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Dossier

CPLF 2022

Pneumologie, au-delà des stéréotypes

Par Hélène Joubert - Publié le 21/02/2022
Pneumologie, au-delà des stéréotypes


GARO/ PHANIE

Au Congrès annuel de pneumologie de langue française (CPLF, 21 au 23 janvier 2022, Lille), l’accent a été mis sur ces pathologies respiratoires fréquentes mais parfois invisibles, banalisées ou sujettes à des stéréotypes, comme la toux chronique dans la BPCO, le syndrome obésité hypoventilation ou encore le cancer du poumon chez la femme.

 

 

La toux chronique, un facteur pronostique péjoratif chez les patients BPCO

Plus qu’un symptôme, la toux chronique est une pathologie à part entière qui suscite un intérêt croissant. En témoigne le récent Congrès de pneumologie de langue française, qui a consacré toute une session à la toux chronique du patient atteint de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO).

Au même titre que l’évaluation de la dyspnée, « chez un patient BPCO, il faut être attentif à la présence d’une toux chronique, insiste le Pr Laurent Guilleminault (Toulouse), qui coordonne les recommandations nationales sur la toux chronique, dont la parution est attendue au second semestre 2022. Malheureusement, premier signe d’une BPCO, la toux chronique est souvent considérée comme une conséquence attendue du tabagisme ou de l’exposition environnementale et l’on y prête peu attention ». Pourtant, celle-ci est répandue et sévère. Récemment formalisée au niveau international, la définition de la toux chronique est une toux qui dure depuis au moins huit semaines. Elle a remplacé le concept flou et empirique de la bronchite chronique, ce qui a permis d’en entrevoir la prévalence. Si la toux chronique concerne 3,4 % à 22 % de la population générale, 14 à 74 % des patients atteints d’une BPCO sont touchés, dont 42 % sont des fumeurs actifs, 26 % d’ex-fumeurs et 22 % des non-fumeurs.

La toux retentit sur la qualité de vie, avec une forte dégradation des scores chez des patients BPCO tousseurs chroniques. De plus, ceux qui en souffrent semblent avoir un stade GOLD de sévérité de la BPCO plus altéré et être plus souvent sujets à des exacerbations (risque supérieur à 50 %). Selon les études, « un patient avec une BPCO qui tousse de manière chronique est plus dyspnéique, a un VEMS et une qualité de vie altérés, et a tendance à exacerber plus souvent, résume le Pr Guilleminault. Enfin, une toux chronique accroît le risque de décès. » Il a aussi été constaté un recours plus fréquent aux soins primaires. Concernant la physiopathologie, les recherches sont quasiment au point mort et seule une CPR plus élevée distinguerait les tousseurs des autres. Selon le Pr Guilleminault, la sensibilité de la toux semble associée au risque d’inflammation systémique, cette dernière jouant un rôle – qui reste à démontrer – dans l’augmentation du risque d’exacerbation, la dégradation bronchique et le décès. Enfin, parmi les facteurs prédictifs de toux chez les BPCO, le tabac ressort comme le principal facteur de risque.

En pratique, aucun médicament spécifique n’existe pour soulager la toux chronique dans le cadre de la BPCO. Des antagonistes sélectifs des récepteurs P2X3 vont être bientôt commercialisés mais dans la toux chronique réfractaire, sans que l’on connaisse leur effet en cas de BPCO. Aucune étude spécifique n’a été conduite sur la toux chronique chez les patients avec une BPCO pour un médicament donné. Deux études non conçues dans cette optique suggèrent un léger effet des bronchodilatateurs. D’autres essais discutables semblent en faveur d’un effet modeste du tiotropium, mais rien de concluant concernant les corticoïdes. Seule l’azithromycine a démontré une amélioration du score de qualité de vie après 12 semaines de traitement. Une utilité potentielle évoquée dans les recommandations européennes à condition d’évaluer la balance bénéfices-risques engendrée par la pression de sélection bactérienne de cet antibiotique. « Au quotidien, le médecin peut déjà favoriser le sevrage tabagique, équilibrer la BPCO et traiter les comorbidités (RGO, rhinosinusite, etc.), indique Laurent Guilleminault. Si la toux persiste, un avis pneumologique est conseillé ».

Cancer du poumon : l’oncogenèse différente chez les femmes ?

Comme l’a révélé l’étude KBP-2020 détaillée lors du congrès, l’augmentation des cancers pulmonaires féminins est exponentielle : ceux-ci représentent désormais 34,6 % de l’ensemble des cas contre 16 % en 2000 et 24 % en 2010 avec des patientes de plus en plus jeunes. Dans le monde, le cancer du poumon est désormais la première cause de décès par cancer chez les femmes, devant celui du sein.

Si le cancer bronchopulmonaire féminin partage de nombreux points communs avec le cancer du poumon chez l’homme, dont le tabagisme comme principal facteur de risque, il possède cependant certaines spécificités. « Selon la littérature, parfois de faible niveau de preuve, les femmes sont plus susceptibles d’être diagnostiquées à un plus jeune âge, de présenter un adénocarcinome, une addiction oncogénique et de ne pas fumer », résume le Pr Julien Mazières (Toulouse). D’autres facteurs de risque, en particulier environnementaux (hydrocarbures polycycliques, radon, radiations, etc.) ou endogènes (œstrogènes et polymorphismes génétiques), sont aussi pointés du doigt mais sans preuves définitives.

