Le syndrome de toux somatique, une toux survenant en l’absence d’affection médicale (organique) identifiable, est souvent appelé « toux psychogène », « toux d’habitude » ou « toux tic ». Fréquent chez le grand enfant et l’adolescent ; il entre dans le cadre des symptômes respiratoires fonctionnels d’origine psychologique – fréquemment méconnus ou confondus avec d’autres affections, en particulier l’asthme – responsables d’une altération de la qualité de vie des patients et de leur famille. Il correspond en fait à des situations physiopathologiques différentes. Un cas chez une adolescente nous servira à évoquer les divers aspects de ce syndrome, la toux, l’hyperventilation, le tic de clarification de la voix et le dysfonctionnement des cordes vocales, pouvant survenir soudainement, même au repos, en dehors de tout symptôme nocturne.
Une étude de cas
Estelle, 11 ans, enfant unique, n’a pas d’antécédents particuliers en dehors de quelques infections ORL, rhinites et rhinopharyngites hivernales peu fréquentes (de 2 à 3 par an), pendant la période préscolaire, liées à l’apprentissage immunitaire. Toutes ses vaccinations sont à jour. Il n’est pas noté d’antécédent personnel ou familial d’allergie.
La toux d’Estelle, qui dure depuis un mois et demi, a débuté après une infection virale banale des voies respiratoires supérieures. C’est une toux sèche, de plus en plus fréquente et intense, évoluant par paroxysmes. Fait important, l’enfant ne tousse pas la nuit, dort bien, et son appétit est conservé. La toux est très bruyante, rauque, parfois comparable au son d’une corne.
Estelle est bonne élève, mais sa toux gêne la classe, et les enseignants s’en sont plaints aux parents, eux-mêmes professeurs, évidemment très gênés et inquiets. Ils ont sollicité à plusieurs reprises leur médecin traitant, qui a demandé divers examens complémentaires. Ils ont même consulté un magnétiseur !
Les parents entrent à la consultation les premiers, suivis d’Estelle. Ils sont très soucieux. La mère porte un épais dossier radiologique et divers résultats d’examens. En refermant la porte, Estelle a un très important accès de toux bruyante et rauque…
À l’examen, son développement staturopondéral est normal. Elle n’a pas de déformation thoracique. L’auscultation thoracique est rigoureusement normale, ainsi que l’examen ORL, en particulier la rhinoscopie antérieure et l’otoscopie. Estelle n’a aucun stigmate de dermatite atopique comme une peau sèche ou fissuraire derrière les oreilles, au pli des coudes ou à la face postérieure des genoux.
Les résultats des examens complémentaires apportés par les parents sont alors examinés avec attention. Ils sont tous normaux : radiographie du thorax, scanner thoracique, exploration fonctionnelle respiratoire (EFR) avec boucle débit-volume (BDV), protéine C réactive, vitesse de sédimentation, numération de la formule sanguine, dosage de la vitamine D sérique, prick tests, dosage des IgE sériques totales et spécifiques vis-à-vis des allergènes usuels (IgEs), dosage de plusieurs IgG spécifiques anti-aliments, lettre d’ORL relatant une consultation au médecin traitant, transit œsogastroduodénal à la recherche d’un reflux gastro-œsophagien (RGO). Sur la BDV, on s’assure que le débit expiratoire de pointe (DEP) est bien normal (il est à 110 % de la normale attendue pour la taille) ainsi que le VEMS, qui n’augmente pas après l’inhalation de deux bouffées d’un agoniste bêta-2 de courte durée d’action (B2CA), la Ventoline.
Plusieurs traitements ont été prescrits par différents médecins : antitussifs, anti-H1 comme traitement d’épreuve antiallergique, B2CA et corticoïdes inhalés (CI) par chambre d’inhalation dans l’hypothèse d’une « toux équivalent d’asthme » (cough variant asthma), inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) au cas où Estelle aurait une toux par RGO. Tous ces traitements d’épreuve ont été inefficaces.
Durant l’entretien avec les parents et l’examen de l’enfant se sont manifestés l’important degré d’anxiété des parents et leur incompréhension en tant que professeurs de « sciences exactes » que des symptômes aussi bruyants ne soient pas associés à des anomalies patentes, mesurables par dosages ou visibles sur des radiographies. Le risque de difficultés scolaires est évoqué par ces parents exigeants. Le fait qu’Estelle ne présente aucun symptôme nocturne et un sommeil normal sont deux éléments sur lesquels on insiste pour faire admettre l’absence d’organicité du symptôme « toux ». On apprend que l’enfant a eu des antécédents de tics physiques, touchant les yeux et une épaule, pendant des périodes de fatigue ou après une fracture de l’avant-bras survenue trois ans plus tôt. Ultérieurement, par étapes, le diagnostic de toux psychogène sera accepté, avec l’aide d’une psychologue et d’une orthophoniste.
