IL NE FAUT PAS se voiler la face : préparer une thèse de science tout en poursuivant son activité médicale n’est pas donné à tout le monde. Virginie Rigourd, elle, l’a fait avec une aisance désarmante. C’est ce que son sourire et son naturel avenant laissent croire. En vérité, elle reconnaît que, même physiquement, à 40 ans, « ce n’est pas possible de continuer à ce rythme ». Conciliants, Patrick, son mari, et son fils Thibaut, à qui elle dédie sa thèse, risqueraient d’ailleurs de trouver l’histoire moins drôle. Sa fille Margaux, qui vient de montrer son nez, devrait, de manière assez impérieuse, réussir à restreindre son activité : Virginie Rigourd a soutenu sa thèse ce 1 er avril, à terme (toute l’équipe du labo croisait les doigts), arborant avec humour son « échographie tee-shirt ».
Pédiatre (temps plein) en réanimation néonatale à l’Institut de puériculture et de périnatalogie (Paris), elle a travaillé pendant quatre ans au sein du laboratoire « Génomique, épigénétique et physiopathologie de la reproduction » (INSERM) de l’Institut Cochin. Quatre ans de double vie à chercher « l’implication du gène STOX1 dans la prééclampsie », avant 9 heures du matin, de préférence, ou après 20 heures. « Étant donné ses horaires décalés, la seule trace visible de son passage était le paquet de baguettes viennoises au chocolat » laissé dans la salle de repos, à disposition des membres de l’équipe, témoigne Sandrine Barbaux, chargée de recherche et « codirectrice officieuse de thèse ».
La prééclampsie, une des maladies placentaires multifactorielles étudiées par l’équipe de Daniel Vaiman, n’est pas anodine en terme de santé publique puisqu’elle est, en France, la deuxième cause de mortalité maternelle et la première cause de prématurité induite. Elle touche entre 5 à 10 % des femmes enceintes et se manifeste, au cours de la grossesse, par un désordre hypertensif associé à une protéinurie. À l’Institut de puériculture, Virginie Rigourd en côtoie au quotidien.
Vocation.
Être pédiatre, c’est une « vocation de petite fille », dit-elle. La néonatalogie, c’est plutôt « une révélation » d’interne : « J’accédais à ce que j’avais envie de faire », prendre en charge les bébés mais aussi les familles, avec des préoccupations éthiques sur, par exemple, l’extrême limite de la viabilité. Face à des situations parfois dramatiques, elle sait qu’il faut garder un équilibre personnel et faire « un gros travail d’équipe », pour « arriver à rester fort et être profitable pour tout le monde ». Un recul pas toujours convaincant, selon son chef de service, Jean-François Magny, qui concède : « Ça peut parfois arriver qu’elle ait trop d’empathie ». « De temps en temps, il faut que je lui rappelle "Tu as une famille, n’oublie pas" ou "Tu as une mission, ta maternité". Mais Virginie est quelqu’un d’extrêmement précieux dans un service hospitalier. Elle est toujours sur le pont et a une force de travail peu commune. ».
C’est sans doute la raison pour laquelle il l’a incité e à rejoindre son ancien labo de DEA pour mener une thèse... malgré son investissement au lactarium d’Île-de-France de l’Institut de puériculture en tant que médecin responsable. « Là, je lui ai dit que ça faisait beaucoup. Mais elle aime bien prendre les choses en main », ajoute Jean-François Magny. Car pour Virginie Rigourd, ce mi-temps supplémentaire s’inscrit dans une continuité, une logique : celle d’améliorer l’alimentation du prématuré. Elle, qui ne « supporte pas les idées extrémistes », se tient à l’écart de la controverse Élisabeth Badinter/Edwige Antier (schématiquement contre et pour l’allaitement maternel). Elle se positionne en pédiatre, consciente du bénéfice des « propriétés biologiques » du lait de femme pour les prémas et refusant que la première cause d’arrêt de l’allaitement soit due au « discours contradictoire des professionnels ».
Conseil aux futurs médecins.
Un agenda compliqué ? Son fils de 8 ans a, quant à lui, bien intégré ses triples fonctions, lorsque, le matin, il lui demande : « Tu vas au labo, à l’hôpital ou au lactarium ? ». Bien qu’elle ne sache pas, comme elle l’écrit au début de sa thèse, si elle doit « remercier » ou « maudire » son chef de service de l’avoir poussée dans cette aventure, elle ne boude pas son plaisir aujourd’hui. « C’est excessivement motivant de sortir de son milieu et de découvrir un autre monde. Même si c’est chronophage, je conseille à tous les futurs médecins de se donner cette possibilité au cours de leur cursus » afin de pouvoir un jour accéder à une recherche.
La sienne a été plus que mouvementée car empreinte de polémiques. Le but de son travail était d’évaluer le rôle d’un gène récemment identifié, STOX1, et ses cibles moléculaires « dans la cascade complexe de la physiopathologie de la prééclampsie ». Mais en 2007, alors que l’étude est bien engagée, trois articles remettent en question l’implication de ce gène. Le labo est en ébullition. Finalement, l’équipe décide de poursuivre sur ses hypothèses. Et tant mieux, puisque, à l’heure actuelle, « nous pouvons grâce à nos résultats réhabiliter STOX1 comme gène candidat dans la prééclampsie et sommes en train d’envisager un modèle de souris transgéniques surexprimant STOX1 ».
Nouvelles voies.
Prenant à cur les résultats de sa recherche, Virginie Rigourd n’en garde pas moins les yeux rivés sur son horizon de soignante, entre la vie et la mort. « L’objectif final n’est pas seulement de publier mais de progresser et de se doter de meilleurs outils » thérapeutiques. Après avoir présenté ses travaux tambour battant, ce 1 er avril, la thésarde est priée de s’asseoir par un jury compréhensif, et surtout conquis. La charge des questions, nombreuses, peut commencer, preuve que l’édifice n’est jamais terminé. Dernier à parler, Daniel Vaiman, directeur de thèse, mêle sa voix au concert de louanges, élevant Virginie au rang de « wonder-woman » puissance 10. Et même lorsqu’il se risque à une boutade sur son emploi du temps comme : « On savait que Virginie était passée grâce aux indices qu’elle avait laissé traîner dans le labo », le public proteste. « Alors ça, ce n’est pas vrai. Virginie range tout le temps ses affaires, et même celles des autres », bouillonne Capucine, ingénieur et « mémoire » du labo.
Maintenant qu’elle a assuré à l’équipe du lactarium et de néonatalogie qu’elle ferait moins « l’école buissonnière pour les années à venir », Virginie Rigourd va cesser de hanter les paillasses. Elle garde quand même une idée derrière la tête. Lorsque l’Institut de puériculture fusionnera avec la maternité de l’hôpital Necker (qui travaille déjà sur la prééclampsie à l’échelon clinique), elle compte bien rester en contact avec le labo, dans l’unique but d’ouvrir « de nouvelles voies de recherche dans les domaines du diagnostic et des applications thérapeutiques ». Gare aux futures « absences pour cause de recherche ».
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024