Un entretien avec le Pr Jacques Morel, Montpellier
Les Janus kinases, JAK1 et JAK3 sont des enzymes impliquées dans la signalisation de nombreuses cytokines et facteurs de croissance. Le tofacitinib inhibe préférentiellement les kinases JAK 1/JAK 3. C’est dans la polyarthrite rhumatoïde que les essais thérapeutiques sont les plus avancés.
Des essais versus placebo et versus méthotrexate.
Une étude de phase III a comparé pendant un an chez 717 patients recevant des doses stables de méthotrexate, 2 posologies de tofacitinib (5 mg ou 10 mg, deux fois par jour per os), 40 mg d’adalimumab une fois toutes les 2 semaines versus placebo. À 6 mois, le taux de réponse ACR20 est plus élevé sous tofacitinib (51,5 % et 52,6 % respectivement pour le 5 et le 10 mg) et sous adalimumab (47,2 %) que sous placebo (28,3 %, p ‹ 0,001 pour tous). Les traitements actifs s’accompagnent aussi d’une amélioration du score HAQ-DI au 3e mois et d’un plus fort pourcentage de patients avec un DAS28-4 (ESR) inférieur à 2,6 au 6e mois. Le bras tofacitinib connaît un taux d’effets indésirables plus élevé que le bras placebo, en particulier une élévation des LDL et HDL, une diminution des neutrophiles ; deux cas de tuberculose pulmonaires sont signalés avec 10 mg 2 fois par jour de tofacitinib. « Ces résultats sont prometteurs et placent le tofacitinib au même niveau que les anti-TNF, même s’il est évident qu’il s’agit d’une comparaison indirecte qui ne confronte pas face à face adalimumab et tofacitinib, et que cet essai concerne l’association au méthotrexate et non une monothérapie de tofacitinib qui serait d’un plus grand intérêt en pratique », remarque le Pr Jacques Morel.
Lors du dernier congrès américain de l’American College Of Rheumatology, a été présentée l’étude de phase III ORAL start, comparant directement le tofacitinib en monothérapie à 5 ou 10 mg deux fois par jour au méthotrexate chez des participants naïfs de méthotrexate atteints d’une PR modérée à sévère. Les résultats intermédiaires de l’analyse préspécifiée à un an montrent la supériorité du tofacitinib par rapport au méthotrexate, avec une réduction statistiquement significative des lésions structurales mesurées par le mTSS (modified total Sharp score) ainsi que de la symptomatologie évaluée par le taux de réponse au critère ACR70. Le profil global de tolérance du tofacitinib n’était pas différent du méthotrexate à un an
Une indication en monothérapie ou en association.
Ces inhibiteurs de JAK sont des thérapies ciblées ; il ne s’agit pas de biothérapies mais de « petites molécules » à considérer comme une nouvelle classe de DMARDs. Par rapport aux autres traitements de fond, le tofacitinib offre l’intérêt de la voie orale en deux prises par jour. Son efficacité semble comparable à celle des agents biologiques. Dans les différents essais le tofacitinib a prouvé son efficacité aussi bien sur les signes cliniques que biologiques avec une réduction de l’inflammation ; il ralentit la progression radiologique, ce qui permet d’envisager le contrôle de la maladie. Il est encore trop tôt pour savoir si comme pour les anti-TNFα on peut espérer une reconstruction des atteintes rhumatoïdes, ce qui reste cependant assez marginal (moins de 10 % des patients).
S’agissant d’une molécule récente on a peu de recul sur sa iatrogénie mais les effets secondaires rapportés sont ceux observés avec les inhibiteurs de l’IL6, soit le risque d’infections potentiellement sévères, de neutropénie, de dyslipidémie, de cytolyse hépatique ; en ce qui concerne le risque global de tumeurs solides ou de lymphomes, il n’est pas aujourd’hui plus élevé sous tofacitinib mais il est encore trop tôt pour avoir une idée exacte car ce type de risque s’évalue sur des dizaines d’année de suivi.
Le tofacitinib est le premier inhibiteur des voies de signalisation à avoir reçu l’approbation de la FDA sous le nom de Xeljanz aux États-Unis en mai 2012, la demande d’AMM européenne est en cours. Comme dans les essais, il devrait être prescrit après échec d’un traitement de fond classique ou d’une biothérapie, même si un essai a montré sa supériorité par rapport au méthotrexate chez les patients naïfs de traitement de fond dans les formes sévères. Il pourrait être envisagé soit en monothérapie, soit en association avec un traitement conventionnel type méthotrexate ou autres DMARDs ; l’association avec une biothérapie n’est pas indiquée du fait du risque d’infections sévères. En ce qui concerne la posologie on se dirige plutôt vers la prescription initiale de 10 mg par jour en deux prises avec peut-être un ajustement possible en fonction de l’efficacité et de la tolérance de 7,5 à 20 mg par jour ce qui permettrait une certaine souplesse dans l’adaptation thérapeutique.
Actuellement l’objectif dans la PR se tourne vers un meilleur contrôle de la maladie et traiter précocement fait partie de la stratégie thérapeutique dans ce rhumatisme inflammatoire. Le méthotrexate en traitement initial permet d’obtenir une rémission de la PR pour 30 à 40 % des patients. « Le tofacitinib pourrait être envisagé chez les patients dont la PR reste active malgré le méthotrexate et/ou en cas de progression radiologique malgré le méthotrexate. L’étude ORAL START suggère que le tofacitinib pourrait avoir une place très tôt dans la stratégie thérapeutique de la maladie. Cependant, on est toujours frileux avant de prescrire une nouvelle molécule à la place du méthotrexate et son coût, équivalent à celui d’une biothérapie, limitera vraisemblablement une indication européenne en première ligne de DMARDs. Pour l’instant le tofacitinib ne sera probablement indiqué qu’après échec d’au moins un traitement de fond », explique le rhumatologue.
Département de rhumatologie, responsable de l’unité d’immunorhumatologie, hôpital Lapeyronie, Université de Montpellier 1.
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