À cinq semaines du premier tour de la présidentielle, l'hôpital public vit de l'intérieur l'irrépressible ascension du Front national.
Deux enquêtes viennent de confirmer la popularité du parti de Marine le Pen auprès des quelque 1,2 million de salariés de la fonction publique hospitalière. Selon le Cevipof*, 34,4 % des aides-soignants, agents des services hospitaliers ou des ambulanciers (catégorie C) voteraient FN au premier tour du scrutin, le 23 avril. Plus largement, près d'un personnel sur quatre à l'hôpital (23,8 %) serait tenté (hors médecins), chiffre qui a quasiment doublé en cinq ans. Un sondage IFOP** pour « Acteurs publics » estime même qu'un hospitalier sur trois (29 %, toutes catégories confondues) pourrait porter le FN au pouvoir.
Voter contre
Le vote frontiste à l'hôpital s'inscrit dans un double mouvement de dénonciation des conditions de travail qui se dégradent (lire aussi ci-dessous) et de rejet de l'offre politique existante. « Le travail à la chaîne, le manque de moyens humains à l'hôpital poussent les aides-soignantes à se tourner vers le FN, vote qui n'est pour moi pas incompatible avec le service public hospitalier », analyse Arlette Schuhler, présidente de la Fédération nationale des associations d'aides-soignants.
Le mythe du fonctionnaire protégé par son statut et toujours épanoui se heurte aux réformes subies et aux plans d'économies que les personnels vivent mal au quotidien. « De l'ASH au directeur, on constate une perte de sens sur les missions de l'hôpital, on peut trouver là le terreau du FN », pointe un manageur hospitalier.
Le climat d'insécurité à l'hôpital contribue à la crainte de l'autre qui nourrit le vote populiste. Dans son dernier rapport sur la violence en établissement, l'ONVS (ministère) déplorait une victime « toutes les 30 minutes » et 50 tous les jours. Parmi elles, 1 075 médecins et 5 703 infirmiers ont été violentés en 2014. Une aide-soignante qui choisira « probablement » Marine Le Pen confirme « voter contre et non pour ». « On est attendu sur les parkings par les "toxicos", aux urgences les gens n'ont plus de patience, et nous, on fait des "hospi" qui ne ressemblent à rien. On n'est jamais entendu, peut-être que Le Pen nous écoutera mieux. »
Le Dr Joëlle Mélin, députée européenne et conseillère santé de Marine Le Pen, explique la tentation de l'hôpital pour le FN par la volonté des personnels de « s'exonérer d'un vote captif » au bénéfice de la candidate « des petits salaires et des classes moyennes en difficulté. » Aux difficultés rencontrées dans leur travail quotidien, la présidente du FN oppose un programme positif : augmentation du point d’indice et des effectifs, maintien « au maximum » des hôpitaux de proximité.
Non-sens
Si le vote des fonctionnaires est un enjeu électoral majeur pour le FN, le monde hospitalier, hier traditionnellement à gauche, ne semble pas forcément prêt à assumer les conséquences d'un tel choix politique.
Contactés par le « Quotidien », les hôpitaux de Béziers (Hérault), Beaucaire (Gard) et Fréjus (Var), villes administrées par le Front national depuis 2014, se refusent à tout commentaire, précisant par contre – spontanément ou non – que les maires frontistes ne sont pas président de leurs conseils de surveillance. Se réfugiant derrière leur droit de réserve, plusieurs directeurs et praticiens hospitaliers minimisent la portée du vote FN à l'hôpital, qu'ils cantonnent aux personnels les plus précaires.
Côté programme, la suppression de l'aide médicale d'État pour les étrangers en situation irrégulière ne passe pas. Au nom du FN, le Dr Mélin a beau assurer que les « vraies urgences » resteront prises en charge, l'abrogation de l'AME défie le serment d'Hippocrate et l'accès aux soins pour tous. « Exclure des soins une partie de la population est un non-sens et pour les services d'urgences, ce serait la catastrophe », résume le Dr Christophe Prudhomme (CGT-AMUF), qui voit derrière cette mesure une vision « clientéliste » de l'hôpital.
*Centre de recherches politiques de Sciences Po, enquête électorale, panel de 18 013 et 15 874 Français interrogés en décembre 2016 et février 2017 selon la méthode des quotas.
**538 personnes interrogées en ligne du 27 février au 9 mars selon la méthode des quotas.
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