LE QUOTIDIEN : Au printemps 2020, vous avez revêtu la blouse blanche dix ans après l’avoir quittée. Pourquoi ce choix ?
THOMAS LILTI : C’est mon identité de soignant qui s’est remise en route. À ce moment-là, j’étais en train de tourner la deuxième saison d’Hippocrate. L’arrêt brutal du tournage a été un coup dur professionnel. Être soignant, c’est avant tout une identité plus qu’une vocation ou un métier. Cette identité a été questionnée par cette crise et j’ai décidé d’y retourner, à l’hôpital Robert Ballanger, là où nous tournions la série. Une fois là-bas, j’ai été extrêmement ému, comme si je retrouvais des racines : le métier que j’ai appris, le monde de l’hôpital que je connais par cœur… Mais je retrouvais aussi cette impression de ne pas être complètement à ma place, ce sentiment qui m’a fait prendre mes distances avec le soin au fil du temps.
Racontez-nous vos retrouvailles avec le métier de médecin…
La clinique, ça ne se perd pas beaucoup. L’examen et l’interrogatoire d’un patient, ça revient très vite. J’avais gardé de bons réflexes. À l’inverse, la thérapeutique évolue. Et j’avais oublié certaines prises en charge qu’il fallait me remémorer. Un jour, j’ai pris en charge une crise d’asthme sans me souvenir qu’il fallait réaliser un peak flow. C’est pourtant une évidence pour les médecins. Parfois j’étais un peu perdu sur l’informatique car à mon époque tout se faisait sur papier ! Une autre chose m’a beaucoup marqué. Il y a 15 ans, quand j’étais tout jeune médecin avec plein de limites mais des connaissances assez solides, on ne me faisait pas tellement confiance. Aujourd’hui avec ma tête de vieux, tout le monde venait me demander mon avis. C’est étonnant de se rendre compte que parfois l’habit fait le moine.
Combien de temps a duré ce retour à l’hôpital ?
Cette plongée a duré quatre semaines. Elle a été interrompue car je n’étais plus inscrit au conseil de l’Ordre des médecins. Donc je ne pouvais pas être assuré et l’hôpital ne pouvait pas me couvrir en cas d’erreur. Je suis déçu que le conseil de l’Ordre n’ait pas compris ma démarche : aider comme un étudiant en médecine et non comme un médecin à part entière. J’ai eu beau leur expliquer que, comme les internes, toutes mes décisions faisaient l’objet d’une validation par un chef, ils n’ont pas voulu l’entendre.
Le comble, c’est quand ils m’ont proposé de travailler en tant que faisant fonction d’infirmier. C’est méprisant pour les infirmiers car ce n’est pas le même métier. L’Ordre des médecins décidait que moi, médecin, j’avais le droit d’être infirmier. On marche sur la tête. C’est ce même conseil de l’Ordre qui m’avait demandé mes diplômes en pleine période de confinement alors que les universités étaient fermées et que je ne pouvais pas aller les chercher chez mes parents.
Comment est venu votre besoin d’écrire sur cette expérience ?
Au départ, je voulais prendre des notes pour moi, pour me souvenir de ce retour à l’hôpital. Mais je ne pouvais pas me cacher derrière de la fiction pour raconter ça car il y a quelque chose de l’ordre de l’intime. Quelle est ma place au fond ? Est-ce que je suis un soignant ? Un cinéaste ? Un cinéaste qui fut un soignant ? Un soignant devenu cinéaste ? Tout cela se mélange dans ma tête. La question de la légitimité a toujours été centrale pour moi.
Vous partagez à la fois une affection pour l’hôpital et les soignants et un rejet pour ce métier de médecin. Expliquez-nous…
Je ne distingue pas les médecins des soignants. Les médecins sont des soignants. Et j’ai beaucoup d’affection pour les hommes et les femmes qui vouent leur vie au soin, qui portent en eux cette identité de soignant. Si je suis dur avec les médecins c’est certainement parce que je suis médecin et que je fais également mon examen de conscience.
Je n’ai jamais été totalement heureux dans la pratique de mon métier. Je ne me sentais pas à ma place, je ne m’épanouissais pas. Je n’arrive pas forcément à l’expliquer mais j’en ai fait le constat. La pratique de la médecine au quotidien est pour moi compliquée, douloureuse. C’est même parfois insupportable de rentrer chez soi avec la culpabilité d’avoir mal fait ou pas assez, de se dire qu’on n’est pas à la hauteur ou pas complètement investi… Quand j’étais médecin, mon esprit était parfois sur les plateaux de cinéma et ça me culpabilisait beaucoup.
Au contraire, l’hôpital me fascine car c’est un monde à part entière. L’hôpital nous phagocyte, il nous digère et on peut tout y vivre. Les soignants aussi me fascinent par leur opiniâtreté, leur abnégation.
