LE QUOTIDIEN : Comment est née l'idée de ce programme ?
Dr Olivier Leleu : En 2011, une grande étude américaine, The National Lung Screening Trial (NLST), a prouvé que réaliser un CT scanner à faible dose des poumons chez des personnes avec un profil à risque permet de réduire la mortalité de 20 %. Confortée par ces résultats, l'idée d'une campagne de dépistage organisé du cancer du poumon a fait son chemin en France. Par ailleurs, la Somme fait partie des départements où l'on constate une surmortalité liée au cancer du poumon par rapport aux données nationales. Dans ce contexte, parallèlement aux réflexions sur la filière cancérologie et sur la territorialisation, il nous a semblé pertinent d'être un département pilote pour cette étude.
Comment s'est déroulé concrètement ce programme de dépistage ?
Ce programme s'adressait spécifiquement à la population à risque, c'est-à-dire les très gros fumeurs (un paquet par jour durant trente ans) âgés de 55 à 74 ans, soit des fumeurs actifs, soit des fumeurs ayant arrêté depuis moins de 15 ans. La réussite de sa mise en place est le fruit de l'implication très forte des médecins généralistes du département, qui faisaient partie intégrante du dispositif : ce sont eux qui ont prescrit le scanner faiblement irradiant aux patients susceptibles de s'inscrire dans l'étude, tout en leur apportant conseils et expertise sur l'arrêt du tabac. Nous avons également travaillé en étroite collaboration avec l'Adema 80 (Association Dépistage des Maladies dans la Somme). En effet, leur expérience dans l'organisation des programmes de dépistage des cancers du sein et du colon a été précieuse.
En quoi le protocole de cette étude était-il original ?
L'un des reproches formulé au sujet de l'étude NLST était le nombre très important de faux positifs, soit l'absence de cancer malgré un dépistage positif. Afin d'en diminuer le nombre et en collaboration avec le service de radiologie, nous avons décidé d'intégrer dans notre protocole un deuxième scanner faiblement irradiant pour les dépistages indéterminés, trois mois après le premier. Ce deuxième examen nous a permis de reclasser les indéterminés en positif ou négatif et de diminuer sensiblement le nombre de faux positifs.
L'étude réalisée dans la Somme s'est achevée fin 2018. Pouvez-vous nous parler des premiers résultats ?
L'étude est en cours de finalisation mais l'analyse intermédiaire à deux ans nous permet d'avoir déjà quelques données pertinentes. Plus de 1 000 patients ont été recrutés, près de 800 ont effectué le scanner faiblement irradiant et le taux d'adhésion au protocole s'élève à 73 %, ce qui est plutôt très positif. Quant aux résultats des examens, on a découvert en moyenne 1 cancer pour 40 scanners effectués et il s'agissait majoritairement de cancers très localisés, qui ont été traités chirurgicalement et qui sont désormais considérés comme guéris. Quand on sait que, sans dépistage, 75 % des cas de cancer du poumon sont métastatiques, avec des chances de survie très faibles du patient, on perçoit toute l'utilité d'un tel programme.
Vous allez présenter cette étude en avril prochain à l'European Lung Cancer Congress (ELCC) 2019 à Genève. En attendant cette communication, quelles sont vos premières conclusions ?
Le premier point est la faisabilité d'un tel programme de dépistage organisé du cancer du poumon. En effet, en travaillant avec l'Adema 80, les médecins généralistes et les radiologues, nous avons montré qu'un tel projet était réalisable dans de bonnes conditions et de manière structurée. La seconde conclusion est l'efficacité d'un tel programme : on dépiste en grande majorité des petits cancers, pour lesquels on peut proposer un traitement curatif. Avec le dépistage, on arrive donc avant que la maladie ne se soit trop développée, à un stade où l'on peut encore soigner. Un groupe d'experts nationaux, dont je fais partie, a fait des projections et constaté que plus de 7 500 vies pourraient être sauvées chaque année en France si on mettait en place le dépistage organisé du cancer du poumon.
Quelles sont désormais les perspectives ?
Dans la Somme, dans le sillage de l'étude, les médecins généralistes sont invités à prescrire un dépistage individuel par scanner faiblement irradiant aux patients à risque. Quant au niveau national, le groupe d'experts – dont la dernière réunion s'est déroulée à Lyon en novembre dernier – recommande vivement aux pouvoirs publics d'instaurer ce programme de dépistage dans l'Hexagone. S'il est bien sûr difficile de prédire l'avenir, les dernières données et les initiatives observées dans d'autres pays d'Europe (Pays-Bas, Belgique) m'amènent à penser que la France devrait à court terme mettre en place ce dépistage organisé du cancer du poumon, comme elle l'a fait pour le cancer du sein et du colon.
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