Ruminations mentales chez les jeunes : une équipe française dévoile les réseaux cérébraux à l’œuvre

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Publié le 11/10/2024

Des chercheurs français ont identifié des réseaux cérébraux associés aux ruminations mentales chez les 18-22 ans et en lien probable avec le développement de symptômes psychiatriques. Une piste pour la prévention.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Mieux comprendre les ruminations qui apparaissent à l’entrée dans l’âge adulte pour prévenir l’apparition de pathologies psychiatriques ? Tel est le projet de l’équipe Inserm « Trajectoires développementales en psychiatrie » (Inserm/ENS Paris-Saclay)* qui a décrit pour la première fois les réseaux cérébraux associés à ces pensées mentales répétitives (sentiment de tourner en boucle) et leur évolution entre les âges de 18 et 22 ans.

Les ruminations se manifestent fréquemment au cours de la transition de l’adolescence vers le stade de jeune adulte, et sont liées notamment aux difficultés de l’entrée dans la vie adulte. La littérature en distingue trois types : les « réflexives » visent à chercher une solution à un problème et peuvent faire partie d’un processus de réflexion ; les deux autres sont négatifs, puisque les ruminations « soucieuses » sont liées à des situations complexes ou conflictuelles et se caractérisent par des difficultés à prendre du recul (soucis professionnels, difficultés financières, etc.), et que les « dépressives » se traduisent par des pensées noires répétitives sur sa situation ou son avenir. Fréquentes chez les adolescents, ces dernières peuvent être associées à des états d’anxiété, d’agressivité, de dépression, ou encore des addictions. Considérées comme un facteur de risque de maladie psychiatrique, elles précèdent souvent l’apparition de troubles à l’âge adulte.

IRM et questionnaires

Pour ce travail publié dans la revue Molecular Psychiatry, les chercheurs se sont penchés sur les données de 595 jeunes inclus dans la cohorte européenne Imagen, et suivis entre les âges de 18 à 22 ans.

Les participants ont passé des IRM fonctionnelles au repos, pour suivre leur activité cérébrale spontanée dans toutes les régions du cerveau. « Lors de cet examen, les sujets n’avaient aucune consigne et étaient laissés libres de leurs pensées. De sorte que les profils ruminateurs se sont laissés aller à leurs ruminations », précise Jean-Luc Martinot, fondateur de l’équipe Inserm et de la cohorte Imagen. En parallèle, ces jeunes ont répondu à des questionnaires pour mesurer la fréquence et le type de leurs ruminations, et évaluer la présence éventuelle de symptômes psychiatriques.

Les chercheurs ont d’abord recoupé l’imagerie et les réponses aux questionnaires à 18 ans. Grâce à un modèle mathématique innovant, ils ont pu associer chaque type de rumination à l’activité simultanée de deux à trois réseaux cérébraux spécifiques. Ils montrent par exemple qu’à 18 ans, les ruminations « soucieuses » s’appuyaient sur des réseaux cérébraux engageant l’hippocampe et le lobe frontal. Les ruminations « dépressives » étaient plutôt associées à d’autres réseaux engageant le noyau thalamique et une partie du lobe frontal.

Des changements entre 18 et 22 ans

Ce travail a ensuite été renouvelé chez ces mêmes participants à l’âge de 22 ans. « Les jeunes adultes montraient alors une diminution des ruminations soucieuses en faveur de ruminations “réflexives”, explique Jean-Luc Martinot. Ceci suggère qu’entre 18 et 22 ans, période de transition vers l’adulte, ils ont acquis une meilleure capacité d’adaptation aux émotions négatives et une meilleure aptitude à la prise de décision ». Cela se traduit concrètement au niveau cérébral : en passant d’un type de rumination à un autre, les chercheurs ont constaté que les réseaux cérébraux activés chez les participants étaient également refaçonnés.

Par la suite, l’équipe a observé que les réseaux cérébraux associés aux différents types de rumination étaient liés à certains symptômes psychiatriques. Ainsi l’activité d’un réseau associé aux ruminations « soucieuses » était aussi associée à des symptômes « internalisés » (anxiété, nervosité, retrait, etc.) ; celle d’un réseau associé aux ruminations « dépressives » était aussi associée à des symptômes « extériorisés » (agitation, irritabilité, recours aux passages à l’acte, à des substances, etc.).

« Ce travail révèle des liens entre l’évolution des ruminations mentales et l’évolution de symptômes psychiatriques, par l’intermédiaire de changements fonctionnels du cerveau à la fin de l’adolescence. Deux types de ruminations peuvent précéder des symptômes psychiatriques. Ces données pourraient contribuer au développement des approches préventives chez les jeunes adultes », conclut Jean-Luc Martinot.

*Au sein du Centre de mathématiques appliquées Borelli


Source : lequotidiendumedecin.fr