LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous nous résumer votre parcours ?
VÉRONIQUE LEFEBVRE DES NOËTTES : Je suis psychiatre de la personne âgée et je travaille à l’AP-HP depuis près de quarante ans. Mais je n’ai pas toujours fait de la gérontopsychiatrie. J’ai longtemps eu un cabinet de pédopsychiatrie en ville en secteur 1 tout en étant PH à temps partiel. J’ai, par la suite, passé ma capacité en gériatrie, et j’exerce en gérontopsychiatrie depuis 2003. J’ai par ailleurs une thèse en éthique médicale, et j’enseigne les humanités médicales auprès des jeunes médecins.
EMYLIE LENTZNER : J’ai pour ma part un peu moins d’expérience, je suis en troisième semestre de psychiatrie à Paris ! J’ai, au départ, été attirée par la médecine parce que je suis passionnée de neurosciences depuis que je suis petite. J’ai beaucoup hésité entre la neurologie et la psychiatrie, et je pense que l’une des raisons qui m’ont fait choisir la psychiatrie, c’est la volonté de prendre la parole et de travailler à la question de la déstigmatisation. J’ai en effet, dès ma deuxième année, été assez engagée, notamment à l’Anemf (Association nationale des étudiants en médecine de France, NDLR), ou encore en créant un média qui s’appelait Derrière la blouse, qui tentait de montrer des soignants qui sont inspirants.
Quelles sont possibilités de surspécialisation en psychiatrie qui vous attirent ou vous ont attirées ?
E. L. : J’envisage pour l’instant deux options de carrière dans la psychiatrie : les soins palliatifs et la gérontopsychiatrie. Je trouve que notre société est assez marquée par l’âgisme : si une personne âgée est déprimée ou triste, on a tendance à considérer que c’est normal, alors qu’en tant que psychiatre, nous avons un rôle à jouer pour offrir à ces personnes un suivi, éventuellement des antidépresseurs, etc. De plus, je pense qu’il est essentiel de participer à l’organisation des soins, et j’ai donc envie de m’engager dans le domaine de la santé publique… Je suis d’ailleurs actuellement en stage au ministère de la Santé auprès du délégué à la Santé mentale et à la Psychiatrie, Franck Bellivier.
V. L. N. : Pour ma part, j’avais commencé par la pédopsychiatrie en libéral, puis il est arrivé un moment où ce n’était plus possible : je ne gagnais pas ma vie alors que mon cabinet était plein. Je faisais des consultations d’une heure en secteur 1, ce n’était pas tenable. En m’orientant vers la gérontopsychiatrie, j’ai en quelque sorte vieilli avec mes patients ! Je suis par ailleurs totalement d’accord sur le constat qu’il y a une forme d’âgisme dans notre société, et que c’est quelque chose qu’il faut combattre.
J’ai longtemps eu du mal à oser dire que je voulais faire de la psychiatrie, c’est encore parfois une barrière à franchir
Emylie Lentzner, interne à Paris
Comment expliquez-vous la faible attractivité de la psychiatrie auprès des jeunes générations de médecins ? Chaque année, de nombreux postes d’internes ne sont pas pourvus…
V. L. N. : Il n’en a pas toujours été ainsi. De mon temps, on se battait pour les vacations en psychiatrie. Mais on a vu cette discipline, qui était très orientée vers les sciences humaines, se déliter et s’orienter vers ce qu’on appelle maintenant la santé mentale. Avec l’arrivée des DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, NDLR), la psychiatrie a été réduite à des codes. Certains faits divers ont par ailleurs fait beaucoup de tort à nos malades, et on a une attente d’internement par rapport au psychiatre. Aujourd’hui, la spécialité est mal vue : beaucoup de collègues me disent qu’en étant psychiatre et gériatre, j’ai la double peine ! Et c’est par ailleurs une spécialité qui vieillit, une grande partie des psychiatres va partir à la retraite à brève échéance…
E. L. : Je suis d’accord sur la question de la stigmatisation de la santé mentale parmi les professionnels de santé, mais je voudrais faire valoir un avis un peu moins tranché. Il est vrai que j’ai longtemps eu du mal à oser dire que je voulais faire de la psychiatrie, c’est encore parfois une barrière à franchir. Et il est vrai que cette spécialité n’est pas toujours plébiscitée dans les classements basés sur les résultats aux ECN, même s’il faut s’en méfier : aux ECN, ceux qui veulent faire de la psychiatrie n’ont pas forcément intérêt à se transformer en bêtes à concours capables de répondre à n’importe quelle question sur les dermatomyosites.
Les moyens humains sont insuffisants, les infirmiers ne sont plus formés en psychiatrie, les internes ne sont pas vraiment contents de la manière dont on les forme…
Véronique Lefebvre des Noëttes, PH à l’hôpital gériatrique Émile-Roux de Limeil-Brévannes
Comment vivez-vous les débats récurrents sur le manque de moyens dans la spécialité ?
