Neurologie

Alzheimer : l'imagerie tau, un outil prédictif de l'évolution de la maladie

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Publié le 29/04/2022
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Dans une étude longitudinale sur la maladie d'Alzheimer, une équipe française confirme que la présence de dépôts de protéine tau au niveau cérébral, visualisés par tomographie par émission de positons (TEP), a une valeur prédictive de l'évolution clinique.
Les dépôts de protéine tau anormale (ici en vert) ont tendance à précéder la neurodégénérescence

Les dépôts de protéine tau anormale (ici en vert) ont tendance à précéder la neurodégénérescence
Crédit photo : Phanie

Peut-on prédire l'évolution de la maladie d'Alzheimer ? En mettant en évidence une association entre la fixation du ligand tau à un instant donné et l'évolution clinique de la maladie après deux ans, une équipe française* montre l'intérêt de l'imagerie tau en tomographie par émission de positons (TEP) dans une étude parue dans le « Journal of Neurology, Neuro-surgery and Psychiatry ».
« Il est crucial de pouvoir mieux prédire l'évolution de la maladie. C'est l'une des questions que les patients nous posent le plus souvent, indique au « Quotidien » le Dr Julien Lagarde, neurologue et premier auteur de l'étude. Mieux prédire l'évolution de la maladie nous permettra de mieux informer les patients et surtout de mieux anticiper leurs besoins. »

Alors que les maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer revêtent des formes d'une grande hétérogénéité en fonction des patients, à la fois en termes de présentation clinique et d'évolution, aucun marqueur pronostique n'avait été identifié jusqu'alors. C'est pour pallier ce manque que les chercheurs se sont intéressés à l'imagerie tau.

Une relation forte et spécifique

« Certaines études ont montré que les dépôts de protéine tau anormale ont tendance à précéder la neurodégénérescence, c'est-à-dire les troubles cognitifs et l'atrophie cérébrale, explique le neurologue. Mais ce constat s'appuie surtout sur des études transversales, avec des patients inclus à différents stades de la maladie. Ici, nous avons travaillé sur des données longitudinales, avec des patients dont on suit l'évolution. »

L'objet de cette étude a donc été de confirmer cette relation entre pathologie tau et évolution de la maladie et de vérifier l'hypothèse d'une valeur pronostique de l'imagerie tau par TEP. Cet examen permet d'explorer différents processus physiologiques ou pathologiques dans l’organisme à l'aide de traceurs marqués par un radionucléotide, comme le 18F-flortaucipir qui cible la protéine tau.

Au total, 36 patients ayant eu un diagnostic confirmé de maladie d'Alzheimer et 15 sujets « contrôle » ont ainsi été suivis pendant deux ans. Tous ont bénéficié d’un bilan clinique annuel avec exploration des fonctions cognitives et d’une IRM cérébrale à l’inclusion et après deux ans (pour évaluer l'atrophie cérébrale, un phénomène fréquemment observé au cours de la maladie), ainsi que d'une TEP amyloïde et tau à l'inclusion.

« Nous avons mis en évidence une relation statistique forte entre la fixation du traceur tau à l'inclusion, reflétant l'accumulation de la protéine tau, et l'évolution des troubles cognitifs au cours des deux ans de suivi, note le Dr Lagarde. Cette relation est vraiment spécifique de l'imagerie tau, car nous ne l'avons retrouvée avec aucun des autres marqueurs utilisés dans la maladie d'Alzheimer, en particulier l’imagerie amyloïde. »

Évolution de l'atrophie cérébrale

Au-delà du fonctionnement cognitif général, les chercheurs ont également analysé des fonctions spécifiques, comme la mémoire, les fonctions instrumentales ou exécutives, dont il est reconnu qu’elles sont associées à des régions cérébrales distinctes. « Nous nous sommes aperçus que la relation entre la fixation du traceur tau et l'évolution cognitive était la plus forte dans les régions cérébrales classiquement associées à chacune des composantes cognitives considérées », souligne le Dr Lagarde.

Par ailleurs, une corrélation a également été mise en évidence entre la fixation initiale du traceur tau et l'évolution de l'atrophie cérébrale mesurée par l'IRM : « le dépôt de protéine tau semble aussi précéder la majoration de l'atrophie cérébrale », note le Dr Lagarde.

Ainsi, la fixation du traceur tau est prédictive à la fois de l'évolution des troubles cognitifs et de l'évolution de l'atrophie cérébrale. « Plus on retrouve de lésions tau au niveau cérébral, plus le déclin cognitif et l'atrophie cérébrale sont importants pendant les deux ans de suivi », résume le neurologue.

Des groupes plus homogènes dans les essais

Avec ces données longitudinales, cette nouvelle étude vient conforter les résultats des travaux précédents. Le Dr Lagarde souligne toutefois que « ces résultats sont encore préliminaires et qu'ils ne sont retrouvés qu’à l'échelle de groupe ».

Concernant les implications en termes de prise en charge, « il faut d'abord mieux préciser comment cette relation entre tau et l'évolution de la maladie peut se matérialiser à l'échelle individuelle. Et cela nécessite notamment de trouver les bonnes façons d'apprécier cette évolution, au-delà des scores cognitifs et de l'atrophie cérébrale », estime le neurologue. L'interprétation de l'imagerie tau doit aussi être affinée : « quelles régions cérébrales devra-t-on considérer pour utiliser ce paramètre comme un outil prédictif de l'évolution de la maladie ? », s'interroge le médecin.

Le caractère prédictif de l'imagerie tau pourrait aussi être mis à profit dans les essais cliniques évaluant de nouveaux traitements en permettant d'avoir des groupes de patients plus homogènes, ciblés en fonction de l'évolution attendue de leurs troubles, et ainsi de renforcer la puissance statistique des essais.

Quant à l'intérêt de l'imagerie tau de manière précoce, en amont de l'apparition des symptômes, il reste à discuter. « C'est une perspective potentiellement intéressante, mais, contrairement aux lésions amyloïdes, les lésions tau apparaissent plus tardivement et sont beaucoup moins présentes avant l'apparition des symptômes, ce qui pourrait compliquer l’interprétation des résultats », considère le Dr Lagarde.

*Ces travaux ont été dirigés par la Pr Marie Sarazin, cheffe du service de neurologie de la mémoire et du langage (GHU Paris Psychiatrie & Neurosciences, site Sainte-Anne) et membre du laboratoire d’imagerie biomédicale multimodale BioMaps (Inserm/CNRS/CEA/Université Paris-Saclay) au sein du service hospitalier Fréderic Joliot à Orsay, et par le Dr Michel Bottlaender, directeur de recherche au sein du laboratoire BioMaps.

Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin