Dr Jean-François Corty (Médecins du Monde) : sans l'AME, « les patients arriveront plus tard, avec des troubles plus sévères »

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Publié le 17/11/2023
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Le Dr Jean-François Corty, vice-président de Médecins du Monde, revient sur les conséquences sanitaires qu’aurait la suppression de l’aide médicale d’État.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Comment avez-vous accueilli l’adoption par le Sénat d’un amendement transformant l’aide médicale d’État (AME) en une aide médicale d’urgence (AMU) ?

Dr JEAN-FRANÇOIS CORTY : Nous sommes atterrés. Remettre en cause l’AME est en totale rupture avec toutes les données médicales, économiques ou même sociologiques montrant que c’est un dispositif de santé publique indispensable.

L’épidémiologiste britannique Richard Wilkinson a déjà mis en évidence l'impact des inégalités de santé sur la santé globale. La fin de l’AME, si elle était appliquée, nuirait non seulement à la santé des plus précaires, mais aussi à celle de l’ensemble de la population.

Comme pour les questions environnementales, on observe une tension entre la recherche et les acteurs politiques qui n’appuient pas leurs décisions sur l’intérêt général mais sur un ressenti irrationnel.

La moitié des personnes qui y ont droit ne recourent pas au dispositif. Et dans notre cohorte de 15 000 personnes précaires à Médecins du Monde (MDM), le chiffre atteint huit personnes éligibles sur dix. Le supposé appel d’air n’existe pas dans le monde réel, ce n’est qu’une vue de l’esprit.

Quelles conséquences sanitaires craignez-vous ?

Tout connaisseur de la physiopathologie peut anticiper les conséquences des retards de diagnostic. De nombreuses pathologies, comme le diabète ou le cancer, deviennent graves sans prise en charge précoce et adaptée. Même chose pour les maladies infectieuses, comme l'hépatite B ou le VIH. Les patients arriveront plus tard, avec des troubles plus sévères. Car, soyons clairs, les gens seront de toute façon pris en charge, mais ils auront plus de séquelles et ça coûtera plus cher.

Il y aura plus de monde dans les consultations des associations comme MDM, mais aussi à l’hôpital dans les permanences d’accès aux soins (Pass) ou aux urgences, alors que le système de santé est en forte tension. Les hospitalisations seront plus longues et plus fréquentes. Le risque, c’est l’engorgement, avec des pertes de chances. S’attaquer à l’AME est un choix idéologique et lâche qui dédouane les politiques d’une recherche de solutions pérennes pour le système de santé.

Selon un sondage* de MDM, les Français sont favorables au maintien de l’AME.

Quand on pose la question aux Français sans élément de contexte, ils sont en majorité (60 % en septembre et 53 % en octobre dans une période plus anxiogène) spontanément favorables à l’AME. Et avec des informations sur le dispositif, le taux d’adhésion monte à 73 %. Cela démontre que la population, dès lors qu’elle est renseignée, adopte un avis rationnel, fondé sur les données.

Le problème vient de la diffusion de fausses allégations. Certains propos d’élus mentionnant des abus pour de la chirurgie esthétique ou des cures thermales relèvent tout simplement du fantasme. Face à ces méthodes, notre espoir est que la Première ministre, Élisabeth Borne, tienne parole et garantisse le maintien de l’AME, mais aussi qu’un débat de fond s’engage sur la lutte contre les inégalités.

*Mené par l’Institut CSA auprès d’un échantillon représentatif de 1 013 Français de plus de 18 ans en septembre et octobre 2023.

Propos recueillis par Elsa Bellanger

Source : Le Quotidien du médecin