Marqué au fer rouge par la crise du Covid-19, le Dr Bertrand Legrand, médecin généraliste dans un quartier populaire de Tourcoing et secrétaire général de la Confédération des syndicats médicaux français 59-62 (CSMF), publie le 3 septembre son Journal d’un médecin au temps du coronavirus (éditions L'Archipel, 224 pages, 18 euros). Un récit saisissant dans lequel il a consigné, jour après jour, ses états d’âme, ses coups de colère et les nombreuses initiatives qu’il a dû prendre seul – se sentant la plupart du temps abandonné par les autorités.
Incohérences du gouvernement
Au début du mois de juin, le Conseil national de l’Ordre des médecins déclarait une trentaine de médecins libéraux décédés du Covid-19 (relire notre hommage aux généralistes décédés) ainsi que 2 800 généralistes contaminés par le virus. Dans son journal de bord, entrepris au début de mois de février et qui court jusqu’au 18 mai – une semaine après la levée du confinement –, le Dr Bertrand Legrand ne cache pas son amertume et son indignation, en particulier vis-à-vis de certaines décisions politiques prises pour faire face à la crise sanitaire.
Dès les prémices de la crise, il y a bien sûr le manque effarant de masques, qui montre que l’administration n'a pas pris la mesure des besoins des professionnels de santé en cas d’épidémie (le généraliste s'en était déjà confié à la presse locale). Et puis, alors même que les soignants libéraux forment le réseau « capable de prendre en charge le plus de patients », ils sont mis à l’écart par les autorités, qui conseillent aux Français d'éviter les cabinets et d'appeler le 15 (en février, le Premier ministre Édouard Philippe tient des propos ambigus laissant à penser que les patients ne doivent plus se rendre chez leur médecin). Quelques semaines plus tard, le Dr Legrand écrit également sa stupéfaction face au maintien du premier tour des élections municipales du 15 mars, qui tient de la « pure folie » selon lui. Enfin et surtout, en dépit des consignes gouvernementales du 13 avril, le médecin de ville n’aura de cesse d’alerter – par l’intermédiaire des réseaux sociaux et des médias – sur la nécessité de tester les cas asymptomatiques et non pas de se limiter aux malades présentant des manifestations du Covid-19. Il testera d’ailleurs lui-même, autant que possible, tous les patients qui le souhaitent.
Déterminé à agir plutôt qu’à subir
Face à la catastrophe, le Dr Bertrand Legrand a fait partie des très nombreux généralistes « déterminés à agir plutôt qu’à subir » : il construit un abri dans son jardin pour garder à l'écart les patients avant la consultation, transforme sa salle d’attente en salle d’isolement pour qu’ils puissent y attendre le Samu lorsque c’est nécessaire, installe des écrans de Plexiglas, et met en ligne un questionnaire pour ceux qui désirent prendre un rendez-vous en présentiel.
« Hanté » par la crainte de s’infecter, de ramener le virus dans sa famille et de le transmettre à ses patients, il vivra cette période avec une angoisse tenace, accompagnée de troubles du sommeil. Pourtant, si ces quelques mois se sont apparentés pour lui à un combat particulièrement éprouvant, la solidité de l’équipe médicale qu’il forme avec sa femme et associée, Anne-Sophie, et son assistante, Malika, l’a aidé à tenir le cap.
Son récit s'achève avec le résultat de sa sérologie, le 18 mai : malgré les risques qu'il a pris, le généraliste n'a pas été contaminé. Mais aussi avec un message résolument pragmatique et volontaire. « La note d'espoir, c'est que si nous, médecins nous adaptons, si nous changeons nos cabinets et nos pratiques, avec une logique simple, nous arriverons à maîtriser n'importe quelle épidémie », confie-t-il dans les dernières lignes de son témoignage.
Extraits :
Samedi 29 février
Le gouvernement espère que tous les cas de Covid seront directement pris en charge par le 15 et les urgences, sans passer par nos cabinets. Il se fourre le doigt dans l’œil. Mon expérience est qu’on ne découvre qu’au détour d’un interrogatoire, et souvent à la toute-fin, qu’un patient revient d’une zone à risque, ou qu’il a été en contact avec un membre de sa famille touché par le Covid. Cela arrive à tous nos confrères. Va-t-on tous les mettre en quatorzaine ?
Jeudi 19 mars 2020
Je reçois des combinaisons, du gel et des masques de la part d’une entreprise. Les masques sont périmés mais c’est mieux que rien. Grâce à eux, nous allons pouvoir suivre les patients qui ne pourront être hospitalisés. Ce que l’État ne fait pas, certaines entreprises le font avec un sens de leurs responsabilités. C’est le tour étrange que prend la France désormais : le pays devient un immense « Bon Coin » de l’équipement de protection sanitaire. La débrouille et le bricolage s’organisent pour compenser la politique de gribouille de la République malade de sa bureaucratie.
Lundi 30 mars 2020
J’apprends que Vincent, un généraliste de 60 ans que je connais par mes activités syndicales, est en réanimation. Les pertes vont être lourdes dans nos rangs. Mon anxiété bondit. Vincent est quelqu’un que je connais depuis des années. Il est dévoué à sa patientèle, toujours actif même s’il a dépassé l’âge de la retraite. […] J’admire ces aînés qui vont au combat sans reculer. [NDLR : le confrère en question se remettait doucement de la maladie courant avril.]
Mercredi 15 avril 2020
Je tombe sur une étude américaine qui confirme ma démonstration statistique sur l’usage des tests. Dans un service d’obstétrique, les médecins ont testé systématiquement les femmes qui étaient admises, en tout 215, entre le 22 mars et le 4 avril 2020. […] Résultat : 4 patientes positives avec des symptômes, 29 positives sans symptômes, et 182 négatives sans symptômes. En clair, on peut dire de cette étude qu’à chaque fois qu’on concentre les tests sur un patient symptomatique, on risque d’en laisser 7 asymptomatiques courir dans la nature.
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