Le cancer du poumon (CP) est un excellent candidat pour le dépistage organisé et systématisé selon les critères de l’OMS. Il s’agit de la première cause de mortalité par cancer et le troisième cancer le plus fréquent en France. Son épidémiologie évolue, notamment chez la femme, où les cas incidents sont en augmentation depuis les années 2010, comme le montre l’étude KBP-CPHG 2020, pour les femmes âgées de plus de 50 ans (1). Le tabagisme, responsable d’environ 85 % des CP, permet de définir la population cible éligible au dépistage. Le scanner thoracique à faible dose d’irradiation est un test efficace et acceptable, et il permet de détecter le CP à un stade précoce et curable (2).
La preuve du concept
L’étude PLCOparue en 2011 avait prouvé que la radiographie du thorax n’est pas efficace dans le dépistage du CP. Néanmoins, une enquête menée en 2021-2022 dans la région Hauts-de-France auprès des médecins généralistes a montré que 40 % d’entre eux continuaient à la prescrire comme moyen de dépistage individuel du CP (3).
Les deux études randomisées les plus larges publiées à ce jour sont NLST, en 2011 (4), et Nelson, en 2020 (5).
NLST a comparé le dépistage annuel par scanner thoracique à faible dose versus par radiographie thoracique, pendant trois années consécutives dans une population ayant fumé au moins 30 paquets années (PA) et âgée de 55 à 74 ans. Le test était considéré comme positif si un nodule pulmonaire non calcifié de 4 mm était détecté. Le taux de scanner de positifs était de 24,2 %, pour une incidence finale de CP à la suite d’un scanner positif de 0,86 % dans le bras dépistage. L’étude a démontré une diminution de la mortalité par CP de 20 % (IC95 [6,8 – 26,7] ; p = 0,004 ) à 6,5 ans de suivi. Cependant, la limite de cette étude était le taux élevé de faux positifs, estimé à 23 %, du fait du seuil de positivité trop bas, à 4 mm.
L’étude Nelson a également testé le scanner thoracique à faible dose, mais versus un bras observationnel, avec le rythme suivant : T0, à 1 an, à 3 ans et de façon optionnelle à 5,5 ans. Les patients étaient âgés de 55 à 74 ans et avaient fumé au moins 15 cigarettes par jour pendant au moins 25 ans, ou 10/j pendant au moins 30 ans, actifs ou sevrés depuis moins de 10 ans. Seuls 2,1 % de scanners ont été considérés comme positifs, pour une incidence de CP à la suite d’un scanner positif de 0,9 %. La mortalité par CP a été réduite de façon significative, de 26 [0,63 – 0,95] % chez les hommes et de 33 % chez les femmes.
Cette étude avait deux particularités par rapport à NLST : la caractérisation du nodule de manière volumétrique (en 3D) et l’introduction d’une catégorie indéterminée, pour les nodules non calcifiés compris entre 50-500 mm3. Ces deux paramètres ont permis de réduire le taux de faux positifs à 1,2 %. Les nodules solides « indéterminés » bénéficiaient d’un contrôle scanographique à 3 mois, qui était considéré comme positif si son volume avait augmenté d’au moins 25 %.
Autre force de cette étude : elle a montré un bénéfice supérieur chez les femmes, chez qui la mortalité spécifique par CP a été réduite de 59 % (IC95 [0,19 – 1,84]) à 8 ans. Le bénéfice est devenu non significatif à 11ans, mais par manque de puissance (≈ 16 % de femmes seulement).
Si le dépistage diminue clairement la mortalité spécifique par CP, son effet sur la mortalité globale reste plus controversé. L’étude NLST a rapporté une réduction de 6,7 % de la mortalité globale, mais une métaanalyse anglaise de 2021, UKLS, a estimé qu’elle était réduite de façon non significative, de 3 % (HR = 0,97 [0,94 –1]). Quand une revue de la Cochrane database en 2022 retrouvait un résultat significatif sur la mortalité toutes causes confondues : HR = 0,95 [0,91 – 0,99] (2).
La situation en France
Il n’existe pour l’instant pas de dépistage organisé du CP en France. En 2021, l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT), le Groupe d’oncologie de langue française (Golf) et la Société de pneumologie de langue française (SPLF), se sont prononcés en faveur d’un dépistage individuel des fumeurs à risque, à savoir âgés de 50 à 74 ans, ayant fumé (sevrage ≤ 10 ans) plus de 15 cigarettes par jour pendant au moins 25 ans ou plus de 10/j pendant au moins 30 ans, en considérant qu’il était aussi possible de le proposer aux sujets dont la durée de sevrage est comprise entre 10 à 15 ans, car l’étude NLST incluait les patients sevrés jusqu’à 15 ans (6). Afin d’optimiser les bénéfices et éviter les risques de surdiagnostic, il est essentiel de bien prendre en compte ces critères d’inclusion mais ceux de non-éligibilité (lire tableau).
Le surdiagnostic est défini comme le fait de diagnostiquer et de traiter une tumeur qui n’aurait pas retenti sur l’espérance de vie du sujet, soit du fait de sa faible agressivité, soit de l’existence de comorbidités. Ainsi, le scanner thoracique à faible dose doit être réalisé chez des sujets pouvant en tirer un bénéfice sur le long terme, éligibles à une chirurgie thoracique, à un traitement loco-ablatif ou capables de subir des explorations invasives. La présence de comorbidités sévères est donc un critère de non-inclusion ou de sortie du dépistage.
