Romans de l'automne

Valeurs sûres et préoccupations d'époque

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Publié le 08/09/2020
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Des valeurs sûres dans un monde qui tremble : ainsi se dessine la rentrée littéraire de l’année Covid-19, avec pléthore de romans qui explorent les déraillements, les délitements et les angoisses de notre société, tandis que les maisons d’édition tablent sur l’aura des écrivains confirmés pour relancer la machine.

À en juger par le nombre de nouveaux romans attendus d’ici octobre, 511 (selon « Livres Hebdo ») contre 524 l’an dernier (- 2,5 %), la crise sanitaire ne semble pas avoir pas affecté cette rentrée littéraire. Mais la répartition des titres traduit une stratégie éditoriale de survie.

Alors que la production de littérature étrangère a baissé de 22,9 % (145 romans et recueils de nouvelles contre 188 l’an passé) et que l’on ne compte plus que 65 premiers romans contre 82 l’an passé (- 6,7 %, avec une nette prédominance des signatures féminines), le nombre de romans français a grimpé de 336 à 366 titres (+ 8,2 %), en raison notamment du report de parutions du printemps à l’automne.

Que ce soit en littérature étrangère ou française, les valeurs sûres n’ont jamais été aussi concentrées dans une rentrée : Amélie Nothomb, Muriel Barbery, Laurent Mauvignier, Camille Laurens, Serge Joncour, Metin Arditi, Philippe Djian, Alice Zeniter, Véronique Olmi, Emmanuel Carrère, Philippe Claudel, Daniel Picouly, Yasmina Khadra, Simon Liberati, Alain Mabanckou ; Ken Follett, Joyce Carol Oates, Erri de Luca, Salman Rushdie, Colson Whitehead, Jon Kalman Stefansson, Joseph Roth, Colum McCann, Jonathan Franzen, Antonio Munoz Molina…, et bien d’autres auteurs reconnus.

Épidémies…

La peste avec Camus ou Pagnol, le choléra avec Giono ou Garcia Marquez, la variole avec Le Clézio, la poliomyélite avec Philip Roth, la grippe avec Bazin…, depuis Sophocle et jusqu’à King ou Thilliez, les pandémies ont inspiré les écrivains. C’est en particulier le cas de cette rentrée.

« La Fièvre », de Sébastien Spitzer, nous ramène à Memphis en 1878 lorsque la panique a saisi la ville, entre fuite éperdue et actes de violence. Des miliciens noirs, immunisés contre la maladie qui décime les blancs, protègent les maisons et les commerces contre les pillards (Albin Michel, 360 p., 22 €).

Dans « les Métamorphoses » de Camille Brunel, une épidémie transforme les humains en animaux. L’héroïne, une jeune femme végane et animaliste, tente de fuir un monde devenu sauvage pour rejoindre un gynécée qui protégerait les dernières femmes épargnées par la pandémie (Alma, 204 p., 17 €).

Le deuxième roman de Thomas Sands, « L’Un des tiens », est le road movie d’un couple dans une France postapocalyptique ravagée par les épidémies et où l’économie et les institutions politiques se sont effondrées, parmi des populations apeurées (Les Arènes, 15 €, sortie le 30 septembre).

Cinéaste et écrivain primé, Xabi Molia accompagne, dans « Des jours sauvages », un groupe d’une centaine de personnes qui, fuyant le continent ravagé par une épidémie foudroyante de grippe, ont échoué sur une une île inconnue. Ils s’affronteront bientôt pour savoir s’il faut repartir pour trouver d’éventuels autres survivants ou protéger le secret de leur présence ici (Seuil, 256 p., 19 €).

Après qu’un virus transmis par les oiseaux a tué la quasi-totalité des humains, une famille survit dans un coin isolé de montagne. « Le Sanctuaire » imaginé par Laurine Roux est régi par le père qui impose sa loi de façon toujours plus brutale ; sa fille aînée va un jour transgresser les limites du lieu et rencontrer un vieil homme menaçant qui vit entouré de rapaces (Sonneur, 147 p., 16 €).

Un peu en marge, « les Somnambules », de l’Américain Chuck Wendig, montre une jeune fille marchant tel un robot vers une destination inconnue, bientôt rejointe par un deuxième errant, puis des milliers d’autres. Entre la peur d’une épidémie mystérieuse et mortelle si l’on force un marcheur à s’arrêter et l’opportunité pour chacun d’imposer sa vision du monde, la violence va déchirer l’ensemble de la société (Sonatine, 23 €, le 15 octobre).

Et dérèglement climatique

Autre préoccupation majeure aujourd’hui et pour demain, le dérèglement climatique. « 2030 » nous interpelle par la voix du héros qui vient de retrouver un reportage sur le combat de « la jeune femme aux nattes ». À travers les membres de sa famille, dont celui qui n’hésite pas à falsifier les résultats d’une étude sur les pesticides pour l’argent et celle qui risque sa vie dans une lutte écologique, Philippe Djian demande si c’est par paresse, impuissance ou égoïsme que le monde a poursuivi pendant dix ans son travail de dégradation (Flammarion, 224 p., 20 €).

L’auteur de « l’Invention des corps », Pierre Ducrozet, imagine dans « le Grand Vertige » un pionnier de la pensée écologique qui, pour contourner les inutiles mesures officielles, organise un tour d’horizon de la situation partout dans le monde et conçoit un projet alternatif et dissident consacré à la réinvention d’un pacte naturel. Mais sommes-nous encore capables d’inverser le cours des choses et cette cause mérite-t-elle qu’on lui sacrifie sa vie (Actes Sud, 367 p., 20,50 €).

Le titre du roman d’Astrid Monet, « Soleil de cendres », concentre le fond du récit. Une mère et son fils de 7 ans s’envolent pour Berlin afin que le garçon rencontre son père. Dès le départ on suffoque avec les personnages, qui doivent lutter contre le soleil écrasant et le manque d’eau, tandis qu’à l’arrivée un tremblement de terre coupe la ville en deux et enfouit les décombres sous la grisaille des cendres (Agullo, 208 p., 19 €).

« Il n’y a pas une parcelle de terrain planétaire qui ne porte pas, soit les stigmates géologiques des cataclysmes en cours d'amplification, soit les stigmates psychologiques des populations sinistrées peinant à cohabiter avec le souvenir de leur vie passée » : signé Christophe Carpentier, « Cela aussi sera réinventé » est une dystopie philosophique et politique ancrée dans l’actualité, et dans laquelle il s’agit de savoir comment l’Homme pourra se réinventer (Au Diable Vauvert, 272 p., 18 €).

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin