Antirésorbeurs

Un risque d’aggravation de la fonction rénale ?

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Publié le 26/01/2021

L’aggravation de la fonction rénale par les antirésorbeurs, biphosphonates et dénosumab, a fait l’objet de deux études récemment publiées. Si une augmentation modeste du risque de progression de l’insuffisance rénale chronique a été retrouvée sous biphosphonates, le dénosumab ne semble pas à l’origine d’une aggravation de la fonction rénale. Il reste le traitement de première intention en cas de clairance de la créatinine basse.

Crédit photo : phanie

Ostéoporose et insuffisance rénale ne font pas bon ménage, les traitements antiostéoporotiques étant généralement contre-indiqués en cas de défaillance de la fonction rénale. Pour les antirésorbeurs les plus puissants (biphosphonates et dénosumab), cette contre-indication doit être modulée en fonction du degré d’insuffisance rénale et du médicament. En effet, les biphosphonates peuvent être administrés si la clairance de la créatinine est supérieure à 30-35 ml/mn et le dénosumab, dont la dégradation et l’élimination sont entièrement extrarénales, n’a pas cette limite d’administration. Néanmoins, la prescription d’un antiostéoclastique puissant à un patient insuffisant rénal chronique (IRC) doit être très prudente pour deux raisons principales. Premièrement, le risque d’hypocalcémie induite par le traitement étant plus important, il doit être anticipé (suppléments en calcium et vitamine D) et surveillé. La seconde raison est la conséquence du blocage prolongé du remodelage osseux sur le risque cardiovasculaire par augmentation des calcifications artérielles.

Une augmentation modeste du risque de progression sous biphosphonates

Moins connue est la question de l’aggravation de la fonction rénale par un tel médicament. Elle est abordée dans deux publications très récentes, l’une concernant les biphosphonates oraux (1) et la seconde le dénosumab (2).

L’objectif de la première étude était d’évaluer la sécurité des biphosphonates oraux chez les patients atteints d’IRC modérée à sévère. Les auteurs ont étudié les dossiers électroniques de deux cohortes de soins primaires : CPRD GOLD (1997-2016) au Royaume-Uni et SIDIAP (2007-2015) en Catalogne. Dans ces deux cohortes, les patients atteints d’IRC modérée à sévère (stade 3b-5), nouveaux utilisateurs de biphosphonates (n = 2 447 pour CPRD et 1 300 dans SIDIAP), ont été appariés avec un score de propension jusqu'à cinq non-utilisateurs (n = 8 931 CPRD et 6 547 SIDIAP) afin de minimiser les facteurs de confusion. L'utilisation de biphosphonates était associée à un risque plus élevé, certes modeste (environ 15 %) mais significatif, de progression de l'IRC dans les deux cohortes : CPRD HR = 1,14 (1,04, 1,26) et SIDIAP HR = 1,15 (1,04, 1,27). L’analyse des effets secondaires n’identifiait pas de différence de risque pour les lésions rénales aiguës, les hémorragies par ulcères gastro-intestinaux ou l'hypocalcémie.

Pas d’aggravation avec le dénosumab

Pour le dénosumab, la méthodologie est différente. Il s’agit d’une analyse post hoc de la tolérance et de l'efficacité à long terme du dénosumab chez les femmes atteintes d'IRC légère à modérée (stades 2 et 3), en utilisant les données de l'étude FREEDOM et de son extension jusqu’à 10 ans. Près de deux tiers des participants, avec une IRC initiale de stades 2 ou 3, sont restés dans le même sous-groupe IRC à la fin de l'étude et moins de 3 % sont passés au stade 4. Le pourcentage de participants rapportant des événements indésirables graves (EIG) était similaire (autour de la moitié des patients) dans les différents sous-groupes de fonction rénale (normale, stade 2, 3a ou 3b), sauf chez les femmes ayant reçu le placebo pendant trois ans et le dénosumab dans l’extension de sept ans (dont plus de deux tiers ont eu un EIG). Enfin, l’efficacité était comparable quel que soit le statut rénal, avec un gain similaire de densité minérale osseuse lombaire et fémorale, ainsi qu’une faible incidence de fractures.

Ces données, aussi rassurantes qu’elles puissent paraître, ne doivent pas nous écarter d’une ligne de conduite claire dans la prescription des biphosphonates et du dénosumab chez les insuffisants rénaux. Le dénosumab est le premier choix si la clairance de la créatinine est basse (autour de 35 ml/mn), avec prudence liée au risque d’hypocalcémie. En cas d’insuffisance rénale plus sévère (qui est aussi un facteur de risque de fragilité osseuse et de fractures), la décision d’un traitement antirésorbeur ne peut être prise qu’après une discussion collégiale entre rhumatologues et néphrologues. 

Hôpital Lariboisière (Paris)
(1) Robinson DE, et al. Safety of oral bisphosphonates in moderate-to-severe chronic kidney disease: a bi-national cohort analysis. J Bone Miner Res 2020 ; Dec 29 : doi: 10.1002/jbmr.4235. Online ahead of print
(2) Broadwell A. Denosumab safety and efficacy among subjects in the FREEDOM extension study with mild-to-moderate chronic kidney disease. J Clin Endocrinol Metab 2020; Nov 19. doi: 10.1210/clinem/dgaa851. Online ahead of print

Pr Philippe Orcel

Source : lequotidiendumedecin.fr