Largement médiatisée par les célébrités de tous genres, l’addiction sexuelle est pour le moins négligée dans la profession médicale. Laissé-pour-compte de la dernière version du Manuel diagnostique des maladies mentales (DSM-5), le « trouble hypersexualité » - autre appellation de l’addiction sexuelle - est loin d’être un épiphénomène.
Le Dr Laurent Karila, psychiatre addictologue à Paul Brousse (APHP) et porte-parole de SOS Addictions, en est le témoin privilégié. Si les chiffres épidémiologiques font défaut, son expérience pratique parle d’elle-même. Au sein de sa consultation spécialisée, ouverte depuis 2009, l’addictologue reçoit des nouvelles demandes chaque semaine. Des hommes de 17 à 65 ans qui souffrent d’une dépendance à la sexualité, quelle que soit sa forme (Internet, téléphone, prostitution, pornographie, masturbation, libertinage, etc.). Et des femmes, aussi, de 35-50 ans en moyenne.
Sex on the web
En parallèle d’une littérature scientifique croissante sur le sujet, les appels à l’aide se démultiplient. Favorisé, ou simplement révélé par le contexte sociétal actuel, le sexe maladif est une pathologie d’actualité. Premièrement identifiée par le chercheur américain Patrick Carnes dans les années 1980, l’addiction sexuelle s’est amplifiée au contact du web. Réseaux sociaux, sites de rencontres (sur smartphone notamment), vidéos pornographiques en streaming, etc. L’accès à la sexualité est désormais largement dégagé. Pour le pire et pour le meilleur. Pour le pire, au vu de l’augmentation indubitable du trouble. Pour le meilleur car « il y a une plus grande visibilité des choses », considère le Dr Karila. Une visibilité qui a de l’interêt pour les sujets peu enclins à solliciter du soutien : les plus jeunes, les femmes, et les habitants de zones géographiques isolées. On en entend parler, on découvre l’existence de soins spécialisés, on en parle... et alors, on décide de se soigner.
Questionner pour dépister
Se soigner... Oui, mais comment ? Les professionnels de la santé étant très rarement formés aux addictions comportementales, il est peu évident pour un patient de trouver un thérapeute disposé à l’accompagner. Mais là encore, il y a du changement. Le programme thérapeutique monté en 2008 par le Dr Laurent Karila, adapté aux addictions sexuelles, sera prochainement enseigné dans le cadre de la formation médicale continue. Et un questionnaire, nommé PEACCE, traduit en langue française par ce même spécialiste, se destine à tous les professionnels de santé. Six questions clés, où chaque mot à son importance, qui permettent de dépister le caractère pathologique du rapport à la sexualité. « Trouvez-vous que vous êtes souvent préoccupé par des pensées sexuelles ? » en est la première. Un autre questionnaire, le s-IAT-sex a été récemment adapté en français et aux conduites sexuelles sur Internet.
Quand proposer ces questionnaires à ses patients ? À chaque fois qu’une souffrance est perceptible dans ce domaine. Et pour le savoir il faut poser la question, insiste le Dr Karila. Fort de son expérience, il rapporte : « Les patients, notamment les femmes, parlent désormais librement de leur sexualité ».
Rééduquer au plaisir
Lorsque qu’une addiction sexuelle est suspectée, la première étape est l’évaluation. S’agit-il d’une hypersexualité isolée, ou d’une addiction avérée ? Existe-t-il une paraphilie (pédophilie, fétichisme, voyeurisme, etc.) qui supplanterait le diagnostic ici évoqué ? Le Dr Karila dresse le plan initial de son programme thérapeutique contre les addictions sexuelles : évaluation diagnostique, différentielle et recherche de comorbidités psychiatriques (dépression, addictions associées, etc.) et somatiques (recherche de MST). Une fois l’évaluation terminée, le programme peut commencer. Étalée sur une année, cette thérapie spécialisée a une ambition : réapprendre le plaisir. Objectif que le Dr Karila entend préserver en clarifiant ce dernier : « On ne vise pas l’abstinence ». Sorte de programme de rééducation à une sexualité épanouissante, ce programme intègre une thérapie motivationelle, une TCC (thérapie cognitive-comportementale) intensive de 3-5 mois, une thérapie de couple (si nécessaire), l’intégration de groupes DASA (Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes) et même une thérapie psychanalytique à initier au terme de ce programme thérapeutique. Autrement dit, un programme de soins intégratif qui prend en compte la sexualité sous tous ses versants : physique, affectif, intellectuel et relationnel.
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