V. L. N. : C’est un vrai sujet car il s’agit de notre capacité à accueillir au mieux nos patients. Les moyens humains sont insuffisants, les infirmiers ne sont plus formés en psychiatrie, les internes ne sont pas vraiment contents de la manière dont on les forme… Il faudrait absolument rendre la psychiatrie plus sexy, valoriser le milieu associatif, l’aspect médicosocial… Mais c’est une question de moyens et on ne les a pas.
E. L. : Étant en stage à la délégation ministérielle, je commence à avoir une vision de cette question en termes de santé publique. Les moyens commencent à être mis sur la table, mais comme il n’y a pas eu d’investissement sur la santé mentale depuis des dizaines d’années, énormément de choses sont à reconstruire. Par ailleurs, la question de la psychiatrie ne doit pas être considérée de manière isolée, il faut aussi regarder les piliers sur lesquels nous devons nous appuyer : la prévention, l’ASE (aide sociale à l’enfance, ndlr), l’école, etc. On ne pourra pas y arriver tant qu’on aura une vision exclusivement centrée sur la psychiatrie. Pour éviter d’institutionnaliser un patient, par exemple, il faut mettre beaucoup de gens autour de la table, cela ne peut pas se faire seul.
V. L. N. : C’est vrai que j’ai récemment été invitée au DAC (Dispositif d’appui à la coordination, NDLR) sur la gérontopsychiatrie dans l’Essonne, et j’ai été étonnée du nombre incroyable de solutions qui existent. Le problème, c’est que les acteurs ne se connaissent pas. Il faut une dimension territoriale. Reste que puisque l’on parle de la délégation ministérielle, on n’a pas vu grand-chose sur le terrain depuis sa création…
Vous avez toutes deux des activités extérieures à la psychiatrie, est-ce en partie pour échapper aux difficultés du quotidien que nous venons d’évoquer ?
V. L. N. : Non, je ne crois pas. J’adore ce métier, j’adore ce que je fais. Mais il est vrai que je déteste la façon dont on me le fait faire. Quand je reçois un mail qui me reproche de n’avoir fait que trois consultations mémoire dans la matinée, c’est de la quantification, de la modélisation, mais pas de la psychiatrie. Il faut donc trouver des façons de résister, et le fait de m’intéresser aux humanités médicales ou à l’éthique en fait partie.
E. L. : Je ne pense pas non plus que mes activités soient une manière de fuir les difficultés de la psychiatrie. Cela va ensemble. Après Derrière la blouse, par exemple, j’ai co-fondé un autre média qui s’appelle La Fabrique des soignants. Nous sommes un collectif de jeunes soignants engagés et nous produisons des émissions ouvertes à tous : nous mettons ensemble les professionnels de santé, les administratifs, les patients, les aidants, et nous ouvrons un espace pour échanger, discuter, nous projeter dans le système de santé que nous voulons pour notre avenir… Cela va avec mon exercice, il s’agit d’imaginer son métier au futur, et de le faire en collaboration avec tout le monde.
Que diriez-vous à un externe qui hésiterait sur son internat ? Lui conseilleriez-vous la psychiatrie ?
V. L. N. : Je tenterais de le convaincre de choisir la psychiatrie, bien sûr ! C’est le plus beau métier du monde, il met l’humain au cœur ! Et c’est une spécialité performante, elle n’a pas le côté fumeux qu’on lui attribue parfois : avec les neurosciences, la santé publique, les associations, les pairs aidants, je peux assurer à cet externe que s’il se dirige vers cette spécialité, il sera gratifié.
E. L. : Il est vrai qu’on base souvent nos choix d’internat sur une ou deux expériences en stage, qui ne reflètent pas forcément ce qu’on va connaître dans la vraie vie. Ce qui est sûr, c’est qu’énormément de choses bougent dans la psychiatrie : la pair-aidance, la collaboration avec le patient, les mesures qui permettent d’anticiper les crises, le souci de respecter les choix du patient et d’être au plus proche de ses besoins… et je ne parle pas des recherches en neurosciences, des médicaments qui révolutionnent la manière dont on traite la dépression… Il ne faut donc pas avoir peur des clichés souvent véhiculés sur la spécialité. Par ailleurs, je ne suis pas là pour faire du pink washing mais il faut ajouter que l’internat de psychiatrie est un internat où l’on peut avoir une vie privée et du temps pour soi : la psychiatrie, contrairement à d’autres spécialités, arrive à respecter la réglementation sur le temps de travail des internes. Cela devrait être une norme, car c’est très important d’avoir ce temps pour décharger tout ce qu’on peut rencontrer lors de nos stages.
Repères Emylie Lentzner
2017 : vice-présidente de l’Anemf
2018 : cofondatrice du média étudiant Derrière la Blouse
2022 : interne en psychiatrie
2023 : cofondatrice du média associatif La Fabrique des Soignants
Repères Véronique Lefebvre des Noëttes
1987 : qualification de pédopsychiatre
1993 : PH en temps partiel et cabinet de pédopsychiatrie en banlieue parisienne
2003 : capacité de gériatrie et PH en gérontopsychiatrie
2016 : docteure en philosophie pratique et éthique médicale
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?