Des chercheurs en épidémiologie nutritionnelle ont établi un lien entre l’apport alimentaire d’émulsifiants et le risque de survenue d’un cancer, notamment sein et prostate, par l’analyse des données de santé de 92 000 adultes de la cohorte NutriNet-Santé. Les résultats de cette étude observationnelle sont publiés dans la revue Plos Medicine par l’équipe Cress-Eren (Inserm, Inrae, universités Sorbonne Paris Nord et Paris Cité, Cnam).
Obésité, risque de cancer, maladies cardiovasculaires, les risques pour la santé liés à l’alimentation ultratransformée se confirment. L’analyse des données de la cohorte NutriNet, démarrée en 2009, avait déjà permis d’établir un lien entre exposition alimentaire aux nitrites et risque de développer un diabète de type 2. Mais également un lien entre édulcorants et risque de cancer et édulcorants et risque de maladies cardiovasculaires.
L’équipe de recherche s’est cette fois-ci intéressée aux émulsifiants, ces additifs permettant de texturiser et conserver les aliments, largement utilisés dans la fabrication des aliments ultratransformés. En France et en Europe, l’alimentation est composée en moyenne à 30 % d’aliments ultratransformés (60 % aux États-Unis et au Royaume-Uni). Concernant l’Europe, environ 60 émulsifiants sont autorisés par la European Food Safety Authority (contre 170 aux États-Unis). De plus, selon la cohorte NutriNet, sept des 10 additifs alimentaires les plus consommés par les adultes français sont des émulsifiants. À ce jour, « aucune étude prospective n’avait pu établir le lien entre émulsifiants et risques de cancer sur une cohorte d’une telle taille », écrivent les auteurs.
2 604 cas incidents de cancers
Les 92 000 individus de la cohorte, comprenant 89 % de femmes, ont été suivis durant 6,7 ans en moyenne entre 2009 et 2021, l’âge moyen étant de 45 ans. Au cours du suivi, 2 604 cas de cancers ont été déclarés par les participants dont 750 cancers du sein, 322 cancers de la prostate, 207 cancers colorectaux, 162 mélanomes, 124 cancers du poumon, 110 carcinomes cellulaires ou encore 90 lymphomes.
Après analyse, les auteurs ont ainsi retrouvé une association entre l’apport alimentaire élevé de mono et diglycérides (E471) et un haut risque de cancers (HR = 1,15), et plus particulièrement pour les cancers du sein (HR = 1,24) et de la prostate (HR = 1,46). Une association entre l’apport élevé en carraghénanes (E407, E407a) et le risque de cancer du sein a également été observée (HR = 1,32). Il n’a pas été retrouvé d’association entre apport élevé d’émulsifiants et cancer colorectal.
Des informations plus précises étaient disponibles pour 1 414 cas avec : pour les cancers du sein, majoritairement des cancers ER+ (85 %), PR+ (75 %) et triple négatif (10 %), localisés pour 69,6 %, avancés pour 28,9 % et métastatiques pour 0,2 % ; pour les cancers de la prostate, 42 % de bas risque, 45 % de risque intermédiaire et 13 % de haut risque.
Méthodes et limites de l’étude
Les apports alimentaires d’émulsifiants de la cohorte ont été évalués au moyen d’un questionnaire de santé rempli à l’inclusion, puis d’autres plus spécifiques proposés tous les six mois. Les participants renseignent les aliments et boissons consommés, leur marque ou leur provenance, durant trois journées au choix sur une période de deux semaines. Les apports alimentaires et ingérés d’émulsifiants ont ensuite été quantifiés à partir de cinq bases de données de référence (OQALI, Open Food Facts, GMPD, Efsa et GSFA). Cette méthode de quantification est détaillée dans une précédente publication. Au total, 60 émulsifiants ont été identifiés dans la cohorte NutriNet.
Pour être inclus dans l’étude, les participants devaient avoir rempli au moins trois « agendas » alimentaires durant les deux premières années de suivi. De plus, « afin d'essayer d'isoler au maximum les liens entre émulsifiants et risques de cancer, les auteurs ont ajusté leurs modèles pour de multiples paramètres : sociodémographiques, mode de vie, antécédents familiaux de cancers, mais également proportion d'aliments ultratransformés ou encore apports en édulcorants. Ainsi, les associations observées le sont "toutes choses égales par ailleurs" », détaille, pour le Quotidien, Mathilde Touvier, directrice de recherche Inserm et autrice senior de l’étude.
Les cas de cancers déclarés ont été validés par un comité médical après examen du dossier médical, et des données hospitalières et médicales, ainsi que des données Sniiram et CépiDc. Les auteurs n’ont considéré que les cas de cancer diagnostiqués à partir de 2 ans après l’inclusion en 2021 et ont exclu des cancers le carcinome basocellulaire.
Les émulsifiants mis en cause aussi dans les Mici
« Nous poursuivons le projet avec l'analyse des mélanges d'additifs (émulsifiants et autres) et de leurs liens potentiels avec le risque de maladies chroniques », commente Mathilde Touvier. Les effets néfastes des émulsifiants avaient déjà été mis en lumière, notamment par des travaux expérimentaux in vitro et in vivo, ainsi que dans des essais cliniques pilotes, dirigés par Benoît Chassaing, chargé de recherche Inserm, qui étudie leur implication dans le développement des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Mici). « Par un mécanisme de dysbiose, les émulsifiants favoriseraient l’inflammation intestinale chronique par la pénétration de microbiote dans le mucus de l’intestin, normalement stérile, altéré par les émulsifiants, terreau idéal au développement des Mici et du risque de cancer associé », explique Benoît Chassaing.
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