Biothérapies, thérapies ciblées, immunothérapies… L’arrivée de vagues successives d’innovations bouleverse le pronostic vital et évolutif de nombreuses pathologies. Ces avancées thérapeutiques, qui constituent d’abord une excellente nouvelle pour les patients, interrogent la rationalité des prix et la soutenabilité budgétaire des systèmes d’assurance maladie.
Bien que légitimes, ces interrogations sont essentiellement portées dans le débat public sur le ton de la polémique, souvent excessive et avec son lot d’idées reçues.
A l’heure où tombe le couperet budgétaire du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 (920 millions de baisses de prix annoncés sur le médicament), quelques éléments d’explication rationnels et objectifs s’avèrent nécessaires pour recentrer le débat.
Première idée reçue : les prix des médicaments français sont parmi les plus élevés en Europe. Faux. Une étude du CEPS [1] montre que les prix français sont, pour 93 % des produits, inférieurs à la moyenne des cinq grands marchés européens (France, Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni). Et dans la moitié des cas parmi les plus bas prix européens. Entre 1990 et 2018, l’indice du coût de la vie en France a augmenté de 53 %, tandis que celui des prix publics des médicaments a diminué de 34,6 % sur la même période.
Deuxième idée reçue : la fixation des prix des médicaments est libre. Faux. Les prix des médicaments remboursables sont parmi les derniers prix industriels à être encore administrés par l’État en France. Les prix fabricants hors taxes (PFHT) sont fixés par convention entre l’entreprise du médicament et le Comité économique des produits de santé (CEPS), représentant l’État, et, à défaut, par arrêté ministériel.
On ne fixe pas le prix d’un médicament comme celui d'une baguette de pain
Troisième idée reçue : on peut établir le juste prix d’un médicament uniquement à partir des coûts de R&D. Faux.Il est impossible de fixer le prix de manière analytique comme celui d’une baguette de pain. On ne peut pas en effet additionner coûts de R&D, coûts de production et marge pour construire le prix du médicament. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas individualiser les coûts de recherche et de développement par médicament. L’entreprise du médicament n’investit non pas sur une seule molécule mais sur un pipeline de molécules dont une seule sera mise sur le marché. La recherche est également une discipline mouvante qui intègre les développements fructueux (traitements dans le cancer) mais également les échecs (Alzheimer). D’autre part, les coûts de R&D ne sont pas nationaux mais internationaux. Enfin, dans le prix du médicament négocié aujourd’hui, il y a surtout pour l’industriel la capacité à investir dans les innovations de demain, et c’est là tout l’enjeu du progrès.
Quatrième idée reçue : les prix des médicaments ne sont pas assez régulés. Faux. La France a même sur-régulé le prix des médicaments au regard des besoins de l’innovation thérapeutique. Le médicament, qui représentait 15 % des dépenses de santé en 2009, ne représente plus que 12 % en 2018, alors même que nous avons connu deux vagues d’innovations successives (arrivée des traitements de l’hépatite C, puis celle des premiers médicaments d’immunothérapie). Alors qu’il ne représente que 12 % des dépenses de l’Assurance maladie, le médicament supporte toujours près de 50 % de la contribution aux économies totales de santé.
Désormais, ce sont les patients qui pâtissent
D’où la cinquième idée reçue : l’industrie pharmaceutique est assez riche pour supporter les baisses de prix et contribuer aux économies de santé. Attention ! Ce n’est plus uniquement l’industrie pharmaceutique qui pâtit aujourd’hui du rationnement du budget médicament, c’est la compétitivité française (en matière industrielle et scientifique) et désormais les patients.
En effet, l’augmentation des difficultés d’approvisionnement en médicament, le recul de l’inclusion des patients français dans les essais cliniques, l’allongement des délais d’accès au marché qui place la France au 23e rang européen, l’indisponibilité de plus en plus fréquente en France des médicaments autorisés par l’Agence européenne (40 % des médicaments autorisés par l’EMA ces trois dernières années ne sont pas disponibles pour les patients français contre 14 % pour le marché allemand et 12 % pour le marché anglais) sont autant de marqueurs qui témoignent que nous arrivons au terme d’un système de régulation du médicament à bout de souffle.
L’ampleur de la révolution thérapeutique qui se dessine pose clairement l’enjeu des prochaines années : il sera celui de la programmation et de l’adaptation des modalités de financement. Il est plus que temps de nous doter d’une structure de veille prévisionnelle capable d’anticiper l’arrivée des technologies innovantes et de mettre en place un cadre de régulation économique pluriannuel qui permette de programmer en cohérence les besoins budgétaires et les réformes subséquentes de l’organisation des soins. Le défi qui nous attend est autant exigeant que passionnant : financer l’innovation et en permettre la diffusion la plus large possible pour les patients tout en préservant un système de santé solidaire.
[1] Rapport d’activité du CEPS 2014-2015
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