En moins de 30 ans, le transhumanisme a pris une place considérable dans la pensée philosophique, dans les ambitions des chercheurs, et dans les espoirs et les attentes d’une société qui, sensibilisée par les médias, se résout de moins en moins à se soumettre « à la fatalité ». « L’intelligence artificielle » séduit le citoyen lambda qui est prêt à aliéner sa liberté pour en recueillir une part !
Le transhumanisme est « un mouvement culturel et intellectuel », « une idéologie », « qui promeut l’amélioration de la condition humaine à travers des procédés techniques d’amélioration de la vie… ». Pour d’autres, c’est « un mouvement populaire qui préconise l’utilisation volontaire de la technologie pour renforcer les capacités humaines ». Pour les tenants de cette définition, le transhumanisme apparaît comme « l’alternative la plus prometteuse au système éthique conservateur, qui considère la nature humaine comme quelque chose qui ne peut ou ne doit pas être changé. »
Le transhumanisme englobe deux finalités distinctes. D'une part, l’amélioration de la condition humaine grâce à l’usage des sciences et des techniques, ce que la médecine s’efforce de faire non sans résultat. D'autre part, l’augmentation des capacités physiques et mentales des êtres humains, le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort étant considérés comme indésirables.
« L’homme augmenté et son inquiétante étrangeté » traduit l’ambition de surmonter les limites du corps humain avec des moyens naturels ou artificiels. Pour les uns, « c’est l’idée la plus dangereuse du monde » (Fukuyama), pour les autres (Ronald Bailey), « c’est le mouvement qui incarne les aspirations les plus audacieuses, courageuses, imaginatives et idéalistes de l’humanité. » Ces appréciations contradictoires traduisent la faille profonde qui sépare le monde d’hier et le monde d’aujourd’hui.
Le terme de « bioéthique » est né dans les années 60 pour répondre aux interrogations que posait le développement de la biomédecine et des technosciences. Le questionnement éthique comporte trois approches. À commencer par une réflexion sur le sens et les valeurs : respect de la personne et contribution au bien commun. « Tout ce qui est possible est-il permis ? » Cela suppose un respect des principes éthiques universels : autonomie la personne (le consentement) ; bienfaisance et non malfaisance (bénéfice–risque) ; équité (accès à l’innovation). D'où l'importance d’une régulation et des comités d’éthique et lois de bioéthique.
La disparition de toute régulation interpelle
Le monde d’aujourd’hui développe une réflexion sur le sens : promouvoir l’amélioration de la condition humaine à travers des procédés techniques d’amélioration de la vie ayant pour but l’élimination du vieillissement et l’augmentation des capacités intellectuelles, physiques ou psychologiques. Mais en quoi « vaincre la mort » peut-il améliorer la condition humaine ? En écho, il y a ce questionnement. « Je défends une éthique de liberté, une bioéthique progressiste à la française (?) » : propos aberrants du rapporteur de la récente loi de bioéthique. Pour lui, « tout ce que la science rend possible doit être fait ».
Dans ce contexte, la disparition de toute régulation interpelle : la naissance, en Chine, en novembre 2018 de deux jumelles génétiquement modifiées, par modification transmissible de leur ADN, donne à réfléchir. À ce jour, on en est à une troisième grossesse. Elles sont survenues en dehors de tout débat scientifique. Malgré une réprobation universelle, le Pr Hé Jiankui de l’Université de Shenzhen, chercheur en biophysique, pouvait se croire à l’abri de toute sanction. De quel droit et sur quels griefs pouvait-il être jugé ? Or, contre toute attente, il a été condamné, le 30 décembre 2019, à trois ans de prison et à une lourde amende.
La Chine ambitionne de devenir leader mondial de la recherche génétique et du clonage. Les manipulations génétiques y sont « considérées comme interdites ». Les griefs de la justice à l'encontre du chercheur ont été les suivants : mise en place « de manière privée » d’une équipe de recherche, absence de qualité médicale ; recherche de gloire personnelle et de fortune ; sécurité et efficacité douteuses des technologies ; violation de la réglementation sur la recherche scientifique. Aucun grief ne condamne clairement l’objet de la recherche : une manipulation du génome humain sur des cellules germinales, qui en conséquence, se transmettront de génération en génération.
