C'est la ville martyre de la pandémie en Italie. À Bergame, en Lombardie, le parquet a placé début mars, une vingtaine de personnalités politiques et scientifiques en examen, après avoir enquêté pendant trois ans sur les erreurs commises par le gouvernement et les autorités régionales lombardes, la province la plus touchée par l’épidémie.
Soupçonné d’avoir sous-estimé l’importance de la diffusion du coronavirus en février 2020 - et indirectement provoqué la mort d’au moins 4 000 patients contaminés dans cette région du nord de l'Italie - l’ex-Premier ministre italien Giuseppe Conte a été mis en examen, aux côtés de plusieurs membres de son gouvernement et des quatre derniers ministres de la Santé, soupçonnés d’avoir participé indirectement à la propagation du virus.
Parmi la liste des personnalités transalpines accusées de négligences, le gouverneur de la région lombarde mais aussi des médecins de haut rang à l'instar du Pr Franco Locatelli, président du Conseil supérieur de la santé ou du Pr Silvio Brusaferro, président de l’Institut supérieur de la santé (ISS). Enfin, accusés d'avoir mal conseillé le gouvernement italien aux prémices de la pandémie, le Dr Agostino Miozzo, coordinateur du premier comité scientifique et le Pr Giuseppe Ippolito, à l’époque directeur scientifique de l’hôpital Spallanzani spécialisé dans les maladies infectieuses, ont eux aussi été mis en examen.
Des choix politiques et économiques
La procédure judiciaire a démarré en avril 2020, dès la fin du premier confinement. À Bergame - où 16 368 personnes ont trouvé la mort -, des magistrats ont lancé une enquête après avoir relevé certaines anomalies dans la gestion des patients détectés positifs au coronavirus en février 2020.
Les juges se sont notamment interrogés sur le refus, au départ, du gouvernement et des autorités d'instaurer des zones rouges de confinement. Un choix dicté, selon les enquêteurs, par des raisons politiques et économiques compte tenu des pressions exercées par les industriels lombards, qui évoquaient alors un effondrement du tissu productif régional et des retombées désastreuses pour cette région particulièrement dynamique sur le plan économique.
Ainsi, les enquêtes ont mis en lumière des échanges accablants, par courriels et les textos. Dans un message expédié le 28 février 2020, alors que le nombre de cas augmentait de jour en jour et que les hôpitaux saturaient, Attilio Fontana gouverneur de la Lombardie demandait à Giuseppe Conte, de ne pas instaurer de zone rouge durant la première semaine de mars pour des motifs purement économiques.
Dans ces mêmes échanges saisis par la justice, le Conseil scientifique italien réclamait de ne pas communiquer à la presse les chiffres de diffusion du virus, mais aussi que les tests de dépistage soient effectués seulement sur les patients symptomatiques. Le 3 mars, ce même Conseil proposait finalement au gouvernement d’instaurer deux zones rouges dans les communes proches de Bergame. Une recommandation qui n'a pas été suivie. Dernière lacune relevée par les magistrats : le plan de gestion des crises sanitaires n’a jamais été mis à jour depuis 2006, malgré de multiples recommandations de l’OMS.
Un ensemble de choix politiques et scientifiques que les magistrats jugent dans leurs conclusions responsables de la diffusion de l’épidémie. Les juges estiment aussi que ces décisions ont empêché les médecins des établissements sanitaires de Bergame de sauver la vie d’au moins 4 000 patients.
Et maintenant ?
Désormais, pour des raisons de compétences territoriales, le parquet de Bergame a transmis ses conclusions au parquet de Rome. Les magistrats romains devront examiner le dossier et pourront éventuellement renvoyer les accusés devant les tribunaux. En parallèle, une autre enquête pour les mêmes motifs vient d’être ouverte par le parquet de Brescia en Lombardie. « Au final, toutes ces procédures vont prendre du temps, beaucoup de temps, et cette affaire risque de finir en eau de boudin pour des raisons politiques », anticipe maître Ivano Natoli, avocat pénaliste du barreau de Rome.
Pour les familles des victimes qui ont saisi les parquets de Bergame et Brescia, la mise en examen de 17 membres du gouvernement et des institutions de santé, est déjà une reconnaissance en soi.
Du côté de la communauté scientifique en revanche, le malaise est palpable. Tout en reconnaissant la responsabilité du gouvernement, les soignants estiment que certains éléments peuvent expliquer ces erreurs. Ils estiment notamment que le virus, et son origine, étaient jusqu'alors inconnus et que le pays n’était pas préparé à affronter un évènement d’une telle ampleur. Toutefois, Pour le Dr Filippo Anelli, président de la Fédération nationale des ordres des médecins italiens (FNMCEO), « les médecins hospitaliers ont dû multiplier les gardes pour gérer les patients tandis que les médecins généralistes ont été abandonnés par les institutions, sans protocole, sans dispositifs médicaux de protection individuelle et sans aucun support ». Tout est dit.
54 % des médecins femmes ont été victimes de violences sexistes et sexuelles, selon une enquête de l’Ordre
Installation : quand un cabinet éphémère séduit les jeunes praticiens
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols
Le texte sur la fin de vie examiné à l'Assemblée à partir de fin janvier