En cancérologie, le champ de l'immunothérapie s'est énormément développé ces sept dernières années. Et c’est loin d’être terminé, puisque des études sont en cours pour une vingtaine de localisations différentes. Parmi ces nouveaux traitements, ceux nommés “inhibiteurs de points de contrôle” font beaucoup parler d’eux. Ils permettent de bloquer des freins de l’immunité (CTLA-4, PD-1, et PD-L1)*, et activent le système immunitaire pour lutter contre les cellules tumorales. Parmi cette nouvelle famille de médicaments, les anti-PD1 – nivolumab et pembrolizumab – ont démontré leur efficacité pour des tumeurs jusqu’ici difficiles à prendre en charge. Ces traitements ont été d’abord disponibles dans le mélanome et le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC). Le pembrolizumab a entre autres son AMM pour le traitement en première ligne en monothérapie du CBNPC métastatique, si plus de 50 % des cellules tumorales expriment PD-L1. Les indications de ces traitements s’étendent progressivement : maladie de Hodgkin, carcinome urothélial…
Trouver la bonne association
À côté d’essais thérapeutiques effectués avec de nouveaux “inhibiteurs de points de contrôle”, aujourd’hui beaucoup de travaux se focalisent sur l’association de traitements aux immunothérapies. Différentes combinaisons thérapeutiques sont explorées, avec parfois des résultats mitigés, comme l’a indiqué à l’ASCO (Chicago, 1er au 5 juin) le Pr Alexander Eggermont, directeur général de Gustave Roussy : « Une monothérapie avec des agents anti-PD1 a montré de tels bénéfices dans le mélanome qu'il sera difficile de montrer qu'en associant une autre molécule, nous parviendrons à un résultat significativement meilleur. » (ASCO Dailys News). De manière générale, beaucoup d’associations de deux immunothérapies, c’est-à-dire de deux traitements par “inhibiteurs de points de contrôle” se montrent décevantes.
C’est surtout l’association immunothérapie-chimiothérapie qui peut s’avérer bénéfique, comme pour le cancer du poumon, souvent diagnostiqué à un stade tardif (70 % des patients avec des métastases). « En France, c’est un diagnostic toutes les 13 minutes et un décès toutes les 17 », rappelle le Pr Nicolas Gérard, oncologue médical, responsable de l’Institut du thorax Curie-Montsouris. « À l’ASCO, cinq essais cliniques associant immunothérapie et chimiothérapie chez tout patient souffrant d’un CBNPC métastatique ont montré que 70 % d’entre eux sont vivants à un an. Alors que sous chimiothérapie seule, on obtient un résultat de 70 % des patients décédés à un an. On espère bien sûr que cette stratégie thérapeutique sera très bientôt validée par nos autorités de tutelle pour qu’un grand nombre de patients puissent en bénéficier. » L’association immunothérapie-chimiothérapie permettrait de prévenir un risque d’hyper-progression tumorale, qui survient parfois avec une immunothérapie seule (cf. interview).
À l’ASCO, un autre traitement d’immunothérapie fut à l’honneur (avec des résultats importants dans le myélome) : les CAR-T cells, lymphocytes T du patient modifiés génétiquement pour qu’ils expriment un récepteur antigénique dit chimérique (Chimeric Antigen Receptor – CAR). Le but est d’identifier et de tuer les cellules cancéreuses (voir schéma). Cette immunothérapie se développe en particulier en hématologie. Aujourd’hui, deux médicaments CAR-T cells sont autorisés aux États-Unis : tisagenlecleucel pour les leucémies aiguës lymphoblastiques de type B et axicabtagene pour le lymphome.
