LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Dans quel état d’esprit abordez-vous la seconde lecture à l’Assemblée nationale du projet de loi bioéthique ?
PR JEAN-LOUIS TOURAINE : Je suis serein, mais aussi confiant sur le fait que cette loi va permettre des avancées significatives. Les évolutions proposées ne sont pas révolutionnaires, mais attendues et appréciables : elles permettront à toutes les femmes de bénéficier de l’assistance médicale à la procréation (AMP), aux enfants nés d’un don de gamètes d’accéder à leurs origines, aux femmes d’autoconserver leurs ovocytes quand elles ne sont pas prêtes, pour différentes raisons, à avoir un enfant dans l'immédiat.
Nous ne savons bien sûr pas encore ce qui sera finalement voté, mais les avancées concernent également les transplantations d’organes, la génétique, le dépistage néonatal, les questions de filiation pour les enfants nés dans les différents types de familles ou encore le diagnostic préimplantatoire avec recherche d’aneuploïdie qui a été ajouté en commission mais que certains voudraient annuler.
Que révèlent, selon vous, les oppositions qui se font jour sur ce projet de loi ?
Je respecte les points de vue différents. Il est même souhaitable que soient exposés ces points de vue qui ne sont d’ailleurs pas corrélés à des partis politiques. Chaque parti laisse une liberté de vote sur ce texte, car ces questions touchent à la conscience individuelle. Il ne serait pas sain qu’il y ait des ordres, des directives venant d’en haut.
Je ne prétends pas que quiconque d’entre nous ait la vérité sur ces sujets. Par contre, il faut être en phase avec la société française et nos valeurs fondamentales. Nos valeurs, et c’est aussi le rôle d’un député, sont d’abord de protéger les plus vulnérables qui, dans nos sociétés, sont notamment les nouveau-nés.
Il nous faut en effet protéger l’intérêt et les droits de l’enfant, ce qui n’est pas encore le cas. Quand des parents reviennent de l’étranger avec un enfant, la transcription de la parentalité n’est pas simple. Si la mère qui élève l’enfant n’est pas celle qui a accouché, cela pose des difficultés. Dans ces cas, les droits de l’enfant sont entravés, car un enfant qui n’a pas de parents a des droits réduits.
Le même enjeu se pose pour les droits des femmes. Je pense que le droit des femmes à pouvoir procréer si elles le souhaitent est fondamental. Une femme qui a entamé un projet parental avec son conjoint doit pouvoir poursuivre ce projet si le conjoint décède. Pourquoi ne pas lui laisser cette possibilité si elle le souhaite ?
Nous restons en France dans une attitude héritée du XXe siècle, dans une forme de paternalisme où des sachants doivent décider pour le reste de la population. Les plus fragiles sont soumis. Je pense que les femmes en particulier doivent être davantage libres de leurs décisions.
Il y a des réticences et je respecte ceux qui ont de la peine à être en phase avec cette évolution sociétale. Ils ont le schéma de la famille d’antan, unique et univoque. Aujourd’hui, plus de la moitié des enfants en France naissent hors mariage.
Cela ne correspond plus tout à fait à la diversité des familles que l’on connaît aujourd’hui où les parents ne sont pas toujours mariés, où les couples peuvent être hétéros ou homosexuels, où les femmes seules peuvent avoir un enfant, etc. Nous devons nous adapter.
Que répondez-vous aux accusations d’eugénisme ?
Le mot est utilisé complètement à contresens. Le diagnostic préimplantatoire n’est sûrement pas de l’eugénisme. Dans les conditions que nous proposons, il s’agit de regarder si le nombre de chromosomes est anormal. Ce n’est pas la peine d’implanter des embryons qui vont aboutir dans une très grande proportion de cas à une fausse couche. C’est simplement du bon sens.
À ceux qui craignent un tri d’embryons, je réponds que ce n’est pas le cas : on ne cherche pas à sélectionner des enfants avec des caractéristiques spécifiques. Avant une FIV, il y a un examen morphologique avec un tri des embryons anormaux à l’œil, un retrait de ceux porteurs d’une maladie génétique connue dans la famille : on s’assure que les embryons qui ne pourront pas naître ne seront pas implantés. C’est tout sauf de l’eugénisme, c’est une amélioration de la fécondité.
La loi va-t-elle avoir un impact sur les pratiques des médecins ?
Nous ne savons pas encore ce qui sera finalement retenu dans la loi. Ce que je sais, c’est que, sur le diagnostic préimplantatoire, tous les professionnels de la procréation y sont évidemment favorables.
Ce n’est pas un texte qui bouleverse, c’est un texte prudent. Les pratiques ne s’en trouveront pas profondément modifiées. C’est plutôt la confirmation d’une évolution. Les femmes, par exemple, trouvent actuellement le moyen de procréer, soit en allant à l’étranger, soit en recourant à des techniques artisanales. C’est déjà inscrit dans les mœurs. Les pédiatres voient déjà des enfants issus de ces familles.
L’intérêt de l’inscrire dans la loi est d’apporter un cadre, de limiter les risques médicaux, mais aussi juridiques. Il n’existe pas vraiment de crainte à avoir dans ces évolutions.
Certains peuvent regretter que le texte n’aille pas assez loin. Je leur rappellerai que le processus législatif se fait pas à pas et qu’il y aura des révisions ultérieures. Nous avons introduit une disposition pour que les révisions des règles de bioéthique interviennent tous les 5 ans, et non plus tous les 7 ans comme actuellement. Si les médecins estiment que des modifications sont encore nécessaires, ils pourront le faire prévaloir dans le cadre de la prochaine révision.
Tout cela doit se faire dans la concertation. D’autant que la crise sanitaire nous a montré que ceux qui sauvent la situation, ce sont les acteurs de terrain. De la même manière, la bioéthique doit être fondée, élaborée, réfléchie, pas seulement par les parlementaires, mais conjointement avec les professionnels et les patients concernés. Ce dialogue très fécond pourra se nourrir de manière constante puisque les révisions seront plus fréquentes.
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