« Sans les professionnels, la loi et les recommandations d’ici ou là courent le risque de n’être que des faux-semblants d’attention au sort des malades. » À la veille d’un rendez-vous majeur pour la discipline, le psychiatre Jean-Pierre Olié résume les attentes d'écoute et de moyens d'un secteur sous-doté et souvent mal compris. Il en veut pour preuve la proposition de loi sur l’isolement et la contention qui « suscite un profond malaise ».
CONTRIBUTION - Le projet de légiférer sur l’isolement et la contention imposés dans des cas extrêmes d’état mental pathologique suscite un profond malaise chez les soignants en psychiatrie, qui continuent ainsi à subir les effets de stigmatisation, partagée avec les personnes porteuses d’un trouble psychique.
Est-il pertinent de suspecter les professionnels de non-respect de la personne malade et donc de dire par la loi la durée d’un isolement ou d’une contention ? Désormais, un isolement ne pourrait aller au-delà de 48 heures, une contention au-delà de 24 heures. Que devront faire les soignants si, après un ou deux jours d’isolement, ou de contention persistent automutilations et comportements hétéro-agressifs ?
Les états pathologiques qui nécessitent un isolement et/ou une contention sont ceux que ne peuvent rapidement rassurer le cadre soignant, apaiser les médicaments sédatifs. Que devront donc faire les soignants si, après 24 ou 48 heures, la situation n’est pas améliorée ? Laisser subir au malade et aux autres malades les graves troubles du comportement que la maladie induit ? Ou pis, ils devront anticiper, en prenant le risque de prescrire des doses de sédation potentiellement létales ?
Au lieu d’une contrainte légale, dangereuse pour les malades, réfléchissons au moyen de faciliter voire imposer une analyse de cas en urgence lorsque contention ou isolement sont décidés. Un collège pluriprofessionnel saurait aider ceux qui ont la responsabilité de cet isolement ou contention à approfondir l’évaluation de leur prise en charge : l’addition d’intelligences sur un cas est la meilleure garantie que l’on puisse concevoir. Et elle ne conduira pas nécessairement à la levée de l’isolement après 48 heures ou de la contention après 24 heures : telle est la réalité que peut imposer la maladie mentale.
Un rapport accablant
N’y suffisant pas, la Cour des comptes rend public un rapport qui affirme que les moyens d’une bonne organisation des soins en santé mentale sont… « négligés » (sic)…Les durées d’hospitalisation en psychiatrie sont trop longues, les hospitalisations sans consentement trop nombreuses. Ces non-sachants de la pratique de la psychiatrie déclarent qu’une gradation de l’offre de soins est nécessaire pour des parcours de soins « efficaces ». On regrette que les auteurs de ce rapport n’enseignent pas sur la définition de « parcours efficaces » en psychiatrie.
La Cour des comptes découvre qu’en France une large part de l’activité de médecine spécialisée pourrait être opérée par des professionnels non médecins : ce qui est vrai pour certains actes d’écoute, soutien psychologique ou conseil, l’est pour le suivi du développement de l’enfant, pour la surveillance de la pression artérielle, et bien d’autres situations… Nos concitoyens doivent accepter que le psychiatre, le pédiatre, le cardiologue et les autres spécialistes réservent leur temps à ce pour quoi leur expertise le nécessite.
D’où naît que la psychiatrie est la spécialité la plus faiblement dotée en nombre d’enseignants et financements de recherche ?
Déjà suspects de propension à des isolements et contentions abusivement prolongés, les soignants en psychiatrie le sont donc aussi de maintenir indûment des personnes à l’hôpital, d’abuser de soins sans le consentement du malade ! Faut-il rappeler qu’une large part des hospitalisations sans consentement, voire leur durée, dépendent du préfet, lorsque la personne malade est considérée comme une menace pour l’ordre public ?
Faut-il rappeler que ce sont les familles de malades qui signent une demande d’hospitalisation sans son consentement lorsqu’un proche malade n’est pas en état de percevoir la nécessité de soins ?
Faut-il encore rappeler que les associations de famille de malades ont soutenu, contre l’avis des psychiatres, que soit instaurée en 1990 l’hospitalisation à la demande d’un tiers dite sans tiers (sic), donc sans prise de décision de l’entourage ? Ainsi, lorsque, face à un malade qui refuse l’hospitalisation qui apparaît nécessaire au médecin, le psychiatre est-il mis en situation de prendre sur lui : soit de déclencher une hospitalisation sans consentement, soit d’assumer les risques d’accident (suicide par exemple) en n’ayant pas provoqué l’hospitalisation. Comme on devait l’attendre, cette disposition réglementaire a produit un accroissement du nombre d’hospitalisations psychiatriques sans consentement.
Des dotations atrophiées
Les pratiques en psychiatrie méritent vraiment une analyse autre qu’à charge. La Cour des comptes a omis d’aborder quelques points pourtant de son ressort. Faire évoluer les financements des soins en psychiatrie : durant les dernières décennies, les allocations financières à la psychiatrie publique n’ont cessé de s’atrophier alors que dans le même temps la file active des patients doublait. Nombre d’établissements psychiatriques publics seraient en impasse financière si tous les postes de psychiatres étaient occupés ! Revoir la répartition des financements consentis : la dotation financière de chaque établissement est reconduite à partir des dotations historiques avec un jeu d’érosion régulière. Aucun critère n’est pris en compte : population desservie, nombre de patients vus dans l’année, nombre d’actes médicaux et non médicaux, activités innovantes, densité de l’offre psychiatrique privée sur le territoire…
Des actions d’optimisation des temps soignants en santé mentale et psychiatrie ont été entreprises : quid des coûts et de l’efficience de ces expériences menées par la DGS ou la CNAM pour aider le médecin généraliste à orienter les patients qui doivent l’être vers le spécialiste en psychiatrie ? D’où naît que la psychiatrie est la spécialité la plus faiblement dotée en nombre d’enseignants et financements de recherche ? Des recommandations pour faire évoluer cet état de fait seraient opportunes.
La stigmatisation, frein au progrès
Le président de la République a annoncé des Assises de la psychiatrie avant l’été : avec l’aide des acteurs de la psychiatrie (médecins, infirmiers, travailleurs sociaux, psychologues, associations de patients et de familles…), cette initiative permettra une intelligente lecture des réalités des maladies mentales, des justes besoins de celles et ceux qui en souffrent et de ceux qui assument les missions de soin, recherche et enseignement dans ce domaine. Sans les professionnels, la loi, les recommandations d’ici ou là, courent le risque de n’être que des faux semblants d’attention au sort des malades et à la qualité des pratiques en psychiatrie.
La stigmatisation des malades mentaux peut se révéler par un texte de loi, un rapport de quelque institution. Or, la stigmatisation est un frein au progrès : félicitons-nous que le président de la République veuille marquer son engagement au côté des soignants en psychiatrie pour une déstigmatisation.
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
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