Un traitement révolutionnaire
« Le traitement par ces CAR-T cells est considéré par certains experts comme une révolution dans le traitement d’une partie des cancers hématologiques », indique l’INCa**. L’institut émet aussitôt deux réserves majeures : en plus d’un risque de toxicité parfois très important (comme le syndrome de relargage des cytokines, à l’origine de fièvres, d’hypotension, d’arythmies cardiaques…), l’Institut pointe du doigt la dimension économique de tels traitements : « Aux États-Unis, le prix d’une injection de tisagenlecteucel serait de 475 000 dollars. »
Le tisagenlecleucel et l’axicabtagene devraient bientôt être autorisés en Europe. Certains patients français en ont déjà bénéficié lors d’essais thérapeutiques. « Prochainement, une population plus large de patients devrait pouvoir en bénéficier dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) de cohorte », explique Muriel Dahan, directrice des recommandations et du médicament à l’INCa. « En raison de leurs conditions d’utilisation très strictes, en particulier liées à leur complexité et à leur toxicité (nécessitant un service de réanimation à proximité), seuls certains centres seront habilités à utiliser les CAR-T cells. » Actuellement, ils sont utilisés aux Hospices Civils de Lyon et à Paris dans les hôpitaux de Saint-Louis (pour l’hématologie adulte) et Robert Debré (pour les enfants). Quand les ATU de cohorte seront attribuées, d’autres centres de soins seront concernés.
* CTLA4 = cytotoxic T-lymphocyte–associated antigen 4 ; PD1 = programmed death 1 ; PD-L1 = programmed death-ligand 1.
** Les immunothérapies spécifiques dans le traitement des cancers/synthèse, France 2018, INCa.
Pr CHRISTOPHE LE TOURNEAU* « Savoir identifier les bons répondeurs »Peut-on savoir en amont quels patients seront répondeurs à l’immunothérapie ?
Pr Christophe Le Tourneau. C’est un sujet de plus en plus exploré, pour lequel nous commençons à avoir des réponses. En amont, la détermination de certains biomarqueurs tumoraux est importante, et des travaux sont actuellement menés pour en découvrir d’autres, comme la charge mutationnelle. Des études portent également sur l’ADN tumoral circulant qui pourrait être un déterminant important. Ces travaux nécessitant d’être confirmés montrent que les patients les plus répondeurs à l’immunothérapie ont une baisse franche de leur ADN tumoral circulant.
Les cancérologues français ont été les premiers à révéler une accélération de la croissance tumorale sous immunothérapie…
Pr C. Le T En effet, cela a d’abord été décrit par notre équipe à l’Institut Curie et celle de Gustave Roussy. Le plus souvent, on prend comme seuil d’hyper-progression une accélération multipliée par deux. Selon les études connues à ce jour, ce phénomène a été observé chez 4 à 29 % des patients sous immunothérapie. Donc, même si pour certains cancers, 10 à 20 % des patients répondent très bien à l’immunothérapie, d’autres n’y répondent pas du tout, et il y aurait même une accélération de la prolifération tumorale chez certains d’entre eux. Cela nécessite d’adapter les pratiques, et d’arrêter rapidement une immunothérapie quand celle-ci n’a pas d’effet anti-tumoral, pour avoir ainsi la possibilité de passer à un autre traitement. Nous avons d’ailleurs présenté à l’ASCO une étude rétrospective réalisée chez des patients atteints de certains cancers ORL, montrant que les patients sous chimiothérapie répondent trois fois mieux à celle-ci s’ils ont eu une immunothérapie avant, comparé à ceux n’en ayant pas eu.
De façon globale, où se place l’immunothérapie dans l’ensemble des stratégies thérapeutiques proposées en cancérologie ?
Pr C. Le T. Même si les progrès sont importants grâce à l’immunothérapie dans de nombreux cancers avec des réponses prolongées, la majorité des patients n’en tire pas de bénéfice. Il est trop tôt pour dire que l’immunothérapie peut guérir ceux atteints de cancers métastatiques. Et pour l’instant, les stratégies thérapeutiques majeures pour les tumeurs solides demeurent la chirurgie et la radiothérapie.
*Chef du département d’essais cliniques précoces et d’innovation (D3i) à l’Institut Curie
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation