Choses vues et lues
La société dite post-moderne s’est débarrassée des catégories de normalité/anormalité appliquées à la sexualité entre adultes consentants. Même les pratiques dites BDSM (bondage, domination, sado-masochisme), échappent aujourd’hui aux réprobations sociales normatives.
C’est du moins la tendance que reflète le succès phénoménal de la trilogie britannique d’Erika Leonard, Cinquante nuances de Grey, arrachée à plus de 125 millions d’exemplaires à travers le monde. Le best-seller du mommy porn, le porno pour mamans, a fait le buzz sur la toile et dans la foulée sur grand écran, avec une adaptation cinématographique signée Sam Taylor-Wood, qui a encore attiré des foules aussi haletantes qu’innombrables.
L’histoire passionnelle d’Anastasia Steele et Christian Grey est centrée sur les pratiques sadomasochistes illustrées par le marquis de Sade et Sacher Masoch en d’autres siècles. Jusqu’alors, ces récits restaient confinés dans un lectorat bien particulier, et même spécifique. Le livre d’Erika Leonard vulgarise et banalise la violence dans la relation sexuelle de M. et Mme Tout-le-monde.
Certes, les lectrices et les spectatrices, comme les lecteurs et les spectateurs, sont alléchés par ces pratiques sans pour autant s’y livrer. Si la distinction entre séquence fantasmée et passage à l’acte doit être faite, on n’assiste pas moins à une « démocratisation » de fantasmes sexuels naguère ressentis comme « anormaux » et aujourd’hui en passe d’être banalisés.
Finalement, les lignes de partage entre le sain et le pathologique ont bougé, mais est-ce que la notion que l’on croyait révolue de normalité sexuelle n’impose pas de nouvelles normes ? Pour être libérée et épanouie, la relation sexuelle devrait-elle aujourd’hui passer par le SM et ses produits dérivés, avec la dictature de nouvelles normes ?
Paroles de cliniciens
« Dans le monde de grande liberté où nous vivons, on a l’habitude de dire qu’une sexualité normale, ça n’existe pas, car toutes les intimités sont différentes, confirme le Dr Philippe Brenot, psychiatre et anthropologue, directeur des enseignements de sexologie à Paris-Descartes. Bien sûr, tout est possible entre personnes adultes consentantes, il n’y a pas plus coercition que réprobation. Pour autant, la sexualité n’est pas un phénomène naturel, mais bien une réalité culturelle qui se forge au fil de l’Histoire. Les normes évoluent selon les cultures et les croyances, mais elles ont la vie dure. La preuve, c’est que la question la plus souvent posée au cabinet, c’est encore et toujours : Docteur, est-ce que je suis normal ? La phobie numéro 1 fléchée par les sexologues, c’est celle de l’anormalité. »
« A contrario, renchérit le Dr Sylvain Mimoun, gynécologue et andrologue, directeur du centre d’andrologie à l’hôpital Cochin, ceux qui ne franchiront jamais la porte du sexologue, ce sont précisément ceux qui se sentent « normaux ». S’ils perçoivent des différences de comportement avec les autres, ce sont les autres qui sont anormaux, eux n’éprouvent aucun problème. »
Le processus phobique d’anormalité peut être déclenché de diverses manières. Il y a bien sûr la comparaison physique : « Tous les hommes ne font 23 cm comme Rocco Siffredi, relève le Dr Nadine Grafeille, psychiatre et directeur de l’enseignement de sexologie à l’université de Bordeaux, et ils ne font pas l’amour non-stop pendant une demi-heure comme dans les vidéos pornos. La dictature de la performance inflige une peur d’anormalité chez ceux et celles qui ne sont pas en mesure physiquement de s’y soumettre. »
« Les enfants abusés qui ont ressenti une forme de plaisir avec leur agresseur peuvent aussi ressentir avec des sentiments de honte et de culpabilité la phobie de n’être pas normaux », constate la psychologue clinicienne Dominique Murillo, référente de l’association La Parole libérée.
De même, « chez les vaginiques, rapporte la sexologue psychothérapeute Muriel Baccigalupo, on retrouve encore, sous-jacente à la phobie de la pénétration, la phobie de l’anormalité ».
Bref, « à travers tous les tableaux sexophobiques, quelles que soient les cultures et les croyances, les réprobations et les préceptes, résume le Dr Brenot, vous allez entendre la question lancinante que se pose le patient : « Suis-je normal ? », et la phobie qui la taraude. »
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Illustrations tirées de « Sex Story », la première histoire de la sexualité en bande dessinée, aussi sérieuse que facétieuse, racontée par le Dr Philippe Brenot, responsable des enseignements de sexologie à Paris-Descartes, et illustrée par Laetitia Coryn (208 p., 24,90 €).
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