« Un bon cru pour les MICI. » De l’avis de tous, le récent congrès européen de gastro-entérologie (Vienne, 18-22 octobre 2014) aura été plutôt faste pour la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique (RCH). Sur le plan physiopathologique, les liens entre environnement et MICI ont été revisités à la lumière de nouveaux travaux. « On sait globalement que la génétique n’explique ces maladies qu’à hauteur de 50 %. On est donc à la recherche du 50 % restant », explique le Pr Pierre Michetti (Lausanne) qui présidait une session sur ce thème à Vienne.
Le rôle de l’environnement passé au crible
Pour les chercheurs, la rapide augmentation de la prévalence de ces maladies (x 4 en 30 ans) et leur apparition dans certains pays émergents épargnés jusque-là plaident en faveur d’une implication du mode de vie moderne et de l’environnement au sens large. « Comme les MICI sont des maladies du tube digestif, il serait tentant de penser que des facteurs nutritionnels interviennent », indique le Pr Michetti. Selon une récente revue de la littérature, une forte consommation d’acide linoléique serait, par exemple, associée une augmentation des MICI tandis qu’à l’inverse les acides gras polyinsaturés n-3 auraient un effet protecteur. « Mais il ne s’agit que d’associations et il n’y a pour le moment rien de vraiment très probant », résume le Pr Michetti.
L’hypothèse de Gerhard Rogler (Zurich) présentée à Vienne semble plus étayée. Pour ce spécialiste, des additifs alimentaires comme les oxydes de titane (ajoutés pour blanchir aliments et cosmétiques) pourraient être en cause. Également utilisées comme adjuvant dans certains vaccins, ces petites particules de métaux lourds ingérées favoriseraient l’immunisation des patients contre leur propre flore et contribueraient ainsi au processus inflammatoire des MICI. Plusieurs arguments plaident dans ce sens comme le fait que ces particules aient été retrouvées au niveau des plaques de Peyer de la muqueuse intestinale ou que leur effet inflammatoire ait pu être reproduit dans des modèles animaux. Contrairement aux autres hypothèses nutritionnelles, cette théorie « a donc une plausibilité biologique importante », souligne le Pr Michetti.
La vaccination et les adjuvants aluminiques présents dans les vaccins ont aussi été incriminés à plusieurs reprises. Le travail de Tine Jess présenté lors du congrès tend à relativiser cette piste. Réalisée à partir du registre national de patients danois, cette étude de cohorte prospective montre, sur un échantillon de près de 50 000 personnes nées entre 1965 et 1976, que les vaccinations anti-BCG et antivariole réalisées dans l’enfance n’augmentent pas le risque de MICI ultérieur.
Quand aux antibiotiques, leur implication dans les MICI est de plus en discutée. Pour Holm Uhlig (Oxford) l’utilisation accrue d’antibiotiques observée chez certains enfants développant une MICI pourrait être davantage le témoin d’un désordre immunitaire sous-jacent qu’un facteur déclenchant.
En revanche, de plus en plus de soupçons pèsent sur la pollution atmosphérique. Aux États-Unis, Ananthakrishnan et al. ont montré, par exemple, qu’une multiplication par un facteur 10 de la densité de polluants atmosphérique est associée à une augmentation de 40 % des taux d’hospitalisation pour MICI. De leur côté, Kaplan et al. ont montré que les jeunes adultes avaient davantage de risque de développer une maladie de Crohn s’ils habitaient dans une région avec un taux de NO2 supérieur au 3e quintile. Cependant, « le fait qu’il n’y ait pas de MICI dans certains pays pourtant très pollués pose question », reconnaît le Pr Michetti.
Afin d’y voir plus clair, l’ECCO (European Crohn’s and Colitis Organisation) est en train de mettre sur pied une cohorte de grandes tailles à l’échelon européen. Par ailleurs, les progrès technologiques vont permettre « de disséquer l’immunité de façon de plus de plus en fine et de mieux comprendre ce qui se passe », s’enthousiasme le Pr Michetti.
L’ère des biothérapies
Sur le plan thérapeutique, la dynamique vient de l’arrivée des biothérapies. Actuellement 2 anti TNF alpha (l’adalimumab et l’infliximab) sont disponibles pour le traitement de la maladie de Crohn et de la RCH tandis qu’un troisième (le golimumab ) vient d’être mis sur le marché pour la RCH. Ces molécules ont permis d’améliorer le pronostic des patients non répondeurs aux traitements de fonds classiques (azathioprine, mercaptopurine et méthotrexate), avec des rémissions prolongées pour certains d’entre eux, une moindre consommation de corticoïdes, une diminution des hospitalisations,etc.
