PAR LE Dr FLORENCE TREMOLLIERES*
LES RECOMMANDATIONS actuelles de l’AFSSAPS sur les indications des traitements anti-ostéoporotiques préconisent leur utilisation chez les femmes ménopausées ayant un risque augmenté de fracture. C’est en effet dans ces populations âgées de plus de 65 ans et présentant un T-score < -2.5 associé à un ou plusieurs facteurs de risque, dont le plus souvent des fractures prévalentes, que ces médicaments ont été validés et que leur efficacité (nombre de femmes à traiter pour éviter une fracture) est optimale. En pratique, l’évaluation du risque fracturaire reste le plus souvent estimée à partir de la seule mesure de densité minérale osseuse (DMO). Cette approche a pour limite son caractère subjectif avec pour corollaire, une grande diversité de recours aux traitements en fonction de la perception d’un niveau de risque jugé inacceptable par les médecins.
Le score FRAX™, mis à disposition sur Internet (www.shef.ac.uk/FRAX) en 2008, permet de calculer la probabilité de survenue d’une fracture ostéoporotique à 10 ans (1). Fondé sur le même principe combinatoire de facteurs de risque que le score de Framingham pour le risque cardio-vasculaire, il constitue l’aboutissement d’un énorme travail de compilation, de modélisation et de validation des données de douze cohortes internationales, dont deux Françaises. Plusieurs versions calibrées pour la mortalité et l’incidence fracturaire de différents pays dont la France sont proposées. En pratique, il suffit de renseigner neuf paramètres cliniques (poids, taille, antécédent personnel et parental de fracture, consommation d’alcool et de tabac, prise d’une corticothérapie générale, antécédent de polyarthrite rhumatoïde ou d’autres causes d’ostéoporose secondaire), auxquels on peut ajouter le T-score du col fémoral (qui peut-être recalculé par le programme à partir de la valeur de la DMO) pour obtenir un pourcentage de risque de fracture à 10 ans de l’extrémité supérieure du fémur (ESF) et de fractures dites majeures (par convention fractures du rachis symptomatiques, du poignet, de l’humérus et du col fémoral).
Quel est l’apport d’un tel outil à la pratique quotidienne ?
Essentiellement une aide à mieux préciser le risque fracturaire d’une patiente, lorsque la mesure de la DMO et/ou la clinique seule ne suffisent pas à conclure.
C’est en particulier le cas des premières années qui suivent la ménopause, où la majorité des fractures surviennent chez des femmes ostéopéniques, réputées à faible risque mais qui, de par leur nombre, contribuent de manière prépondérante au poids total des fractures observées entre 50 et 65 ans. Plusieurs études prospectives récentes et menées dans différents pays sur des populations en début de ménopause, ont ainsi bien montré que l’incidence fracturaire à court et moyen terme chez les femmes présentant une ostéopénie avec un ou plusieurs facteurs de risque était loin d’être négligeable. Dans une étude finlandaise, sur 3 068 femmes de 47 à 56 ans, suivies en moyenne 3,6 ans, 8 % des femmes ont présenté au total 295 fractures (2). Dans l’étude prospective danoise DOPS, incluant 872 femmes en bonne santé, âgées de 45 à 58 ans et suivies dix ans, l’incidence fracturaire observée était de 9 % (3). De même, dans l’étude nord-américaine NORA, parmi les 87 954 femmes âgées de 50 à 64 ans, 2 440 fractures ont été observées dans les 12 premiers mois de suivi et 2 257 fractures supplémentaires dans les 12 mois suivants (4).
Toute la difficulté dans cette tranche d’âge est donc d’identifier, les 8 à 12 % de femmes qui vont être victimes de fractures dans les 10 années à venir et qui sont celles qui véritablement relèveraient d’un traitement de l’ostéoporose.
Si le score FRAX™ apparaît comme un outil séduisant, il faut d’emblée souligner ses limites qui sont avant tout liées aux caractéristiques des cohortes utilisées pour son élaboration, majoritairement de femmes âgées (en moyenne 63 ans).
La question de son intérêt chez la femme en début de ménopause a rapidement été soulevée, ce que nous avons voulu vérifier à partir du suivi d’une cohorte de 2 650 femmes, d’âge moyen 53 ans et suivies dans notre centre pendant 13 ans, en moyenne. Deux points essentiels ressortent de ce travail (5).
Tout d’abord, l’incidence brute des fractures majeures observée est supérieure à la probabilité calculée par le modèle FRAX™, alors même qu’environ 60 % des femmes avaient reçu à un moment donné un traitement hormonal de ménopause (THM) ; réduisant de 30 à 40 % leur risque fracturaire. Chez les femmes non traitées, elle était de l’ordre de 8/1 000 par an en 13 ans de suivi pour les fractures ostéoporotiques majeures, pour un score FRAX™ à l’inclusion en moyenne de 3,8 % (± 2,4 %). Des résultats identiques ont également été rapportés à partir de la cohorte OFELY avec une incidence fracturaire pratiquement deux fois plus élevée que celle prédite par le score FRAX™ (6). Une partie de ces résultats pourrait trouver leur explication dans le fait que le score FRAX™ n’intègre que la valeur du T-score fémoral alors qu’en début de ménopause, près d’un tiers des femmes ont un T-score vertébral plus bas que le T-score fémoral. Dans un travail récent réalisé au Canada, Leslie et al. ont développé un modèle FRAX™ « hybride » permettant de prendre en compte la valeur de T-score vertébral lorsque celui-ci est inférieur au T-score fémoral (7). Il montre que l’utilisation de ce modèle hybride permet d’améliorer la prédiction vis-à-vis des fractures, notamment des fractures vertébrales.