De plus, le test ne doit être réalisé que chez des sujets asymptomatiques. La présence d’une symptomatologie respiratoire évocatrice de cancer (hémoptysie, altération de l’état général, etc.) doit d’emblée mener à des investigations spécifiques. Il est aussi important de rappeler que les sujets ayant un antécédent de CP, ou d’un autre cancer, ne sont pas éligibles car ils ne rentrent plus dans le cadre du dépistage mais bien dans le suivi de la maladie carcinologique traitée.
En l’absence de données, la question reste ouverte de savoir s’il faut proposer un dépistage au-delà de 74 ans.
En pratique, le dépistage doit être réalisé avec une tomodensitométrie (TDM) à faible dose, sans injection de produit de contraste, sur un appareil multibarrette avec une analyse volumétrique des anomalies détectées selon les recommandations européennes actuelles. Il est important que ces examens successifs soient interprétés par des radiologues formés au dépistage (7).
La durée minimale optimale de dépistage a été déterminée entre 5,5 et 10 ans, en se fondant sur les études Nelson et Mild. Il est actuellement recommandé de réaliser les deux premiers scanners à un an d’intervalle, puis la durée pourrait être allongée à deux ans si les deux premiers sont négatifs et que le tabac est le seul facteur de risque. Dans tous les cas, l’intervalle ne devrait pas excéder deux ans, sous peine de voir se développer des cancers d’intervalle comme observé dans l’étude Nelson. L’étude « 4-In the lung run », bénéficiant d’un financement européen, permettra d’affiner les choses. Pour l’instant, l’analyse intermédiaire de l’étude Mild a montré l’absence de différence entre un rythme annuel et bi annuel.
Il est préconisé de maintenir un rythme annuel en cas de présence de facteurs de risque supplémentaire de CP comme une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou la présence d’emphysème sur une imagerie thoracique.
Une opportunité de prise en charge
Le dépistage doit être également vu comme le moment propice pour la proposition d’un sevrage tabagique. Il a été démontré qu’une aide au sevrage à ce moment permettait de réduire significativement les morbidités et mortalités liées au tabac et ce, quelle que soit la technique proposée.
La consultation et le scanner thoracique réalisés lors du dépistage seraient une opportunité pour identifier, cliniquement et radiologiquement, les comorbidités liées au tabagisme, notamment cardiovasculaires. Le taux de prévalence de calcifications coronaires était de 51 %, d’ostéoporose de 54 % et d’emphysème de 44 % en situation de dépistage. Sans compter la découverte éventuelle de masses médiastinales, nodules thyroïdiens, pneumopathies interstitielles diffuses fibrosantes, pouvant nécessiter une prise en charge particulière selon les cas.
Les recherches en cours
Afin d’optimiser l’adhésion de la population cible, et notamment des plus précaires sur le plan socioéconomique, « The Manchester lung health checks » a testé le scanner thoracique mobile : un bus de dépistage est positionné près des centres commerciaux. Le taux de participation était de 96,8 % au premier tour et de 90 % au second. Il a été trouvé 3 % de CP, dont 80 % étaient de stades localisés. L’équipe du Pr Couraud à Lyon a aussi en projet l’étude Mob’ilyad, qui visera à évaluer la faisabilité de cette modalité en France.
L’optimisation de l’interprétation des scanners thoraciques est un enjeu central au vu de la taille de la population cible en France, estimée entre 2,5 et 3,7 millions de personnes. En 2019, une étude a montré qu’une intelligence artificielle (IA) dotée d’un algorithme de « deep learning » était aussi efficace que des lecteurs humains pour diagnostiquer le cancer du poumon… Toutefois il s’agissait d’une analyse rétrospective sur les données de NLST ; à ce jour, il n’y a aucune étude de validation prospective de l’IA, appliquée sur les scanners actuels de dépistage en très faible dose. En France, l’étude Da Capodu Pr Marquette au CHU de Nice, testera son impact dans la détection des nodules pulmonaires suspects. Et l’étude multicentrique nationale Cascade, menée par les Prs Revel et Wislez dans quatre villes françaises (Paris, Rennes, Béthune et Grenoble) a pour objectif d’inclure 2 400 femmes volontaires asymptomatiques, entre 50 et 74 ans, fumeuses ou ex-fumeuses, ayant fumé au moins 20 PA et sevrées depuis moins de 15 ans. L’objectif principal est d’évaluer la lecture des scanners par un radiologue non expert formé au dépistage, aidé d’une solution d’IA par rapport au mètre étalon des études internationales, qui est une lecture par deux radiologues experts.
* Unité d’oncologie thoracique, service de pneumologie, Hôpital Cochin, AP-HP et Université Paris Cité ** Service de radiologie, Hôpital Cochin, AP-HP et Université Paris Cité *** Centre de recherche des Cordeliers, Sorbonne Univ, Inserm (1) Debieuvre D et al. The Lancet Regional Health - Europe. 2022 Nov 1;22:100492 (2) Bonney A et al. Coch data sys rev. doi/10.1002/14651858.CD013829.pub2/abstract (3) Marchal E et al. Respir Med Res. 2023 Feb 20;83:100992 (4) The NLST Research Team. N Engl J Med. 2011 Aug 4;365(5):395-409 (5) Koning HD et al. Jof Thoracic Oncology. 2018 Oct 1;13(10):S185 (6) Couraud S et al. Rev Mal Resp 2021(38)3:310-25 (7) Xu DM et al. Lung Cancer. 2006 Nov 1;54(2):177-84
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