LE QUOTIDIEN : Quels commentaires vous inspire ce sondage ?
Pr SICARD : L’on accuse souvent les médecins d’être traditionalistes et de ne rien vouloir changer. Or ce sondage témoigne d’un jugement certes conservateur, mais ouvert au changement. Ce qui me réjouit !
Dans le détail, les médecins se montrent attachés aux grands principes de bioéthique, comme l'anonymat du don et la gratuité ; c'est une forme de conservatisme éclairé. Ils souhaitent que la recherche sur l'embryon n'échappe pas à la médecine, et leur réponse sur le don d'organes élargi au-delà du cercle des proches correspond à ce que le corps médical promeut toujours : améliorer la capacité d'aide à la vie.
Sur l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, les médecins sont plutôt réticents, mais l'on remarque une forte minorité de médecins qui y sont favorables : leur vision n'est pas trop capturée par la tradition. Le tiers de médecins ouverts à la GPA m'a étonné ; et le hiatus qui existe entre généralistes et spécialistes au sujet de sa rémunération est incompréhensible.
Sur la fin de vie, on observe une volonté de maintien de l'interdiction du suicide assisté et de l'euthanasie pour un tiers des médecins, et une opposition à 95 % contre le suicide assisté. Ce qui est surprenant, car à la différence de l'euthanasie, le médecin n'est pas impliqué dans le suicide assisté (qui est extrêmement marginal, il n'existe que dans un quart des cantons suisses et dans quelques États américains, comme l'Oregon !).
Quant aux réponses en faveur d'un changement de législation, elles me semblent ininterprétables. On comprend que les généralistes, régulièrement confrontés à des demandes d'euthanasie, sont plus compréhensifs que les spécialistes ; mais quand on pose la question de l'autorisation simultanée des deux options, les spécialistes deviennent les plus favorables. Les réponses s'annulent.
N'est-ce pas sur la fin de vie que le corps médical se distingue le plus du reste de la société, favorable à 90 % à une évolution de la législation selon le sondage de « La Croix » ?
Le sondage sur l'euthanasie, réitéré depuis 20 ans, donne toujours les mêmes réponses. Tout sondage a comme défaut de radicaliser des positions en fonction de la question et de réduire toute complexité.
L'intérêt des États généraux de la bioéthique est de montrer que la société française est partagée sur ce sujet, dès qu'elle prolonge le débat au-delà de l'affirmation : « Je ne veux pas souffrir et veux pouvoir choisir ma mort. »
Depuis les premières lois de bioéthique en 1994, avez-vous l'impression que le regard des médecins sur la bioéthique a évolué ?
Les médecins s'y intéressent de plus en plus. Lorsque je travaillais sur la fin de vie en 2012, j'étais frappé par le nombre de professionnels à Paris et en province qui disaient : « la fin de vie est un échec de la médecine ». Ils ne se sentaient pas légitimes pour poser un jugement. Aujourd'hui, on accepte la mort, et on accepte de ne plus en faire un enjeu seulement médical. Il y a une maturation constante des soignants à l'égard de ces questions ; l'éthique a fini par pénétrer le corps médical.
Les médecins sont comme les citoyens à l'égard des enjeux de bioéthique, avec les mêmes contradictions et différences. Cela confirme que les lois de bioéthique sont plus dissensuelles que consensuelles.
Cette révision de 2018, précédée des États généraux de la bioéthique, revêt-elle un caractère singulier par rapport aux précédentes ?
Je suis impressionné par le travail de fond qui a été fait afin que toute personne qui le veuille puisse s'exprimer. Ce fut très riche, et tranche avec le débat public habituel. Aucun pays au monde n'a fait un tel effort.
Mais les conclusions qui révéleront les clivages seront embarrassantes ; l'examen parlementaire pourrait signer le début des combats. Et il sera difficile pour le gouvernement de trouver de nouvelles lois.
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