Concernant la piste hormonale, plusieurs facteurs de risques impliqués dans le cancer du sein ont également été retrouvés dans le poumon, comme la ménopause précoce, des cycles courts, la prise de substituts œstrogéniques, des antécédents de cancers hormonaux dépendants et une potentialisation des œstrogènes et du tabac. De plus, l’expression de récepteurs hormonaux est fréquente dans le cancer du poumon, avec une expression importante des récepteurs aux œstrogènes alpha chez les femmes non fumeuses. Autre argument, il existe une interaction très nette de la voie des facteurs de croissance (EGFR, PI3Kinase-AKT) avec celle des récepteurs hormonaux. Pourtant, deux essais français, dont Ladie IFCT-1003, testant l’association d’un anti-œstrogène (fulvestrant) et d’un inhibiteur de tyrosine Kinase de l’EGFR pour bloquer le développement tumoral, concluants chez la souris, ont été mis en échec chez la femme.

« Il y a aussi une possible inégalité face au tabac », poursuit le Dr Mazières. Pour un même nombre de paquets-années, les femmes développeraient plus de cancers bronchiques. « Cela pourrait s’expliquer par le fait que l’expression de certains gènes serait soit augmentée (CYP1A1, CRPR, ABCB1, P53, EGFR mutations, BAX, HER2, VEGRF3, XIST…), soit diminuée (des enzymes de réparation de l’ADN des gènes ERCC1, BRCA1, JAR1D1…), explique Julien Mazières. Les femmes auraient donc un mécanisme de réparation génomique des agressions un peu moins efficace, mais cela reste théorique ».

De plus, si le cancer bronchique épidermoïde et l’adéno­carcinome résultent d’un agrégat de mutations multiples sensibles à la chimiothérapie et à l’immunothérapie, d’autres cancers bronchiques sont plutôt dus à des mutations génétiques uniques (ou « addictions onco­géniques »), qui répondent aux thérapies ciblées. Or l’addiction oncogénique semble concerner plus souvent les femmes et les non-fumeurs. Cette surreprésentation des anomalies génétiques qui peuvent être potentiellement ciblées constituent une « chance » pour les femmes, d’autant qu’elles répondraient mieux aux traitements que les hommes, sans que l’on en connaisse les raisons. Aujourd’hui, de nombreuses thérapies ciblées disposant d’AMM ou d’ATU dans le cancer du poumon ciblent les différentes mutations en cause. « C’est pourquoi il faut rechercher de manière systématique les anomalies moléculaires chez les femmes », insiste le Pr Mazières.

Le syndrome obésité hypoventilation, une cause fréquente d’insuffisance respiratoire

L’obésité connaît une progression importante dans les pays occidentaux, chez les sujets âgés comme chez les jeunes. Elle a doublé depuis 1997 et en 2021, 17 % des Français étaient en situation d’obésité. L’obésité massive a, quant à elle, pratiquement doublé entre 2009 et 2020 passant de 1,1 % à 2 %, et concerne désormais plus d’un million de Français. « Par conséquent, le syndrome obésité hypo­ventilation (SOH) devient une cause importante d’insuffisance respiratoire », souligne le Dr Sandrine Pontier-Marchandise (Toulouse).

Pour autant, les chiffres de prévalence sont quasi inexistants en population générale. Les rares données proviennent des services d’hospitalisation et centres du sommeil. Ces derniers estiment la prévalence entre 8 et 20 % en se basant sur leurs patients. Le syndrome obésité hypoventilation combine une obésité (IMC ≥ 30 kg/m2) avec une hypoventilation alvéolaire (hypercapnie diurne PaCO2 ≥ 45 mm Hg), et fréquemment des troubles respiratoires du sommeil (syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS), ou hypoventilation nocturne), en l’absence d’autres causes d’hypoventilation (BPCO, médicaments, dilatation des bronches, fibrose pulmonaire...).

Pour le Dr Pontier-Marchandise, repérer et traiter ces patients est une nécessité du fait de leur morbidité majeure, avec notamment un risque important d’hypertension artérielle pulmonaire et d’insuffisance cardiaque. Et si la mortalité d’un sujet avec un SOH traité est comparable à celle d’un sujet obèse sans SOH, il semblerait, d’après certaines études observationnelles, que les sujets SOH non traités aient une surmortalité.

Mal identifiés, nombreux sont pourtant ceux que l’on retrouve en réanimation – « avec une décompensation hypercapnique qui sera trop souvent appelée BPCO sans même l’avoir vérifié », déplore la pneumologue. Dans une étude, 65 % des patients SOH avaient déjà été admis en réanimation pour un épisode comparable sans avoir été diagnostiqués.

La Société de pneumologie de langue française (SPLF) et la Société française de recherche et médecine du sommeil recommandent la gazométrie artérielle chez tout patient ayant un SAHOS et une BPCO associée et/ou une obésité avec un IMC > 35 kg/m2 et/ou une SaO2 d’éveil inférieure à 94 % et/ou un trouble ventilatoire restrictif (capacité pulmonaire totale < 85 %).

La prise en charge thérapeutique est sous-tendue par la physiopathologie du SOH, qui guide les modalités de la ventilation mise en place en attendant la perte de poids qui reste l’objectif essentiel pour limiter le SOH.

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