropie de Romane avec l’âge a peu d’intérêt.)

Amblyopie organique : quelle est la part fonctionnelle ?

Jeanne, 3 ans, présente une lésion rétinienne centrale sur l’œil droit. Son acuité est inférieure à 1/20e de ce côté, avec un strabisme divergent et une fixation excentrique. Compte tenu de l’organicité de l’amblyopie et de l’absence de traitement efficace pour la rétine, il pourrait sembler légitime de ne pas envisager de traitement. Pourtant, une occlusion bien conduite aboutit à une acuité de 8/10e. Parce que toute amblyopie organique de l’enfant comporte une part fonctionnelle, par définition réversible, qu’il serait illégitime de présumer faible tant qu’un traitement n’a pas été tenté. Et ce traitement est très souvent efficace lorsque la cause est rétinienne. Mais, même lors des amblyopies organiques neurologiques (celles de moins bon pronostic), le traitement doit être tenté, car lui seul permet de préciser la part organique non réversible. C’est l’absence de progrès après 15 jours d’occlusion (une seule semaine si, après ce temps d’occlusion, l’enfant ne peut toujours pas se diriger du fait de la persistance d’une amblyopie profonde) bien conduite qui semble un critère acceptable pour ne pas aller plus loin (exception : la cécité complète de l’œil avec abolition du réflexe photomoteur direct et persistance du consensuel).

Troubles du comportement.

Jules, 8 ans, est suivi en pédopsychiatrie pour des troubles du comportement. Il est scolarisé dans un établissement spécialisé. Un défaut de contact et une certaine indifférence dominent le tableau, avec une peur et une irritabilité qui rendent les examens ophtalmologiques difficiles. Jules présente un strabisme divergent alternant modéré. Jusque-là, il n’a pas été possible de lui faire porter ses lunettes de +1,50 ODG. La skiascopie, « sportive », en six épisodes, sous tropicamide, conduit à prescrire des lunettes de +11 ODG. Et Jules découvre le monde et le sourire.

Plus de prévention et plus d’information.

Le bout du tunnel pour l’amblyopie, c’est d’abord plus de prévention et plus d’information des parents, avec des examens dès deux mois si besoin.

C’est aussi des cotations adaptées, permettant que les examens des enfants ne soient pas pénalisants quel que soit le secteur d’exercice.

Le tarif opposable dérisoire réduit les chances des petits Jules de bénéficier de l’heure et quart d’examen hautement spécialisé nécessaire. Les parents de Jules ont payé 120 euros cette consultation d’une heure et quart qui sera remboursée sur la base de 23 euros. Avec ce "dépassement" médiatiquement scandaleux, le médecin se pénalise lui-même, et la sécurité sociale pénalise les parents de Jules tout en creusant son trou (valoriser pour mieux diagnostiquer est source d’économie).

En attendant une vraie prise en charge grâce à une tarification adaptée, savoir que le repassage à domicile des chemises du père de Jules ouvre droit à réduction d’impôts, mais pas le « reste à charge » des dépenses médicales indispensables à Jules est choquant.

* Paris

Faux aspect de strabisme par épicanthus, mais vraie amblyopie droite par astigmatisme oblique de 4D. Le seul port de la correction optique a permis de guérir l’amblyopie (et a protégé du risque de strabisme).

PAR LE Dr LAURENT LALOUM*

Source : Bilan spécialistes