Tout donne à penser qu’on n’en restera pas là. L’édition génomique et la réparation de l’ADN, les hybrides humain animal et les chimères suscitent déjà des débats d’une autre ampleur où s’affronteront des considérations éthiques, des querelles de pouvoir et des enjeux économiques considérables et « planétaires », comme en suscite le transhumanisme et dans lesquels il est à craindre que l’éthique disparaisse.
L’homme augmenté : vers une éthique de l’intelligence artificielle ?
L’augmentation des capacités physiques et mentales des êtres humains inclut naturellement le développement de l’intelligence artificielle, « le grand mythe de notre temps » selon la CNIL, qui suscite actuellement de faux espoirs et de profondes inquiétudes. Le développement de l’intelligence artificielle est fondé sur l’analyse de milliards de données à caractère personnel accumulées sur Internet. : les Big data. Ces données appartiennent en propre à l’individu qui en est ainsi spolié. Leur traitement nécessite des moyens considérables à la portée des seuls « géants du Net » et permet d’extraire de l’information et/ou de produire du savoir.
Les GAFAM, Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, disposent de 80 % des données sensibles… Et de 3 000 milliards de dollars de capitalisation boursière ! La constitution « de monopoles non régulés » (tel est le cas des GAFAM) présente un danger majeur pour l’économie et la société (N Baverez – le Figaro - 10 juin 2019).
Début janvier 2017, sous l’égide du Futur of Life Institute, plus d’un millier de chercheurs en robotique et en intelligence artificielle et les GAFAM, se sont réunies à Asilomar pour débattre du thème « Pour une intelligence artificielle bienveillante ». Le Futur of Life Institute, créé en 2014 à Cambridge Massachusetts, cherche à diminuer les risques menaçant l’humanité, en particulier ceux provenant de l’intelligence artificielle. Ce serait à vérifier… Vingt-trois principes censés encadrer le développement de l’IA ont été adoptés. « Un guide éthique et pratique à portée universelle » a été publié. Une commission a pour objectif de « maîtriser les débats éthiques sur l’intelligence artificielle », tandis qu’un milliard de dollars est destiné à permettre la mise en œuvre d’une autorégulation éthique de ces techniques.
Ce dispositif cèle la disparition de la réflexion éthique de l’ancien monde, libre, pluraliste et pluridisciplinaire, fondée sur des valeurs ! Si on ajoute que Google a financé une trentaine d’ONG participant au débat public sur l’antitrust aux États-Unis, on est amené à douter de l’indépendance de cette organisation, à l’évidence financée par les GAFAM, dont la puissance ne fait que croître.
L’homme sera « le grand perdant du transhumanisme »
Ce qui guette le Nouveau Monde, c’est l’apparition d’un nouvel esclavage, l’Homme augmenté dominant l’Homme aliéné. Dépossédé des données qui lui appartenaient en propre, ayant perdu son autonomie, il a perdu « le pouvoir de dire non ».
L’exigence nécessaire au respect de la liberté et de l’égalité de chaque citoyen, fondement du Monde d’hier pour répondre aux défis éthiques de la science et la technologie s’est effritée. La résignation, la tentation de la rébellion ou du suicide qu’ont vécues les esclaves, seraient sans retour. Reste l’espoir d’un sursaut, s’exprimant par un appel à une prise de conscience universelle. La directrice générale de l’Unesco a évoqué l’organisation d’un colloque sur l’intelligence artificielle pour mobiliser et de responsabiliser les États et les institutions mondiales, et établir les fondements d’un Monde nouveau.
Il est déjà bien tard ! La protection des intérêts des générations futures n’est désormais plus assurée, le cauchemar d’un monde peuplé d’hommes augmentés, d’hybrides humains-animaux, de chimères et de robots pourraient devenir réalité !
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