La 10e édition du congrès de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP) a insisté sur les accélérations nécessaires, réglementaires et techniques, pour le séquençage en pratique clinique. Alors qu’une mise à disposition élargie semble enfin se débloquer, l’objectif est désormais d’avoir les résultats le plus vite possible avec la dernière génération ultrarapide.
En direct de la 10e édition du congrès de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP), le Pr Laurent Mesnard et son équipe lancent depuis leur laboratoire situé à l’hôpital Tenon (AP-HP) le projet Urges : le séquençage ultrarapide pangénomique de quatre personnes. Cette prouesse technique, réalisée en 48 heures, est rendue possible par le séquençage de 3e génération.
Si le testing génétique est déjà utilisé dans la prise en charge du cancer et des maladies rares, le séquençage ultrarapide se présente comme un moyen pour faciliter l’accès à la médecine prédictive et personnalisée en pratique courante. « Le séquençage ultrarapide nous offre la possibilité de réduire significativement les délais d’analyses génétiques, que ce soit à des fins de dépistage anté- et néonatal ou de caractérisation d’un cancer ; ce qui nous permettra de proposer l’analyse plus largement à nos patients afin de leur offrir une prise en charge personnalisée le plus précocement possible », expose le Pr Pascal Pujol, président de la SFMPP et oncogénéticien au CHU de Montpellier.
Parmi les quatre génomes séquencés se cachent celui du Pr Jean-Louis Mandel, généticien distingué par le prix Kavli 2022 ou encore celui de Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation. L’interprétation médicale est confiée aux Prs David Geneviève, généticien et président de l’Association française de génétique clinique, Laurent Mesnard, néphrologue et généticien des maladies rénales, et Pascal Pujol. « Seules les données incidentes actionnables font l’objet d’un retour aux participants, s’ils le souhaitent », précise le président de la SFMPP. Le séquençage ultrarapide rend en quelques heures ou jours ce que font en trois à six mois les séquenceurs de 2e génération haut débit (NGS), utilisés depuis 2010, et en dix-huit mois les anciens séquenceurs Sanger de 1re génération. « Et ce pour un coût équivalent à une journée de dialyse », détaille le Pr Pujol.
Depuis plusieurs années, les oncologues et les sociétés savantes déploraient la saturation du RIHN et de la liste complémentaire
Sophie Beaupère
Déléguée générale d’Unicancer
Le remboursement tant attendu à portée de main
Les sessions de cette 10e édition n’ont fait que rappeler l’importance de rendre disponible l’analyse génétique pour assurer un accès égalitaire à un soin performant. Ainsi, la mise en place du RIHN 2.0 (Référentiel des actes innovants hors nomenclature), dans la loi de financement de la sécurité sociale 2023, a permis l’accélération du passage en droit commun des tests génétiques dans les cancers du poumon (PCR NRAS, KRAS, EGFR, BRAF par séquençage NGS), du sein et le mélanome en janvier 2024, ou encore dans le cancer de l’ovaire en 2022 (HRD).
L’essentiel des autres tests génétiques est actuellement inscrit, depuis 2015, dans le RIHN ou la liste complémentaire des actes de biologie médicale et d’anatomo-cytopathologie. « Depuis plusieurs années, les oncologues et les sociétés savantes déploraient la saturation du RIHN et de la liste complémentaire, destinés à être temporaires, et le système de facturation induisant un reste à charge pour l’établissement d’exercice. Une situation qui pénalise les patients et mène à une inégalité d’accès », précise Sophie Beaupère, déléguée générale d’Unicancer. Selon la responsable, de nouvelles vagues d’évaluation de la Haute Autorité de santé (HAS) devraient se pencher sur d’autres testings génétiques en oncologie afin qu’ils entrent aussi dans le droit commun. Une transition d’autant plus nécessaire que la Société européenne d’oncologie médicale (Esmo) recommande depuis 2024 l’analyse génétique pour tous les cancers avancés, afin de laisser une chance aux patients de bénéficier de thérapies ciblées.
