Suggérée par le rapport Hurel, actée par Marisol Touraine dans le cadre de son plan d’action pour la rénovation de la politique vaccinale, la concertation citoyenne sur la vaccination bat son plein. Objectif : mieux comprendre les inquiétudes, les peurs et les critiques qui subsistent à l’égard de la vaccination pour y apporter des réponses adaptées. Alors que la restitution des débats devrait se faire fin 2016, le
Pr Alain Fischer, professeur d'immunologie pédiatrique et président du comité d'orientation, revient sur les enjeux de cette concertation. Et promet déjà un certain nombre de propositions centrées sur le généraliste.
Le Généraliste. Comment est venue l'idée de cette concertation citoyenne sur la vaccination ?
Pr Alain Fischer Le point de départ est la perte de confiance relative en la vaccination qui progresse en France et a été soulignée récemment par Madame Sandrine Hurel dans son rapport sur la politique vaccinale. Il est important de dire que cette perte de confiance est relative. Si certains vaccins et certains rappels sont peu pratiqués, en revanche la vaccination des nourrissons reste bien réalisée. Il faut remarquer aussi que les couvertures vaccinales varient selon les régions. La perte de confiance se développe néanmoins et la ministre de la santé cherche à rétablir une meilleure adhésion de la population à la vaccination. Mais face aux opinions divergentes sur les mesures à prendre, il était difficile d'avancer et la proposition a été faite de passer par une concertation citoyenne pour que des personnes de bonne foi évaluent l'ensemble des arguments, comprennent pourquoi il y a des réticences et fassent des recommandations.
Vous parlez du bon taux de couverture des nourrissons. Mais l'InVS a signalé une baisse de l'activité vaccinale de 5 % chez le nourrisson entre les premiers semestres 2014 et 2015. N'est-ce pas inquiétant ?
Pr A.F. On a observé une légère baisse début 2015 mais elle a été transitoire. Les taux de couverture restent très satisfaisants pour les nourrissons. Bien sûr, il y a un risque que la baisse reprenne, mais il ne faut pas dramatiser. Un de nos objectifs est d'analyser le plus objectivement possible les niveaux de réticence, qui sont bien plus manifestes pour l'hépatite B chez le grand enfant, la grippe pour les personnes à risque et, surtout, le papillomavirus. Le taux de couverture reste toujours insuffisant pour le vaccin ROR, de même que pour le vaccin contre la méningite B, mais ce dernier est relativement récent et la couverture s’améliore d’année en année.
Comment se situe la France par rapport aux autres pays ?
Pr A.F. La méfiance vis-à-vis de la vaccination est une problématique mondiale. Tous les pays, l’Allemagne, la Suisse, les pays anglo-saxons… ont à y faire face, à divers degrés. La France n’échappe pas à ce phénomène. L'Angleterre a eu également un problème grave, qui n'est pas complètement réglé, après les allégations infondées d'un lien entre le vaccin contre la rougeole et l'autisme. Cela a provoqué une baisse considérable de la pratique de cette vaccination, même si la personne à l'origine de ses allégations avait falsifié son étude.
On dispose déjà d'études sociologiques, du Programme national d’amélioration de la politique vaccinale 2012-2017, des rapports du HCSP. Qu'attendez-vous de la concertation citoyenne ?
Pr A.F. Le débat n'est pas sur le bien-fondé de la vaccination, mais sur la manière de restaurer la confiance. J'espère, sans être trop naïf, que la réflexion des jurys et l'analyse que le comité en fera donneront des arguments qui pèsent pour que les autorités de santé puissent agir ensuite de manière efficace. Les messages et les mesures qui pourront être prises seront plus crédibles vis–à-vis de la population, du fait qu'il y aura eu ce débat citoyen. Il n'est pas sûr que cela marche, mais je pense que cela valait la peine d'être tenté.
Nous sommes aujourd'hui à mi-parcours. Comment s'est passée la première partie de la concertation ?
Pr A.F. Deux jurys ont été constitués, l'un avec des personnes de tous horizons, l'autre avec des professionnels de santé. La première étape a eu lieu au mois de juillet. Elle a consisté en l'information des jurys au cours de conférences parallèles de trois jours, pour qu'ils puissent disposer des éléments utiles à leur réflexion. J'ai le sentiment que cela s'est bien passé. Les personnes sont motivées, travaillent très sérieusement, collectivement. La procédure les intéresse.
