Dépression résistante : toujours un défi !

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Publié le 07/03/2024
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La prise en charge de la dépression résistante pose de nombreux problèmes. Il faut s’interroger sur le diagnostic, l’observance thérapeutique, les comorbidités, les facteurs environnementaux et chercher à bien comprendre le profil de chaque patient avant de prescrire un nouveau traitement.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

La dépression résistante est habituellement définie par l’absence ou l’insuffisance de réponse à deux traitements antidépresseurs, de classes pharmacologiques différentes, bien conduits en termes de posologie et de durée ; la réponse au traitement antidépresseur étant définie par une réduction d’au moins 50 % de l’intensité symptomatologique.

La résistance, qu’elle soit complète ou partielle, est un problème fréquent, difficile à prendre en charge. Dans l’étude STAR*D (Sequenced Treatment Alternatives to Relieve Depression), un travail de référence ayant évalué la réponse aux antidépresseurs, une rémission des symptômes n’a pu être obtenue que chez 37 % des patients moyennement à sévèrement déprimés, après trois mois de traitement, avec un premier antidépresseur. 67 % ont présenté une rémission complète après quatre traitements bien conduits. Cependant, « dernièrement, Pigott et al. (BMJ Open, 2023) ont revu ce pourcentage à la baisse en réanalysant l’étude : le taux de rémission cumulé après quatre traitements ne serait que de 35 % », a expliqué la Dr Nathalie Besnier (Marseille) lors du congrès de l’Encéphale. Cela souligne bien l’enjeu et la difficulté à traiter la dépression.

Les obstacles au traitement

Plusieurs facteurs peuvent faire obstacle au traitement. « De nombreux patients ont du mal à accepter leur trouble et ont peur d’être stigmatisés. Différentes enquêtes ont montré que dans 20 à 40 % des cas, les patients n’avaient pas recours à un professionnel de santé. Et lorsqu’ils consultent, ils vont voir en majorité le médecin généraliste. Il y a très peu de recours direct au psychiatre. » Il peut en résulter un retard thérapeutique, 14 % des troubles anxieux et dépressifs n’étant pas traités dans les trois premières années.

Ensuite, il faut souvent vaincre les réticences des patients vis-à-vis des antidépresseurs : peurs des effets indésirables, peur de la dépendance…

C’est ainsi que certains patients préfèrent les traitements alternatifs à base de plantes : millepertuis, safran, curcuma, rhodiola… qui peuvent être efficaces, selon des études, dans les épisodes dépressifs légers à modérés. Des études plus rigoureuses sont cependant nécessaires.

Réinterroger le diagnostic

Une fois le traitement instauré, la non-réponse doit amener à réinterroger le diagnostic en s’attachant, notamment, à distinguer dépression résistante unipolaire et trouble bipolaire en s’appuyant sur différents questionnaires : MDQ (Mood Disorder Questionnaire), test d’hypomanie de Angst, YMRS (Young Mania Rating Scale)…

« Il est également recommandé de bien évaluer la sévérité de la dépression, les antidépresseurs étant plus efficaces dans les situations les plus sévères », souligne le Pr Ali Amad (Lille). À ce titre, « différentes échelles peuvent aider : Hamilton Depression Rating Scale (HAM-D), échelle de dépression de Montgomery et Asberg (MADRS), inventaire de dépression de Beck (BDI) ».

Il existe également des caractéristiques cliniques décrites dans le DSM-5 qu’il convient de prendre en compte : anxieuses, mixtes, mélancoliques, atypiques, psychotiques, catatoniques, péri-partum.

Une évaluation neurocognitive est importante, les déficits cognitifs pouvant être associés à une réponse atténuée aux antidépresseurs.

Il est important de bien évaluer la sévérité de la dépression, les antidépresseurs étant plus efficaces dans les formes les plus sévères

Pr Ali Amad

De l’importance du sommeil

Les troubles de la personnalité peuvent aussi être associés à la résistance, ainsi que des facteurs environnementaux (traumatismes de l’enfance, événements de vie stressants, statut marital…). Bien sûr, tout l’historique du traitement doit être revu. Sans oublier la présence de comorbidités psychiatriques ou non, notamment les troubles du sommeil.

« Le syndrome de retard de phase du sommeil se retrouve dans 60 % des syndromes dépressifs et le syndrome d’apnées du sommeil dans 35 % des cas », a souligné le Pr Pierre-Alexis Geoffroy (Paris). « Les symptômes diurnes des troubles du sommeil sont des signaux d’alarme à détecter pour prévenir le suicide chez les patients déprimés. Les hypnotiques semblent efficaces pour prévenir le suicide chez les patients atteints de dépression résistante (Maruani, 2023). » Préciser la dimension sommeil permet de proposer des prises en charge personnalisées (mélatonine, luminothérapie…) et d’éviter les résistances.

Trois possibilités d’adaptation pharmacologique

Avant toute chose, la prise en charge de la dépression difficile à traiter doit donc être globale, avec une évaluation systématique de l’hygiène de vie : sommeil, activité physique, tabagisme, alcool…

En ce qui concerne le traitement, les recommandations ont récemment été actualisées. Il existe trois principales possibilités d’adaptation pharmacologique : le switch vers une autre molécule, l’association avec un autre antidépresseur et l’adjonction d’un autre psychotrope ou de la neuromodulation.

« En ce qui concerne les associations, en première intention, on peut associer soit les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou de la sérotonine-noradrénaline (SSRI/SNRI) aux antidépresseurs noradrénergiques et sérotoninergiques spécifiques (NaSSA), soit un antidépresseur tricyclique à un NaSSA. En seconde intention, SSRI/SNRI + agomélatine ou SSRI + bupropion (hors AMM) », a précisé le Pr Antoine Yrondi (Toulouse).

En adjonction, en première intention, peuvent être proposés des traitements par lithium, eskétamine, quétiapine (50-150 mg/j), aripiprazole (2,5-10 mg/j), lamotrigine, pramipexole, l’électroconvulsivothérapie (ECT) ou la stimulation magnétique transcrânienne répétée (rTMS).

En seconde intention : triiodothyronine, olanzapine (5-10 mg/j), amisulpride (100 mg/j), rispéridone (1-2 mg/j), kétamine, méthylphénidate ou la stimulation transcrânienne à courant direct.

La psychothérapie doit toujours accompagner le traitement.

D’après la communication « Dépression : résistance ! »

La stimulation du nerf vague trop peu utilisée

La stimulation du nerf vague (SNV) est une option thérapeutique dans le traitement des dépressions résistantes connue depuis longtemps, mais qui reste très peu utilisée en France, malgré plusieurs études cliniques attestant de son rapport bénéfices-risques favorable (Restore-Life, Recover…).

La SNV permet d’obtenir une réponse clinique, dans au moins un tiers des cas de dépression résistante après échec de 4 à 6 lignes de traitements bien conduites. Deux tiers des patients maintiennent la réponse à 24 mois.

« Son action est lente mais l’effet est cumulatif et se maintient sur le long terme chez des patients pour lesquels il était précédemment difficile d’obtenir une réponse, qu’ils soient unipolaires ou bipolaires », a précisé le Pr Philippe Domenech (université Paris-Cité). C’est un traitement neurochirurgical ambulatoire, mini-invasif, qui est compatible avec l’ECT. Les effets indésirables (5-6 %) sont locaux et réversibles. « Néanmoins, il faut encore déstigmatiser la neurostimulation en psychiatrie et faciliter son accès. »


Source : Le Quotidien du Médecin