Par ailleurs, le score FRAX™ n’améliore pas significativement la prédiction des fractures majeures par rapport à la mesure de la DMO seule. Ce résultat au premier abord décevant trouve son explication dans l’épidémiologie des fractures ostéoporotiques qui, avant 65 ans, intéressent principalement les poignets, les côtes, l’extrémité supérieure de l’humérus ou les vertèbres alors que les fractures de l’ESF sont exceptionnelles. De plus, les facteurs cliniques utilisés dans le modèle FRAX™ sont surtout associés au risque de fracture de l’ESF, mais nettement moins à celui des autres fractures ostéoporotiques. Ainsi, la combinaison DMO basse et facteurs cliniques donne un risque de fracture de l’ESF à 50 ans de 4,23 (3,12-5,73) contre 1,43 (1,3-1,59) pour les autres fractures. Dans notre étude, seuls les antécédents fracturaires personnels et la prise d’un THM étaient associés au risque fracturaire après prise en compte de la DMO.
Dernier élément important à souligner, près de la moitié des femmes de notre cohorte ayant présentée une fracture ostéoporotique n’avait pas de facteur de risque lors de l’évaluation initiale et ne rentrait pas dans le cadre des indications remboursées de la densitométrie osseuse…
Finalement, que peut-on conclure de l’apport du score FRAX™ en début de ménopause ?
Tout d’abord, il s’agit là d’une nouvelle étape vers un nécessaire effort de prise en charge plus rationnelle de l’ostéoporose, qui reste un problème majeur de santé publique.
Ensuite, cet outil réalisé sous l’égide de l’OMS trouve son principal intérêt dans ce qui était sa vocation initiale, à savoir constituer un moyen simple d’évaluer le risque fracturaire dans les populations ne disposant que d’un accès limité aux mesures de DMO. Il peut également représenter un bon outil pédagogique pour des médecins peu spécialisés dans la prise en charge de l’ostéoporose, en les incitant à ne pas appuyer exclusivement leur stratégie thérapeutique sur la seule diminution de la DMO. En dehors du Royaume-Uni et des États-Unis, il n’existe actuellement aucune recommandation thérapeutique fondée sur la valeur du score FRAX™. En Angleterre, Kanis et al. ont proposé un seuil de 7 % de probabilité à 10 ans de fractures majeures pour justifier d’un point de vue économique l’utilisation du générique de l’alendronate (8). Pour une femme âgée de 50 à 55 ans et sans facteur de risque, ce seuil d’intervention correspond à un T-score fémoral à -3,25, ce qui constitue un T-score très bas et ne concerne qu’une très faible proportion des femmes de cet âge.
Enfin, son utilisation en conjonction avec la DMO nécessite encore d’être validée dans différentes situations cliniques et populations. Ce score mériterait également d’être amélioré pour répondre aux situations particulières associées à une augmentation du risque fracturaire (risque de chute, corticothérapie, inhibiteurs de l’aromatase…). Il n’est pas néanmoins certain que cet objectif puisse être atteint et/ou qu’il soit réellement un but recherché.
Au total, pour ce qui est des femmes en début de ménopause et dans notre expérience, FRAX™ ne fait pas mieux que la mesure de la DMO au col fémoral seule. Notre expérience nous conduit à privilégier la mesure densitométrique couplée à la clinique (recherche d’antécédents de fractures par fragilité) et à une évaluation dynamique de la perte osseuse (biomarqueurs du remodelage, suivi densitométrique) dans la détermination du risque fracturaire individuel en début de ménopause.
* Centre de ménopause et maladies osseuses métaboliques, hôpital Paule de Viguier, Toulouse.
(1) Kanis JA, et coll. FRAX and the assessment of fracture probability in men and women from UK. Osteoporos Int 2008 ; 19 : 385-397
(2) Huopio J, et coll. Risk factors for perimenopausal fractures : a prospective study. Osteoporos Int 2000 ; 11 :219–27.
(3) Abrahamsen B, Vestergaard P, Rud B, et al. Ten-year absolute risk of osteoporotic fractures according to BMD T score at menopause : the Danish Osteoporosis Prevention Study. J Bone Miner Res 2006 ; 21 :796–800.
(4) Siris ES, Brenneman SK, Barrett-Connor E, et al. The effect of and bone density on the absolute excess, and relative risk o fracture in postmenopausal women aged 50–99: results from the National Osteoporosis Risk Assessment (NORA). Osteoporos Int 2006 ; 17 :566–74.
(5) Trémollieres FA, Pouillès JM, Drewniak N, et al. Fracture risk prediction using BMD and clinical risk factors in early postmenopausal women : sensitivity of the WHO FRAX tool. J Bone Miner Res 2010 ; 25 :1002-9
(6) Sornay-Rendu E, Munoz F, Delmas PD, Chapurlat R. The FRAX tool in French women : how well does it describe the real incidence of fracture in the OFELY cohort.. J Bone Miner Res 2010 ; 25 :2101-7
(7) Leslie WD, Lix LM for the Manitoba Bone Density Program. Absolute fracture risk assessment using lumbar spine and femoral neck bone density measurements : derivation and validation of a hybrid system. J Bone Miner Res 2011 ; 26 :460-7
(8) Kanis JA, McCloskey EV, Johansson H, Strom O, Borgstrom F, Oden A. Case finding for the management of osteoporosis with FRAX((R))-assessment and intervention thresholds for the UK. Osteoporos Int 2008 ; 19 :1395-1408
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