En matière de fraude sociale, les rapports se suivent et… se ressemblent. Un nouvel opus est publié ce mardi par les députés de la commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, complété d'un rapport de la Cour des comptes. Tous deux jugent que le sujet de la fraude n'est pas assez pris au sérieux, en particulier au sein de la branche maladie (CNAM).
En 2019, les préjudices subis et évités par l'assurance-maladie ont atteint 287 millions d'euros, pour 212 milliards d'euros de prestations versées. 78 % du montant de cette fraude est le fait des professionnels de santé libéraux (non-respect des nomenclatures et surfacturation), des établissements sanitaires publics, privés ou médico-sociaux (fraude à la tarification à l'activité), ou encore des transporteurs sanitaires, soulignent les rapports. Les offreurs de soins (professionnels et transporteurs) ne représentent que 20 % du nombre de fraudes détectées (tandis qu'une sur deux est le fait d'un assuré), mais sont à l’origine de près de la moitié des montants fraudés (47,5 %).
« Il y a un déni complet de l'administration. Nous n'avons pas pu établir le montant exact de l'ensemble de la fraude à l'assurance-maladie mais elle pèse lourd, a encore pointé ce mardi le rapporteur Pascal Brindeau (UDI, Loir-et-Cher), lors de la présentation du texte. C'est un sujet sur lequel les professionnels de santé ne sont pas à l'aise non plus. Ils ont souvent une déontologie stricte, notamment pour les médecins, et n'aiment pas à penser qu'un de leur confrère ait pu "déconner". »
La fraude des assurés, plus faible, concerne les prestations en nature, dont la protection maladie universelle (PuMA), l'aide médicale d'État (AME) ou la CMU-C et les prestations en espèce, comme les indemnités journalières (IJ), ou pensions d'invalidité.
Mais ces fraudes repérées ne sont qu'une partie de l'iceberg et sont « en hausse constante » depuis plusieurs années. Leurs montants sont supérieurs aux objectifs fixés à l'assurance-maladie (255 millions d'euros en 2019), preuve que ces derniers sont « peu ambitieux », estime les députés. À cela s'ajoute un taux de récupération des indus frauduleux de 59,8 % en 2018, alors que ces derniers atteignent « plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de milliers d’euros ».
Moyens humains insuffisants
Les causes de ces mauvaises performances sont multiples, selon les députés. Aucune évaluation périodique de la fraude à l'assurance-maladie n'est faite, et ce malgré « des enjeux financiers considérables ». En plus de ce « refus persistant » d'évaluer, le nombre de contrôles tant sur les assurés que les offreurs de soins est trop réduit et peu de sanctions sont prononcées, pointe de son côté la Cour des comptes. Par exemple, aucun blocage de la prise en charge n'est décidé pour des factures irrégulières, « sauf exception ».
De plus, les moyens attribués à la lutte contre la fraude sont encore « insuffisants » à la CNAM, estiment les parlementaires, bien que de nouvelles techniques comme le datamining aient été mises en place. Les moyens humains ont, eux, augmenté de 11 % en cinq ans, mais une vingtaine de caisses primaires consacrent moins de cinq agents à ce dossier. Le nombre de médecins-conseils est, lui, en baisse de 22 % sur dix ans, alors que « leur expertise est essentielle afin de détecter les cas de fraudes ».
Accélérer la e-prescription
Les deux rapports émettent une série de recommandations pour mieux lutter contre les phénomènes frauduleux, qui se rejoignent pour la plupart. Les députés préconisent de revaloriser « sensiblement » les objectifs fixés aux caisses de Sécurité sociale et de stabiliser les effectifs des praticiens conseils de l'assurance-maladie. Concernant les professionnels de santé, la commission d'enquête appelle à élargir les contrôles d’activité atypique, et surtout à finaliser la dématérialisation des feuilles de soins, prescriptions de médicaments, de transports sanitaires et d'avis d’arrêt de travail.
La Cour des comptes, en complément, recommande « d'individualiser chaque acte et prestation » dans les nomenclatures et de mettre en place des contrôles automatisés pour le cumul d'actes et prestations via les logiciels de facturation, ou encore de maintenir une facturation individualisée par professionnel de ville. En cas de fraudes, elle appelle les caisses d’assurance-maladie à déroger à la garantie de paiement sous sept jours et à déconventionner d'office les libéraux sanctionnés plus de deux fois.
À la suite du rapport de la Cour, le gouvernement a rappelé la création (en juillet dernier) d'une mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) « afin de donner une impulsion plus opérationnelle à la lutte contre la fraude et de mieux coordonner les services concernés » et d'approfondir l’estimation des montants potentiels de la fraude aux prestations sociales.
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