Cependant, 10 à 20% des malades ne répondent pas aux anti-TNF tandis que 40 % échappent au traitement au bout d’un certain temps via, notamment, la production d’anticorps dirigé contre l’anti-TNF. Or « là où les rhumatologues ont à leur disposition une bonne dizaine de biothérapies, nous n’en avons à peine trois », souligne le Pr David Laharie, secrétaire général du GETAID (Groupe d'Étude Thérapeutique des Affections Inflammatoires du Tube Digestif).
Dans ce contexte, l’arrivée annoncée du vedolizumab a suscité l’enthousiasme à Vienne avec la présentation de « données très favorables ». Ce nouveau venu – qui devrait être disponible en 2015 – est un anticorps monoclonal intraveineux indiqué pour le traitement des RCH et des maladies de Crohn modérées à sévères, après échec d’au moins un traitement classique. Il diminue l’inflammation intestinale en bloquant l’intégrine α4ß7, laquelle permet l’entrée des lymphocytes T activés dans le tractus digestif.
Grâce à ce mode d’action local, le vedolizumab semble avoir « un profil de tolérance meilleur que celui des anti TNF », indique le Pr Laharie. Côté efficacité, les essais GEMINI 1 (pour la RCH) et 2 (pour le Crohn) avaient déjà montré l’efficacité de ces molécules après un an de traitement. De nouvelles données issues de l’extension en ouvert de ces études montrent que ces bénéfices se poursuivent dans le temps puisqu’à 2 ans, 72,4 % de patients sont en rémission dans la RCH et 61 % dans la maladie de Crohn. Pour les auteurs, ce maintien de la réponse thérapeutique au long cours suggère des phénomènes d’immunisation d’importance moindre que ceux retrouvés avec les autres classes thérapeutiques.
Autre biothérapie en développement, le mongersen a aussi retenu l’attention à Vienne. Cet « anti-SMAD7 » constitue le premier traitement biologique administré par voie orale. Il restaure la voie de signalisation anti-inflammatoire dite « TGF-ß1 », avec une action topique sur le côlon droit et l’iléon. Une petite étude de phase 2 présentée par une équipe Italienne retrouve des résultats très encourageants. Après deux semaines de traitement, chez des patients atteints de maladie de Crohn modérée, cortico-résistante ou dépendante, le mongersen permet une rémission clinique dans plus de la moitié des cas à des doses de 40 mg/j et de
160 mg/j avec peu d’effets systémiques en raison de sa libération locale au niveau du côlon droit et de l’iléon.
D’autres traitements biologiques sont dans les tuyaux et, à terme, l’arsenal thérapeutique anti-MICI devrait s’élargir.
En attendant, les gastro-entérologues s’attachent à optimiser l’utilisation des traitements existants. « Compte tenu du peu de molécules dont nous disposons, l’idée est de pouvoir tirer le meilleur parti d’un traitement donné avant de passer au suivant », explique le Pr Laharie. À ce titre le dosage des anti-TNF et celui des éventuels anticorps dirigés contre ces médicaments pourraient être contributifs comme le suggère le travail de X Roblin et al., mené chez des patients atteints de MICI et en perte de réponse au traitement adalimumab. Selon cette étude, la réalisation de ce type de dosages permettrait de discriminer les patients nécessitant une « simple » augmentation des posologies, de ceux requérant plutôt l’utilisation d’un autre anti-TNF, voire d’une autre classe thérapeutique.
Plus en amont la tendance est aussi à mieux cerner les facteurs prédictifs de non-réponse au traitement. Chez les patients atteints de maladie de Crohn avec sténose du grêle par exemple – chez qui l’impact des anti-TNF reste discuté – plusieurs facteurs prédictifs d’échec de non-réponse aux anti TNF ont pu être identifiés par Y. Bouhnik et al. comme l’absence d'immunosuppresseurs, l’existence d’une fistule, une distension importante de l’intestin en amont de la sténose (› 30 mm), une durée des symptômes › à 5 semaines, etc.
Au total, la prise en charge thérapeutique des patients atteints de MICI est donc en train d’évoluer avec des stratégies thérapeutiques qui s’affinent de plus en plus et l’arrivée annoncée de nouvelles options thérapeutiques.
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