APRÈS L’HÉPARINE et les AVK, les héparines de bas poids moléculaires, apparues dans les années 1980, puis le fondaparinux, développé dans les années 1990, de nouveaux anticoagulants, essentiellement synthétiques, sont apparus en nombre (1). Ces molécules ont une action rapide, elles sont administrées par voie orale et agissent par inhibition sélective et directe du facteur IIa ou du facteur Xa. L’amélioration constante du maniement de l’héparine non fractionnée et des AVK ayant toutefois permis d’obtenir des résultats « difficiles à surpasser » dans les essais thérapeutiques (1), la littérature récente comporte donc de nombreux essais de non-infériorité. Ainsi, les nouvelles molécules ont essentiellement pour finalité de simplifier le traitement sans nécessairement avoir pour objectif une amélioration des résultats en termes de récidives thromboemboliques et/ou de saignements.
Des molécules actives par voie orale, sans ajustement posologique.
Ces nouveaux anticoagulants appartiennent, soit à la classe des anti-Xa (leur DCI comporte alors un X : rivaroxaban, apixaban, edoxaban), soit à celle des anti-IIa ou thrombine (les DCI comportent un T : dabigatran). Ces molécules rapidement absorbées ont une demi-vie d’élimination de l’ordre de 12 heures. Le dabigatran est éliminé essentiellement par le rein, alors que le rivaroxaban et l’apixaban sont à élimination mixte. Leur profil pharmacocinétique est supposé prévisible, et leur prescription ne nécessite pas d’ajustement posologique ni de surveillance biologique particulière.
Cependant, dans certaines situations cliniques, par exemple un saignement important impliquant un organe vital, un surdosage éventuel ou une intervention chirurgicale en urgence, une évaluation de l’effet anticoagulant peut être nécessaire afin de guider la prise en charge. Les tests biologiques usuels ne permettent pas d’apprécier l’effet de ces nouvelles drogues sur la coagulation et le risque hémorragique ; des travaux sont actuellement en cours pour résoudre ces questions qui vont devenir incontournables avec l’utilisation des ces médicaments en routine.
Des essais de non-infériorité et des métaanalyses.
Le dabigatran a été étudié initialement dans la thromboprophylaxie après prothèse de hanche et de genou, puis, plus tard, dans le traitement des accidents thromboemboliques veineux. Trois études portant sur des milliers de patients ont comparé cette molécule à l’énoxaparine. Leurs résultats, favorables et convaincants, ont fait l’objet d’une métaanalyse, qui a regroupé plus de 8 000 patients opérés de la hanche ou du genou (4). Celle-ci a montré que l’efficacité et la tolérance du dabigatran sont équivalentes à celles du traitement de référence.
Une autre métaanalyse récente a montré que le rivaroxaban est plus efficace que l’énoxaparine pour prévenir les thromboses veineuses profondes et les embolies pulmonaires non fatales (5).
Concernant la prévention en milieu médical, l’étude MAGELLAN a montré que le rivaroxaban est non inférieur à l’énoxaparine au dixième jour en termes d’efficacité mais avec une augmentation des complications hémorragiques (6). Elle a également montré qu’une prophylaxie pendant 35 jours est plus efficace qu’une prophylaxie limitée à 10 jours en termes de prévention, mais au prix d’une augmentation des complications hémorragiques. Dans l’étude ADOPT, l’apixaban administré à la dose de 2,5 mg deux fois par jour pendant 30 jours était comparé à l’énoxaparine à la dose de 40 mg par jour pendant au moins 6 jours et jusqu’à la sortie chez des malades hospitalisés pour raison médicale. L’apixaban ne s’est pas montré supérieur à l’énoxaparine malgré une augmentation des hémorragies graves (7).
Pour la prise en charge de la maladie thromboembolique veineuse symptomatique après un traitement initial de 10 jours par héparine, l’étude RE-COVER a permis de comparer le dabigatran aux AVK chez des patients nécessitant un traitement de six mois (8). Le dabigatran administré à la dose de 150 mg deux fois par jour est apparu non inférieur à la warfarine en termes d’efficacité, sans différence d’incidence des hémorragies majeures. Dans cet essai, le dabigatran était administré après une médiane de neuf jours de traitement par HBPM.