Des symptômes caractéristiques
Le diagnostic du syndrome de toux somatique est facile, basé sur l’interrogatoire et l’examen clinique : accès de toux diurne de timbre plutôt bizarre (aboiement, bruit de corne, raucité, cri de l’oie du Canada…) ; répétition de la toux sur simple demande ; examen clinique rigoureusement normal ; absence de toux nocturne et sommeil normal ; aucune réponse aux médicaments bronchodilatateurs, corticostéroïdes, antibiotiques, antitussifs. Savoir reconnaître ces symptômes peut éviter une inflation préjudiciable d’examens complémentaires et de traitements inutiles (voir l’encadré).
Le problème diagnostique est compliqué par l’existence de la toux équivalent d’asthme et, surtout, dans notre cas, d’un ensemble de situations voisines, en cours de démembrement, connues jusqu’à présent sous le terme de toux psychogène, dont la principale est le syndrome d’hyperventilation pulmonaire de l’enfant.
La toux équivalent d’asthme est souvent évoquée par excès. Dans notre cas, ses caractéristiques essentielles manquaient : c’est une toux sèche, survenant au petit matin, réveillant le patient et fréquemment associée à un trouble ventilatoire obstructif réversible sous B2CA.
De même, le RGO est trop souvent évoqué sans preuve suffisante (symptômes posturaux, présence de reflux au transit oeso-gastroduodénal ou pH-métrie positive), ce qui conduit très certainement à une inflation de traitements d’épreuve par les IPP.
D’autres types de troubles respiratoires avec toux peuvent être plus difficiles à identifier, liés à l’anxiété, à l’exercice physique (sans asthme d’effort), etc. Il ne faut pas non plus ignorer le corps étranger bronchique méconnu (asymétrie auscultatoire, asymétrie radiologique de transparence avec air piégé à l’expiration) ou la dyskinésie laryngée épisodique (EFR, laryngoscopie directe montrant l’adduction paradoxale des cordes vocales à l’inspiration).
Des réponses variées
En 1984, Sidney Q. Cohlan et Shirley M. Stone publièrent un article, « The Cough and the Bedsheet », qui retint notre attention (1). Le traitement appliqué à un enfant de 9 ans atteint de toux tic qu’ils décrivaient était un peu barbare, mais efficace. Lorsque le diagnostic de toux psychogène fut établi, les auteurs expliquèrent au patient et à sa famille que « la toux provenait d’une faiblesse des muscles thoraciques, incapables de contrôler la toux de l’enfant », et que pour y remédier « il fallait renforcer ces muscles en ajustant étroitement un drap autour du thorax de l’enfant, ce qui permettrait de stopper la toux en 24 à 48 heures ». Ceux qui ont expérimenté le port d’Elastoplast (par exemple pour un traumatisme costal) connaissent la très forte gêne voire la douleur que cela provoque, plus importante avec contention que sans. C’est probablement ce qui explique que les enfants atteints de toux psychogène étaient si rapidement guéris avec cette « technique » curieuse mais astucieuse…
En 1991, une approche thérapeutique différente, associant l’enfant et sa famille à la résolution du symptôme, fit l’objet d’une publication (2). Les auteurs y expliquaient que le fait de tousser de façon répétée est un geste analogue à se sucer le pouce ou se ronger les ongles. Cette méthode est basée sur une surveillance des accès de toux, que le patient consigne et qu’il est encouragé à réduire. Le simple fait d’être astreint à noter quotidiennement et scrupuleusement ces épisodes pendant des semaines et même des mois était associé à une incitation subliminale à les réduire, ce qui correspond assez à l’esprit de la méthode de Cohlan et Stone.
En 2014, une métaanalyse a porté sur 18 études non contrôlées regroupant 223 patients (46 % de sexe masculin), dont 96 % étaient des enfants ou des adolescents (3). La majorité (95 %) ne toussaient pas la nuit. Un timbre de toux de type aboiement (barking) ou son de corne (honking) était signalé dans 7 études (40 %). Les techniques thérapeutiques le plus souvent employées étaient l’hypnose (3 études), la suggestion (4 études), le conseil et acquisition d’une assurance de soi (7 études). L’hypnose était efficace dans 78 % des cas, la suggestion dans 96 %. Des résultats favorables furent observés chez la plupart des enfants. Toutefois, l’absence de groupe témoin ôte beaucoup à la valeur à ces études, toutes étant rétrospectives.
En 2015, l’American College of Chest Physicians (4) a assorti cette méta-analyse de recommandations et suggestions. Chez l’enfant atteint de toux chronique inexpliquée, il préconise de rechercher une toux tic s’il a déjà présenté d’autres formes de tics. Et juge préférable d’abandonner les termes de toux d’habitude ou de toux psychogène, ce dernier ayant une connotation trop neuro-organique, au profit des termes de syndrome de toux somatique (somatic cough syndrome) ou de toux tic.
Pédiatre allergologue-pneumologue
Conflits d’intérêt : l’auteur n’a pas de conflit d’intérêt
1. Cohlan SQ, Stone SM. Pediatrics 1984 Jul;4(1):11-5
2. Lavigne JVet al. Pediatrics 2991 Apr;87(4):532-7
3. Haydour Q et al. Chest 2014 Aug;146(2):355-72
4. Vertigan AE et al. Chest. 2015 Jul;148(1):24-31
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