L’Académie française [1] s’est saisie de la féminisation des « noms de métiers et de professions » Elle ne relève « aucun obstacle de principe à la féminisation des noms » mais souligne des écueils. Il paraît difficile en l’absence « de relevés probants des usages » sans cesse fluctuants de trouver « le bon usage » dans une société en mutation, prise par l’instant, l’immédiateté, l’éphémère. Dans la pléthore de vocables possibles, notre noble Académie cherche le mot le plus harmonieux, élégant, consensuel. Rude tâche qui explique pourquoi elle a renâclé et pourquoi elle ne touche pas au remaniement des grades.
Après la guerre des boutons et des poils, la guerre des sexes et du genre, la guerre des mots : pour une grande majorité, cette féminisation des noms n’est pas primordiale. Elle est loin de faire l’unanimité dans les associations féminines, ni même au sein des féministes qui s’écharpent. Les femmes veulent la paix.
En 1986, une circulaire ministérielle [2] fixait des règles. Si la féminisation professionnelle est un fait, rien ne démontre l’efficacité de cette mesure ni ne prouve qu’elle ait favorisé les droits fondamentaux des femmes, par application réelle des lois sur l'égalité des salaires, la progression de leur carrière, leur protection contre les toutes les violences.
Fin 2017 les Immortels(elles !) lancent un sévère rappel à l’ordre : le Secrétaire perpétuel de l’Académie, Mme Carrère d’Encausse rappelle au gouvernement qu’il n'a pas le droit de valider, de nouveaux usages de la langue, soulignant le danger de « verser dans les dérives des États totalitaires ». L’Académie martelait : « La manipulation des langues pour des raisons idéologiques est une erreur absolue. »
Octobre 2018, les gilets jaunes secouent les institutions. Cette tourmente a-t-elle ébranlé les gilets verts ? Certes, puisque Danielle Sallenave, co-auteur du rapport, a endossé le gilet jaune pour leur témoigner sa sympathie.
Concernant les titres et grades, l’Académie différencie bien les « fonctions placées au sommet de la hiérarchie et les fonctions supérieures de la sphère publique des noms de métiers courants et de fonctions subalternes et médianes ». Docteur sera-t-il dé-gradé au rang de métiers courants validant ainsi l'idée que la médecine s’est dégradée comme toutes les fonctions qui se féminisent ? Où se situe le grade entre Professeure des écoles et Professeur de médecine ? Docteur est un titre, universitaire. Que dit l’université ? Les étudiantes ? Et l'Ordre ? La nature et la qualité de nos titre et fonctions est en jeu. Attendons la féminisation des grades pour perdre nos titres !
Le « e » muet : docteure, cheffe, auteure… Heu !
Si le « e » se lit, il faudra inventer comment l’entendre, le faire sonner, faire vibrer ce « e » muet. Un son absent, un son-trou, durassien. Le « e » censé être le sceau du féminin, signe son effacement. La docteurE devra-t-elle se lancer dans un retentissant hennissement - Heuheuheu, hu dia !- pour faire avancer son féminin ?
Docteure est tombé en désuétude. Quant à doctoresse, qui sonne comme une caresse, c'est dans nos campagnes la femme du médecin. Ce qui compte pour les femmes médecins est le respect et l’usage de leurs droits, en particulier, à la maternité et à la grossesse. Être enceinte quand on est interne ou chef de clinique est souvent mal vu. Avoir une place en crèche à l’hôpital est une gageure, assurer les gardes un casse-tête…
Les mille et une inventions autour de doctoresse, docteuse, doctrice, doctrine, médecine ne changeront pas la face de la médecine ni celle de la francophonie. Les femmes médecins ont les mêmes compétences mais elles les exercent différemment. C’est cette spécificité, cette compétence féminine qu’il est important de reconnaître.
Docteur et Professeur en médecine font preuve de nos luttes et de nos réussites. La forme masculine est le témoin de nos combats individuels puis collectifs. Nous avons toujours été fières de ces titres, plus que mérités par nos pionnières qui ont toujours dû en faire plus pour les obtenir. Les féminiser serait effacer leur lutte et banaliser nos efforts ; nous n’avons jamais demandé de quotas de femmes médecins dans les concours.
L'écriture épicène : étrange relooking cryptographique
Le «.e.» fastidieux, disharmonique illustre le paradoxe du féminin bloqué entre 2 points ou… 2 poings, avec l’assurance de fabriquer des analphabètes larga manu. Il se fait étourdiment le symbole de la mise entre parenthèses du féminin.
Un néo-langage féministe semble contre-productif. Il provoque des résistances réactionnelles au risque de défavoriser la cause des femmes. Le féminisme des travailleuses est devenu celui du genre contre la primauté du masculin sur le féminin. Les femmes ont tout à gagner à se dégager du statut ancestral qui les chosifiait en objet de soumission. Elles ont à se désengluer des stéréotypes du féminin victime/masculin dominateur.
L’égalité est un concept mathématique. L’équité est un concept philosophique éthique et moral. Les médecins, soignant chaque jour des corps malades, savent que génétique et biologique fondent des différences incontournables. La féminisation des noms et l’écriture épicène s’appuient sur le postulat de la domination des hommes et revendiquent l’égalité. Le déni de la biologie au profit du genre social défend l’androgyne primordial et l’indifférenciation malgré la visibilité acquise et grandissante des femmes. Valorisons la richesse de nos différences, le respect de chaque identité, sans estropier la langue.
Les femmes n'ont souvent pas assez conscience et confiance en leurs capacités et en leur pouvoir. Là est le véritable enjeu. Donnons le goût des maths et des sciences aux petites filles et elles construiront un monde de partage à la mesure et pour la joie de toutes et tous. En 1970, Jacques Lacan déclarait « la femme n’existe pas ». Michelle Montrelay, moqueuse, répliquait « Si elle existait, elle serait Dieu ! »
1] http://www.academie-francaise.fr/actualites/la-feminisation-des-noms-de… Séance du 28 février 2019.
[2] Yvette ROUDY, Ministre de la santé confiait à Benoîte GROULT la Commission de terminologie sur le vocabulaire des activités « Féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre »
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