Concernant le rivaroxaban, l’étude EINSTEIN a été mise en œuvre afin d’évaluer son efficacité et sa tolérance dans le traitement de la thrombose veineuse profonde (9). Dans cette étude, le rivaroxaban était donné d’emblée, sans traitement préalable par HBPM, mais à une dose de 15 mg deux fois par jour pendant trois semaines, suivie d’une dose de 20 mg une fois par jour pendant la suite du traitement. Le critère principal d’efficacité était les récidives de TVP et le critère principal de tolérance les saignements majeurs ou cliniquement significatifs. Le rivaroxaban est apparu non inférieur à l’énoxaparine relayée par un AVK. En termes de tolérance, la survenue du critère principal a été constatée chez 8,1 % des patients de chaque groupe. Une hémorragie majeure est survenue chez 14 des 1 718 patients du groupe rivaroxaban et chez 20 des 1 711 malades sous warfarine.
Une interprétation délicate.
Au total, l’interprétation des essais cliniques réalisés avec les nouvelles molécules n’est pas aisée (1). Les essais de prévention en milieu médical se sont avérés décevants alors que les mêmes molécules sont au moins aussi efficaces que les traitements par HBPM en prophylaxie de la maladie veineuse thromboembolique après chirurgie orthopédique majeure. Les essais disponibles dans le traitement de la maladie veineuse thromboembolique indiquent que les nouvelles molécules ne sont pas inférieures au traitement classique sans pour autant montrer de supériorité. Les performances du traitement de référence dans ces essais sont excellentes, et elles contrastent avec les complications hémorragiques souvent observées en pratique clinique. Les AVK restent en effet l’une des classes thérapeutiques responsable des effets indésirables les plus fréquents. Des études réalisées dans des populations moins sélectionnées seront vraisemblablement nécessaires avant une large utilisation de ces produits. Enfin, la conduite à tenir en cas de saignement ou de chirurgie urgente demande à être définie.
D’après un entretien avec le Pr Guy Meyer, service de pneumologie - soins intensifs, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
Conflits d’intérêt
Essais cliniques, en qualité de coïnvestigateur, expérimentateur non principal, collaborateur à l’étude : Daiichi Sankyo ; Bayer ; sanofi-aventis ; Leo Pharma.
Interventions ponctuelles : activités de conseil non rémunérées : Bayer
Conférences, invitations en qualité d’intervenant non rémunéré : Leo Pharma ; sanofi-aventis ; Boehringer Ingelheim.
Conférences, invitations en qualité d’auditeur (frais de déplacement et d’hébergement pris en charge par une entreprise) : Leo Pharma ; Boehringer Ingelheim.
(1) Meyer G. A la recherche de la molécule idéale. Une brève histoire des anticoagulants. Rev Mal Respir 2011;28(8):951-3.
(2) Van Ryn J, et coll. Dabigatran etexilate - a novel, reversible, oral direct thrombin inhibitor: Interpretation of coagulation assays and reversal of anticoagulant activity. Thromb Haemost 2010;103(6):1116-27.
(3) Samama MM, et coll. Assessment of laboratory assays to measure rivaroxaban--an oral, direct factor Xa inhibitor. Thromb Haemost 2010;103(4):815-25.
(4) Wolowacz SE, et coll. Efficacy and safety of dabigatran etexilate for the prevention of venous thromboembolism following total hip or knee arthroplasty. A meta-analysis. Thromb Haemost 2009;101:77-85.
(5) Loke YK, Kwok CS. Dabigatran and rivaroxaban for prevention of venous thromboembolism - systematic review and adjusted indirect comparison. J Clin Pharm Ther 2011;36:111-24.
(6) Cohen AT. Rivaroxaban compared with enoxaparin for the prevention of venous thromboembolism in acutely ill medical patients. Session scientifique 2011 du Congrès de l’American College of Cardiology, (La Nouvelle-Orléans).
(7) Goldhaber SZ, et coll. ; for the ADOPT Trial Investigators. Apixaban versus enoxaparin for thromboprophylaxis in medically Ill patients. N Engl J Med 2011;365:2167-77.
(8) Schulman S, et coll. ; RE-COVER Study Group. Dabigatran versus warfarin in the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med 2009;361:2342-52.
(9) The EINSTEIN Investigators. Oral rivaroxaban for symptomatic venous thromboembolism. N Engl J Med 2010;363(26):2499-510.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024