Dr Caroline Agostini : « Le sport est un outil de lutte contre la mortalité prématurée des patients en psychiatrie »

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Publié le 03/09/2021
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La Dr Caroline Agostini, psychiatre au sein de l'étblissement public de santé mentale à Caen, assure la présidence de « Sport-en-tête », qui promeut le sport comme outil de soin en complément du traitement conventionnel.
Dr Caroline Agostini

Dr Caroline Agostini
Crédit photo : AFL

LE QUOTIDIEN : Vous êtes présidente de l'association « Sport-en-tête ». Qu’est-ce exactement ?

Dr CAROLINE AGOSTINI : « Sport-en-tête » regroupe plus de 300 établissements psychiatriques à la fois médico-sociaux et hospitaliers, en France mais aussi en Suisse, Belgique et au Luxembourg. Il s'agit de valoriser l'aspect soin par le sport en psychiatrie.

L'association organise différents des séjours thérapeutiques : ski, randonnée en Sologne, deux multi-sport dans le sud de la France. Ou encore « Voile en tête » avec une régate qui réunit à peu près 160 patients pendant une semaine et dont la première édition s’est déroulée en 1992.

Le sport sur ordonnance est bien implanté à Caen dans plusieurs pathologies. Comment est né le projet en psychiatrie ?

Depuis une dizaine d’années, j’ai commencé à développer l’activité physique en santé mentale au niveau de l’hôpital en lien avec la ville : nous sommes les pionniers en matière de psychiatrie. Lorsque l’on se dépense physiquement, on se sent mieux et je m’étais dit que mes patients pouvaient tout à fait se situer dans cette logique-là. En les voyant assis sur une chaise à regarder le temps qui passe, à prendre du poids avec les neuroleptiques, être atteints de syndrome métabolique, je souhaitais vivement trouver les moyens de mettre en place des exercices physiques. Étant donné leur sédentarité et leurs facteurs de risque cardiovasculaire, nos patients ont une durée de vie de 15 à 20 ans de moins que celle de la population générale. Il fallait trouver un palliatif à cette mortalité prématurée.

Quel programme d'activité physique proposez-vous à vos patients ?

Une fois que le patient est stabilisé et qu’il sort de l’hôpital, il peut accéder au sport sur ordonnance. L’idée c’est qu’une fois sorti, le sport fasse partie de son quotidien, qu’il intègre un club de la ville tout en étant accompagné ou bien directement en lien avec nous. On a la chance d’avoir un gymnase à l’intérieur de l’hôpital et à notre disposition plusieurs structures de la ville de Caen, dont une salle de gym, un vélodrome, une piscine. Nous avons entre 18 et 20 activités par semaine à proposer et les clubs privés de la ville viennent vers nous. Un cycle zumba a très bien fonctionné et les patients nous ont demandé de le refaire. Également au programme un cycle marche nordique.

Comment arriver à motiver les patients, souvent déprimés, qui rechignent à faire du sport ?

Même un patient non sportif, il est possible de le faire bouger. On lui fixe des objectifs très simples au début, on lui redonne confiance en lui et on lui fait prendre conscience progressivement qu’il fait déjà de l’activité physique quand, par exemple, il ouvre ses volets. On peut aussi le motiver en disant « vous venez à la consultation, vous vous arrêtez à l’arrêt de bus précédent et vous finissez à pied ». Petit à petit, on augmente l’intensité pour qu’il arrive à faire du vélo, du tennis.

Les patients démarrent dès leur entrée à l’hôpital et l’on essaie d’organiser des séances deux fois par semaine minimum avec les 150 minutes recommandées. Des évaluations individuelles sont réalisées avant de les intégrer à un groupe et des plaquettes qui expliquent bien les choses leur sont remises. Je suis d'ailleurs en train de travailler avec la Haute Autorité de santé pour faire des fiches patients, afin de leur faire prendre la mesure des bienfaits à long terme de l’activité physique.

Il faut que ce soit un plaisir car si le patient vit l’activité physique comme une contrainte, l’impact sur la santé mentale sera réduit avec risque d’abandon. Et pour que ce soit efficace, il faut une régularité. C’est surtout le degré d’intensité qu'il faut adapter au patient. On ne va pas faire pratiquer un sport de combat à une personne agressive qui décompense, un patient suicidaire ne va pas non plus faire de l’escalade ou du parachutisme : un accompagnement est nécessaire. Souvent l’argument qui revient pour éviter de bouger, c’est « vous avez vu le traitement que j’ai », ce à quoi je leur réponds « on va essayer, vous allez voir que cela n’aura pas d’impact ». Une fois qu’ils sont mobilisés, ils sont très contents.

Si des patients arrêtent et rechutent, ce n’est pas grave, je ne lâche pas l’affaire. On a un gros travail de phoning avec les soignants de façon hebdomadaire. Et quand on a appelé deux fois un malade et qu’il ne vient pas, un mail est adressé aux confrères en disant « attention, il décroche, il faut nous le renvoyer, que l’on fasse le point avec lui ».

Quelle complémentarité au niveau du cerveau entre sport et médicaments ?

L’activité physique, qui donne cette sensation de bien-être et qui englobe une sécrétion d’endorphines et de sérotonine, entraîne une diminution des syndromes dépressifs, du stress avec moins de sécrétion de cortisol et une amélioration de la qualité du sommeil. Quand les antidépresseurs augmentent la sécrétion de sérotonine, cela se déroule de façon physiologique avec l’activité physique.

Des initiatives peuvent être prises pour réduire les anxiolytiques, mais pas de manière systématique. C’est au cas par cas. En tout cas après des séjours comme la voile, on a vu des patients ne plus prendre de médicaments pour dormir…

D’après les études en cours, des effets immunologiques seraient à l'œuvre avec une diminution de la neuro-inflammation, une amélioration de la plasticité cérébrale jouant sur la mémoire et un effet protecteur sur les maladies neurodégénératives. Au long cours, cela prévient également les risques de rechute de syndrome dépressif.

Pour moins fumer et ne pas trop grossir, le sport a aussi son intérêt…

Comme nos patients fument beaucoup effectivement, c’est un argument de dire « faites de l’activité physique » et l’occasion d'essayer de diminuer un peu le tabac. J’arrive à leur faire accepter d’oublier la cigarette pendant la séance. C’est une de moins, et comme une petite victoire. Tout est bon pour encourager le patient.

Quant au poids, on s’est aperçu qu’ils viennent faire du sport pour maigrir. Je leur explique qu’ils ne vont pas perdre du poids dans la semaine, que cela ne fonctionne pas ainsi mais qu’ils vont se raffermir. Dans un deuxième temps, on fait une enquête nutritionnelle. Souvent mes patients viennent avec deux bouteilles de coca dans leur sac et je leur explique qu’il faudrait qu’ils revoient leur alimentation et tout ce qui gravite autour… On fait un état des lieux, on parle des repas qu’ils doivent faire ou ne pas faire.

Dans les hôpitaux, il faudrait que cette forme de soin entre dans les mœurs. Déjà, au niveau de la faculté, les jeunes médecins commencent à en entendre parler. Et puis la Haute Autorité de santé est en train d'y travailler. C’est maintenant reconnu et lors de l’interrogatoire on va de plus en plus demander au patient s’il fait du sport au même titre que s’il boit ou fume…

Propos recueillis par Agnès Figueras-Lenattier

Source : Le Quotidien du médecin