La santé dans tous ses états

Mabs, la nouvelle irrationalité médiatique

Publié le 05/03/2021
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Que faut-il espérer des anticorps monoclonaux dont on parle tant dans la gestion de la crise actuelle ? Alors que la pandémie est loin d'être jugulée, l'élargissement des options thérapeutiques est une bonne nouvelle. Mais il faut laisser à ces traitements innovants le temps de faire la preuve de leur efficacité.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Depuis une semaine, les médias et les couloirs des administrations de santé bruissent des polémiques nées autour de l’arrivée tonitruante des anticorps monoclonaux (Mabs) dirigés contre le SARS-CoV-2. Le 12 février dernier, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament a octroyé une Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU) de cohorte au tout premier d’entre eux, le bamlavinumab, développé par les laboratoires AbCellera et Eli Lilly, qui a déjà été approuvé dans le cadre d’une procédure d’urgence aux États Unis depuis novembre 2020, au Royaume-Uni et en Allemagne depuis janvier 2021, au même titre que le cocktail d’anticorps monoclonaux REGN-CoV-2 (casirivimab and imdevimab) de la société Regeneron. Dans la foulée, devrait également arriver le 2e Mabs de Eli Lilly, l’etezevimab, qui sera combiné au bamlanivimab à terme.

Ces anticorps monoclonaux, dont le design industriel a débuté dès l’identification de l’agent infectieux responsable de la Covid-19 en janvier 2020 à partir du sérum de patients guéris, fonctionnent en se combinant à la protéine Spike du SARS-CoV et en prévenant sa fixation sur le récepteur ACE2 présent à la surface des cellules hôtes du virus. De ce mode de fonctionnement découle ce qui est principalement reproché à cette thérapeutique : le risque de conduire à l’échec thérapeutique si le gène de protéine Spike présente plusieurs mutations (comme on le voit avec les variants dits « Sud-Africain » ou « Brésilien ») ou encore si la charge virale est tellement importante (comme souvent chez les patients sévèrement immunodéprimés) avec une possible hétérogénéité des souches virales qu’il y a un risque de sélection et donc d’émergence de souches mutantes.

Même si le mode d’action de cette nouvelle thérapeutique est intellectuellement séduisant, il existe à ce jour peu de données issues d’essais cliniques qui conforteraient leur efficacité chez les patients infectés par le SARS-CoV-2. En ce qui concerne spécifiquement le bamlavinumab, son utilisation a été associée à une diminution significative de la charge virale chez des primates non humains et dans un essai en traitement ambulatoire chez l’homme (Blaze-1), à une diminution peu significative de la charge virale après 11 jours d’infection, mais en réduisant toutefois significativement le risque d’hospitalisation à 1 mois (4,2 % versus 14,6 % dans le bras placebo). Combiné au remdesivir, il n’a pas montré d’efficacité chez les patients hospitalisés (essai ACTIV-3). En revanche, combiné à l’etezevimab, il a permis dans l’essai Blaze-1, donc chez des patients non hospitalisés, d’obtenir au 11e jour de traitement une réduction significative de la charge virale comparée au placebo. Enfin, dans une analyse post-hoc du même essai, chez les patients âgés de plus de 65 ans ou avec un indice de masse corporelle supérieur à 35, être traité par une monothérapie de bamlavinumab ou une bithérapie avec l’etesevimab, a permis de diminuer de 10 % le risque d’être hospitalisé, là aussi comparé au placebo.

Par ailleurs, ces Mabs sont également en cours d’évaluation en prophylaxie mais aucune donnée sur leur efficacité dans ce contexte de prévention de l’infection n’a encore été partagée.

Pourquoi tant de passions ?

Ces résultats, que l’on pourrait considérer comme peu probants, sont à interpréter d’un œil dépassionné dans le contexte d’une crise sanitaire majeure dont on ne voit toujours pas la fin : la couverture vaccinale reste bien faible même si elle s’améliore de semaine en semaine, l’épidémie est loin d’être jugulée malgré des mesures de restrictions de plus en plus étendues, les hôpitaux restent en grande tension et les évacuations sanitaires entre régions prennent de l’ampleur. C’est dans ce contexte d’urgence sanitaire persistante que l’élargissement des options thérapeutiques incluant des médicaments qui visent à prévenir les hospitalisations et les évolutions vers des formes graves de Covid conduisant à la saturation des réanimations est le bienvenu.

Alors pourquoi est-ce que l’annonce de l’ATU de cohorte du bamlivinumab a autant déchaîné les passions depuis ces derniers jours ? Certainement parce que nous sommes retombés dans des travers bien français avec des responsabilités partagées entre ceux qui nous gouvernent et les citoyens critiques de leurs actions. D’un côté, la nécessité d’aller (très) vite a certainement occulté le besoin de pédagogie des citoyens très informés depuis un an des enjeux de santé autour de la Covid-19, très en demande de compréhension des décisions qui sous-tendent l’action publique (en particulier quand des sommes d’argent importantes sont en jeu, puisqu’on évalue à 2000€ l’injection de Mabs). Et de l’autre côté, ces mêmes citoyens sont devenus méfiants des innovations thérapeutiques apportées par de gros laboratoires pharmaceutiques mais qui n’ont pas encore montré de vrai impact sur la transmission du virus ou sur l’évolution clinique de la Covid-19.

On ne peut que les féliciter de jouer ce rôle de vigie dans le contexte complexe de la crise de confiance engendrée par les polémiques autour du remdesivir et plus particulièrement de l’hydroxychloroquine. Seul un débat dépassionné autour des Mabs dont les sociétés savantes médicales pourraient être les arbitres permettra de trouver un équilibre entre besoin en santé publique et nécessité de transparence politique. Il faut donner à ces traitements innovants le temps de faire la preuve de leur efficacité (ou pas) et le cadre très réglementé de l’ATU de cohorte est parfaitement adapté à cette fonction : arrêtons donc d’alimenter l’irrationalité médiatique et laissons le temps aux médecins et aux chercheurs de travailler pour le bien commun.

Pr Karine Lacombe

Source : Le Quotidien du médecin