Dans ce livre vous n’êtes pas tendre avec les médecins que vous trouvez notamment peu cultivés…
C’est un constat que je fais. Et je me compte dans le lot. Certes il y a plein de médecins très cultivés mais dans l’ensemble, très peu s’intéressent à d’autres champs que la médecine. Ils sont souvent étrangers aux domaines culturels et artistiques. C’est certainement lié au fait que, depuis l’âge de 18 ans, ils sont dans une forme de performance scolaire qui ne leur a pas laissé beaucoup de temps pour s’ouvrir à autre chose. Les études de médecine les ont envahis.
Au contraire, quand on est un peu différent, un peu original, le système peut être excluant. Il y a clairement un moule auquel il faut adhérer et rentrer dans les codes pour être reconnu par ses pairs. Quand on sait que 50 % des étudiants en deuxième année ont au moins un parent médecin, c’est inquiétant. Il n’y a pas assez de brassage. Et tout cela se fait avec un enseignement de la médecine qui est violent.
Vous trouvez les études médicales violentes, pourquoi ?
Je trouve l’organisation de la transmission du savoir catastrophique. La PACES est une boucherie pédagogique. On sélectionne les étudiants sur des QCM. Il faut recracher une quantité d’informations après les avoir mémorisées le mieux possible. Je n’en pense que du mal. Ensuite, il y a la perspective des ECN qui vont faire replonger les étudiants dans une compétition qui les monte les uns contre les autres et favorise ceux qui sont les plus « scolaires ».
Mais savoir réussir des concours et être un bon soignant sont deux choses qui n’ont rien à voir. C’est le drame des études de médecine. La compétition ne peut pas être une valeur noble quand on forme des soignants. Il faudrait d’abord revoir les enseignements. Est-ce que c’est normal qu’en première année, 90 % de ce qu’on apprend n’ait rien à voir avec le métier de médecin et la pratique du soin ? Le seul objectif est de sélectionner. Je ne connais pas précisément le contenu de la réforme en cours, mais les premiers retours que j’ai sont catastrophiques. Cependant, l’année est tellement exceptionnelle qu’il est encore trop difficile de juger.
Face à la désertification, vous proposez dans votre livre de mettre fin à la liberté d’installation. Pourquoi ?
Je n’ai pas d’avis tranché. Étant parti faire du cinéma, je suis assez mal placé pour dire ce qu’il faut faire ou pas. Je pense simplement qu’on pourrait envisager de demander aux jeunes médecins d’aller exercer pendant 5, 6 ou 7 ans dans les endroits où il n’y en a pas. C’est la même chose pour l’hôpital public. Plus de 50 % des médecins qui travaillent aux urgences sont à diplôme étranger. Les jeunes professeurs par exemple n’ont pas la liberté de choisir leur premier poste et cela ne choque personne.
Mais le problème, c’est que les étudiants en médecine sont tellement peu considérés qu’ils n’ont aucune envie de rester travailler à l’hôpital public à la fin de leurs études. Les conditions de travail y sont dégradées et on ne peut que les comprendre. Il y a urgence à revaloriser la médecine hospitalière. Changer le mode de sélection. Ouvrir les esprits. Remettre l’écoute au cœur de la pratique médicale. Et aussi prendre soin des étudiants.
De quel œil voyez-vous la colère qui s’exprime à l’hôpital public ?
Elle est totalement légitime. Quand j’ai commencé à travailler à l’hôpital public à la fin des années 1990, on commençait tout juste à entendre parler de durée d’occupation des lits et de rentabilité du service public. J’ai vu que ça prenait de plus en plus de place et que ça provoquait des conditions de travail très compliquées, avec de moins en moins de soignants et de plus en plus de pénuries. Ne pas pouvoir faire correctement son métier quand on est soignant c’est la chose la plus terrible.
Pendant le confinement, je sais combien les applaudissements ont pu leur faire du bien. Mais cela ne dure qu’un temps. Après il faut que le relais soit pris par les politiques pour revaloriser les métiers. Les médecins qui font leur carrière à l’hôpital public sont extrêmement méritants et ils le font souvent dans des conditions de travail extrêmement difficiles. Il est grand temps de revaloriser leur métier.
Qu’avez-vous pensé de la multiplication des médecins sur les plateaux de télévision pendant la crise ?
Comme tout le monde, cela m’a plutôt agacé. De manière générale, je ne trouve jamais très bon que les médecins soient trop présents sur les plateaux de télévision. Cette crise a mis un coup de projecteur sur ceux qui avaient envie de prendre la parole et pas forcément sur ceux qui étaient sur le terrain. Ça m’a semblé parfois contre-productif. J’ai eu le sentiment que beaucoup d’entre eux instrumentalisaient cette crise.
Pourriez-vous être inspiré par cette pandémie pour un film ?
Je ne sais pas. Il faudrait plus de recul. Un personnage comme le Pr Didier Raoult ferait un très bon personnage de fiction, il est très romanesque. Il pose beaucoup de questions. Est-ce qu’il était de bonne foi ? Est-ce qu’il a toujours pensé sincèrement que la chloroquine était efficace ou voulait-il surtout prendre de la place médiatiquement ? Entre les coups de pression et les querelles de clochers entre les différents chercheurs, on est presque dans un thriller. Mais ce n’est pas du tout le genre de cinéma que je fais.
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