Au cours de la seconde étape, qui s’est déroulée du 16 au 18 septembre, les jurys ont auditionné les experts qu'ils souhaitent et, après un temps de discussion, ils remettront les résultats de leurs réflexions au comité d'orientation composé de médecins et chercheurs experts de la vaccination, de spécialistes des sciences humaines et de citoyens engagés dans les problématiques de santé publique.
Le comité d'orientation s'appuiera sur la réflexion des jurys citoyens, sur des auditions d'experts, sur les points de vue exprimés sur l'espace participatif sur internet et sur son propre travail d'analyse pour élaborer ses propres recommandations. Nous prendrons également en compte nos deux enquêtes qualitatives réalisées en population générale et auprès des professionnels de santé, en cours d'analyse. Elles nous aideront, je l’espère, à comprendre le mieux possible ce sentiment de réticence. Mais il y aura débat et il est possible qu'il y ait des points de vue divergents.
Les enquêtes prouvent que, dans leur grande majorité, les parents font confiance à leur médecin. Or des doutes apparaissent chez certains généralistes. Comment sera abordé ce point, particulièrement crucial ?
Pr A.F. Les médecins généralistes sont représentés aussi bien dans le jury de professionnels que dans le comité d'orientation. C'est indispensable car ils constituent le relais absolument essentiel de toute politique de vaccination. Ce sont les premières personnes consultées par les familles lorsqu'elles ont des questions et ce sont eux
qui vaccinent. Il faut entendre leurs difficultés à l'égard de la vaccination. Un certain nombre de problèmes se posent. Par exemple, les difficultés d'approvisionnement rejaillissent sur leur pratique ; ils ont besoin d’y voir clair sur le calendrier vaccinal… Je ne sais pas ce que nous recommanderons in fine, mais il est évident qu'un certain nombre de propositions seront centrées sur le médecin généraliste.
Vos recommandations donneront-elles lieu à un plan ?
Pr A.F. Ce sera à Marisol Touraine d’en décider. Elle a souhaité mettre en place un certain nombre de mesures en début d'année. Nous sommes susceptibles d'apporter des recommandations sur toute une série de points, notamment sur l'obligation vaccinale. Aujourd'hui il y a trois vaccins obligatoires, les autres étant simplement recommandés. C'est une situation qui est illisible, discutée dans tous les sens avec plus ou moins de bonne foi. Il faut se pencher sur cette question. Mais je ne sais pas aujourd'hui encore ce qu'il faudra proposer.
Comment faire comprendre l'importance de la vaccination contre des maladies qui ne font pas peur ?
Pr A.F. On oublie les risques inhérents aux pathologies que l'on ne voit plus. Les jeunes générations ne connaissent pas la diphtérie ni la poliomyélite. Il est difficile de convaincre la population que le risque peut réapparaître. De plus certaines maladies sont considérées à tort comme bénignes.
Cela amène à expliquer les notions de risque individuel et de risque collectif. Il faut faire comprendre aux personnes qu'en se vaccinant elles se protègent, mais protègent aussi les autres et, en particulier, les personnes vulnérables. Les immunodéprimées, en particulier, souffrent du défaut de couverture vaccinale. On l'a vu lors de l'épidémie récente de rougeole. Nous réfléchissons à ce point important et nous nous entretenons avec des associations de malades, immunodéprimés notamment.
Y a-t-il des pays dont on devrait s'inspirer pour leur politique vaccinale ?
Pr A.F. Nous essayons d'avoir un panorama des politiques menées dans les différents pays européens. C'est assez hétérogène. Actuellement les pays d'Europe du Nord ont de bons résultats en matière de vaccination. Mais il faut faire très attention à la transposition d'une politique vaccinale d'un pays à l'autre car les mentalités ne sont pas toujours les mêmes et des transpositions automatiques pourraient ne pas donner les effets attendus. C'est très intéressant d'analyser ce que font les autres pays, mais nous devons nous inscrire dans l'histoire française de la vaccination, qui n'est pas celle des pays voisins.
*Etudes et résultats n°910, mars 2015
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation