La réforme est l'aboutissement de plusieurs rapports, de longs mois de négociations et d'un accord national interprofessionnel (ANI) conclu en décembre 2020 par les partenaires sociaux. Transposant juridiquement ce compromis, tout en le complétant, une proposition de loi a été adoptée dans l'hémicycle à la mi-février en première lecture.
Portée par deux députées de la majorité, Carole Grandjean (Meurthe-et-Moselle) et Charlotte Parmentier-Lecocq (Nord), elle met le cap sur la prévention et vient en partie renouveler les missions et l'organisation de la médecine du travail, cinq ans après la dernière réforme du genre.
Des généralistes volontaires en renfort
L'un des articles les plus discutés concerne la délégation – en lien avec le service de santé au travail – du suivi simple des salariés à des « médecins praticiens correspondants » (MPC), médecins de ville volontaires formés à la médecine du travail. Cette formation ad hoc sera précisée par décret. L'objectif est clairement de pallier la démographie médicale déclinante des médecins du travail.
Mais de nombreux députés ont estimé que cette solution n'était pas adaptée, dans un contexte où les généralistes sont déjà eux-mêmes très sollicités. « La carte des déserts médicaux des médecins du travail va recouper celle des médecins généralistes », a protesté le député Pierre Dharréville (Bouches-du-Rhône, PC). « La proposition de loi ne précise pas les modalités de la formation en médecine du travail dont pourraient bénéficier ces médecins correspondants », a argué Jeanine Dubié (Hautes-Pyrénées, Libertés et territoires), préférant la délégation de tâches aux infirmiers en santé au travail. D'autres députés ont mis en avant un « risque de dégradation » de la spécialité de médecine du travail. Pour le secrétaire d'État chargé de la santé au travail, Laurent Pietraszewski, c'est « exactement l’inverse », « ce qui est proposé n’est rien d’autre qu’un appui, dans des conditions très claires ».
Le DMP désormais partagé
La mesure prévoyant l'accès des médecins et infirmiers du service de santé au travail au dossier médical partagé du salarié (avec consentement exprès du patient) a été âprement débattue par les députés. Cette évolution doit permettre de mieux connaître « l’état de santé de la personne ». À ce jour, le médecin du travail peut déposer des éléments dans le DMP, mais pas y accéder.
Si certains élus ont appelé de leurs vœux cet élargissement de l'accès au DMP, d'autres ont pointé le risque de confusion entre santé au travail et médecine de ville, et de potentiel accès à des données privées « sensibles ». Selon la députée Caroline Fiat, plusieurs centaines de médecins de ville auraient alerté les parlementaires « sur les dangers d'une telle mesure ». L'Union nationale des professionnels de santé (UNPS, libéraux) a communiqué sur le « risque de suspicion » chez le patient, qui pourrait faire perdre « toute confiance dans le DMP, restreindre, de facto, son utilisation et affecter la relation entre le patient et son médecin traitant ». Mais pour la majorité, une telle mesure n'est pas problématique dans la mesure où « le médecin du travail est avant tout un médecin, il est donc soumis au secret médical ». Le salarié ne pourrait pas être sanctionné en cas de refus, et son employeur ne saurait pas s'il a accepté ou non.
Réciproquement, l'accès au dossier médical en santé au travail (DMST, alimenté par les médecins du travail) sera possible pour les médecins de ville.
Cap sur la prévention et visite de mi-carrière
Le texte opère un recentrage assumé sur la prévention. Les services de santé au travail deviennent des « services de prévention et de santé au travail » (SPST), qui pourront faire la promotion de la santé via des campagnes de vaccination, de dépistage, de sensibilisation aux situations de handicap ou de la pratique sportive. Des amendements avaient été déposés pour introduire des actions de sensibilisation à la nutrition, aux violences conjugales et sexuelles ou de la prévention aux risques psychosociaux, rejetés par la majorité et le gouvernement. Au sein des services de prévention et de santé au travail, des cellules devront être dédiées à la prévention de la désinsertion professionnelle pour accompagner les actifs en situation de fragilité.
Les députés ont également validé la tenue d'une visite médicale de mi-carrière professionnelle, à 45 ans, pour sensibiliser précisément aux enjeux du vieillissement au travail et évaluer les risques de désinsertion professionnelle. Est créé aussi un « rendez-vous de liaison » pour préparer le retour du salarié après un long congé maladie. Une disposition permet au médecin du travail de passer « un tiers de son temps en milieu de travail ».
Délégations de tâches encouragées
Deux articles traitent de l'équipe pluridisciplinaire en santé au travail. L'un permet à l'infirmier de santé au travail d'assurer des missions déléguées par le médecin du travail. Le texte propose à leur égard « une formation spécifique en santé au travail » définie par décret qu'ils devront suivre, ou à défaut y être inscrit par leur employeur l'année suivant leur recrutement. L'infirmier disposant de la qualification nécessaire pourra également exercer en pratique avancée au sein du service « en assistance d’un médecin du travail », par exemple pour assurer certaines visites périodiques. Une disposition qualifiée de « bouffée d’oxygène » pour la santé au travail par la députée Annie Chapelier (Gard, Agir), tandis que d'autres ont pointé une pénurie d'infirmiers.
L'autre disposition instaure et favorise la délégation de tâches, sous la responsabilité du médecin, au sein de l’équipe pluridisciplinaire. Des kinés libéraux et des ergothérapeutes pourront intervenir afin de sensibiliser les salariés aux troubles musculo-squelettiques ou aux risques de la sédentarité et les prendre en charge.
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes