Lundi 30 mars, 19h30, place Saint-Marc, rive droite de Rouen. Une cinquantaine de personnes (plus que d’ordinaire, c’est la fin du mois) s’amasse devant la soupe populaire des Restos du coeur.
À 20 mètres de là, le camion MDM, macaron bleu sur fond blanc, stationne. À travers la lucarne, des ombres flottent dans la lumière. Le Dr Jacqueline Madeline, gynécologue obstétricienne retraitée depuis 5 ans après une vie professionnelle ponctuée par les missions humanitaires à l’étranger, est en consultation.
À l’extérieur, le chauffeur et co-responsable de la mission, Yvon Benoist, commence à écouter les doléances, sert les mains de quelques habitués, fait patienter ceux qui veulent « voir le médecin » et distribue, parcimonieusement, des produits d’hygiène, tandis qu’Hélène Dubuc, infirmière au CHU, réalise les premiers entretiens.
Céphalées, problèmes dermatologiques et dentaires
Tous les lundis, parfois les jeudis, et ce depuis 3 ans, la maraude MDM sillonne les rues de Rouen, de la place Saint-Marc à la gare, en passant par la rue Saint-Sever et la place des emmurés, faisant parfois un crochet pour voir un sans-domicile-fixe qu’elle sait mal en point, ou répondant à un appel d’autres associations ou du 115.
Ce soir, les bénévoles reçoivent une quinzaine de personnes, sdf, Roumains, mineurs isolés, précaires français ou étrangers. Les pathologies récurrentes sont des céphalées, les problèmes dermatologiques et dentaires, les douleurs musculaires.
Une jeune femme a une angine. Le Dr Madeline lui donne des antibiotiques, du strepsil et du paracétamol. Elle examine la gorge de Jacques, un Espagnol d’une trentaine d’années, qui repart avec des pastilles, de la crème hydratante, un bain de bouche, et des préservatifs.
Un homme de 54 ans décrit une « flèche dans la fesse ». Probablement une arthrose cervicale. « On m’a dit que ma colonne avait 10 ans de plus que moi. J’ai mal quand je suis assis. C’est parce que je porte des meubles », explique l’homme. Il a rendez-vous « la semaine prochaine » à l’hôpital. La médecin lui donne ce qu’il faut d’antalgique pour patienter.
PASS ou CASO pour les cas graves
Lorsque les cas sont plus lourds (ce soir-là, un homme atteint d’infection urinaire, une femme, de problèmes gynécologiques), la médecin donne rendez-vous dès le lendemain au CASO (centre d’accueil, de soins et d’orientation) de MDM, ouvert le mardi, mercredi et vendredi, « de façon à assurer avec la maraude une forme de continuité », explique le Dr Madeline. « Si on dit la semaine suivante, on ne revoit plus les gens. Le lendemain, on peut prendre plus de temps avec eux, ils peuvent voir un employé de la sécurité sociale ou un psychologue, le planning familial est à côté ».
C’est aussi au CASO que se font les actions de prévention contre les maladies sexuellement transmissibles, le VIH et les hépatites. Si le camion MDM possède des kits de seringues propres, il n’a pas de test rapide d’orientation diagnostique (TROD). « Nous ne sommes pas formés à cela, et nous n’aurions pas le temps. Au CASO en revanche, l’équipe dédiée peut faire de la prévention », explique Hélène Dubuc.
Pour les problèmes dentaires, ou les examens complémentaires, les bénévoles de MDM réorientent vers la permanence d’accès aux soins (PASS) de l’hôpital.
Des papiers souvent, mais pas le mode d’emploi
Sur les 7 premières personnes reçues en consultation dans le camion de la maraude, 3 avaient une couverture sociale. « J’ai le papier de la CMU, mais je n’ai plus la carte. Je n’ai plus de médecin : ça fait trop longtemps que je suis dehors », explique l’homme souffrant d’arthrose cervicale.
« Beaucoup de personnes ont la CMU mais sans mutuelle. Parfois, ils ont une petite retraite, ou travaillent mais dorment dans leur voiture. On voit de plus en plus de personne "à la limite " », observe Hélène, après 6 ans de maraude.
« Ils ont peur de l’hôpital, qui n’est pas forcément adapté. Ils disent qu’ils n’ont pas le temps, aussi paradoxal que cela puisse paraître », poursuit-elle. « Ils peuvent avoir des problèmes psy et n’y arrivent pas », complète Yvon.
Les mineurs migrants isolés forment une nouvelle population, à laquelle Jacqueline Madeline est très sensible. « Ils s’en fichent de ce qu’ils mangent. Ils veulent surtout être scolarisés pour avoir le soutien de l’Aide sociale à l’enfance, ou trouver un travail, pour avoir à leur majorité une carte de séjour », explique-t-elle. Mais la route est longue et le temps joue contre eux. Un jeune Malien au regard lointain est arrivé à Rouen le 5 janvier. Il n’a été hébergé dans un hôtel que le 18 mars. « Il aurait encore pu être scolarisé en janvier. Maintenant il va devoir attendre septembre... s’il n’atteint pas la majorité entre-temps », déplore Jacqueline.
Le Dr Madeline, pourtant confrontée à la misère humanitaire à l’étranger, ne cache pas son angoisse pour l’avenir, que les mesures étatiques (plan pauvreté, grand froid, trève hivernale) sont loin d’apaiser. « La situation s’aggrave. On ouvre des hébergements d’urgence l’hiver, mais on les clôt du jour au lendemain !». « Les douches publiques vont bientôt fermer à Rouen », s’inquiète Hélène Dubuc.
Ces professionnelles savent aussi qu’elles ne touchent qu’une infime partie de la précarité. « Les migrants sans papiers ou les sdf, on ne les voit pas. Ils ont peur », dit le Dr Madeline.
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