La révolution du dépistage des mutations BRCA 1/2
Les tests génétiques interviennent désormais à de nombreuses étapes de la prise en charge en oncologie, « affiner le diagnostic, évaluer le pronostic, classer la gravité, stratifier le risque, guider la thérapeutique, identifier des prédispositions familiales et dépister les patients à risque », énonce le Pr Pujol. Et avec le test BRCA 1/2, « nous passons de la prévention familiale au choix du traitement du cancer », met en avant le président de la SFMPP.
Dans le cancer du sein en particulier, le test de dépistage du statut BRCA 1/2 est en effet devenu central. La stratification du risque familial et la recherche du statut BRCA (mutations germinales) permet de proposer une ablation chirurgicale préventive ; en cas de cancer, le statut BRCA 1/2 permet de poser l’indication d’une thérapie ciblée par inhibiteurs de PARP.
De plus, la recherche de mutations tumorales BRCA 1/2, indépendamment du statut du patient, a révolutionné la prise en charge des cancers du sein, mais aussi de l’ovaire, de la prostate et du pancréas. L’élargissement de la recherche de mutations germinales et tumorales a ainsi fait l’objet de recommandations européennes en 2021 (1), qui ont permis d’améliorer l’accès aux inhibiteurs de PARP au-delà du cancer du sein.
Le délai d’obtention des résultats du test BRCA 1/2 est d’environ six mois dans la plupart des laboratoires, c’est une perte de chance énorme pour les patients
Pr Pascal Pujol
Président de la SFMPP
Le projet Turbo
Plus récemment, lors du congrès 2024 de l’American Society of Clinical Oncology (Asco), ont été présentées de nouvelles recommandations qui indiquent de réaliser le testing BRCA (mutations germinales) chez toutes les patientes atteintes d’un cancer du sein avant 65 ans, y compris pour les tumeurs précoces, quels que soient les antécédents familiaux. « Jusque-là, seulement la moitié des femmes porteuses de la mutation remplissait les critères de testing », déplore le Pr Pujol citant une étude publiée en 2022 dans l’European Journal of Cancer. L’oncologue espère ainsi le remboursement de ce test, la HAS « ayant assuré que la question serait traitée dans la prochaine vague d’évaluation ». « Ne pas savoir rapidement s’il faut initier un traitement par inhibiteur de PARP est une perte de chance de survie à trois ans pour les patientes atteintes d’un cancer du sein », affirme-t-il.
Fort de ces enjeux, le Pr Pujol, avec le projet Turbo, entend aller plus loin et proposer un testing ultrarapide permettant de rendre en une semaine un bilan aux patients. « Il faut un jour pour séquencer et quelques jours de plus pour faire l’analyse médicale, détaille l’oncogénéticien. Actuellement, le délai d’obtention des résultats du test BRCA1/2 est d’environ six mois dans la plupart des laboratoires, c’est une perte de chance énorme pour les patients ». L’étude Turbo, qui vise à inclure 150 patientes du centre de lutte contre le cancer Georges François-Leclerc (Dijon) et de l’Institut Rafaël (Levallois-Perret), cherchera à comparer les performances diagnostiques de ce test ultrarapide avec celles du standard actuel, le séquençage NGS. Les investigateurs du projet projettent de premiers résultats d’ici à un an.
(1) Pujol P. et al., European Journal of Cancer 2021;146:30-47
Quid de la pharmacogénétique ?
Le testing génétique permet aussi d’évaluer la tolérance ou la résistance aux traitements. C’est le cas par exemple du test génétique de déficience en DPD induisant la toxicité au 5-Fluorouracile (5-FU), test exigé par les autorités de santé avant le démarrage du traitement. Des tests dits compagnons sont de plus attachés à l'autorisation de mise sur le marché d’un traitement. « En 10 ans, ce sont plus de 100 nouvelles molécules dont les indications reposent sur des tests génétiques », rappelle Sophie Beaupère d’Unicancer. Dans le cancer du poumon, une résistance aux thérapies ciblées peut être retrouvée un ou deux ans après leur initiation.