LE QUOTIDIEN : L’extension de l’obligation vaccinale est entrée en vigueur le 1er janvier 2018. Il s’agit d’un acte d’autorité sans précédent de la part d’une ministre de la santé. Comment pensez-vous qu’il sera perçu ?
Pr AGNÈS BUZYN : Il ne s’agit pas d’un acte d’autorité mais de raison. Les politiques de santé publique avaient lâché prise sur ce sujet et il y avait urgence à agir : il m’est insupportable que des enfants meurent chaque année en France du fait de négligences collectives. Je ne l’ai pas voulu comme un acte d’autorité, c’est pourquoi j’ai supprimé les sanctions pénales et financières. Il s’agissait de dire aux parents : « vous ne savez pas quelle décision prendre, vous entendez tout et n’importe quoi, je prends la décision à votre place, je vous soulage et comme ça, des enfants ne mourront pas ».
S’agit-il d’une décision temporaire ?
La concertation citoyenne proposait qu’elle soit temporaire. Dans les pays où la confiance dans les vaccins est complète, la couverture vaccinale est de 95 %, sans obligation. Si la confiance revient en France, pourquoi ne pas revenir sur l’obligation ? De même si la rougeole disparaît. C’est pourquoi nous ferons un point annuel sur la couverture vaccinale, sur le nombre d’infections recensées et sur la pharmacovigilance.
[[asset:image:7363 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["Agn\u00e8s Buzyn (Cr\u00e9dit : S. Toubon)"]}]]Quelle est votre réaction face aux médecins hésitants ; et sur le cas particulier des faux certificats de vaccination ?
Je conçois difficilement que les médecins soient hésitants et je ne comprends pas qu’ils ne soient pas investis des grandes questions de santé publique et de prévention. Un médecin bien formé connaît l’intérêt et le fonctionnement de la vaccination, peut rassurer les parents, et sait qu’il vaut mieux agir en préventif qu’en curatif.
Quant aux faux certificats, c’est la ligne rouge de la déontologie médicale : cela expose l’enfant concerné, sa famille, son voisinage, c’est très grave.
Ceux qui sont contre l’extension de l’obligation ne sont pas contre la vaccination, mais estiment qu’il vaut mieux convaincre que d’être coercitifs. Mais cela fait 20 ans que les choses ne bougent pas et que la confiance se délite. Il est trop tard pour parler de convaincre.
Vous aviez parlé devant l’Assemblée nationale d’outils à fournir aux médecins pour les aider dans leur colloque singulier avec le patient : de quoi s’agit-il ?
Des outils seront fournis aux médecins et à l’ensemble des professionnels de santé concernés (pharmaciens, sages-femmes, infirmières, puéricultrices…). Cela leur permettra de s’armer, scientifiquement, pour faire face aux patients. Le site http://vaccination-info-service.fr/ verra sa version dédiée aux professionnels de santé de la petite enfance mise en ligne au printemps, à l’occasion de la semaine européenne de la vaccination. Par ailleurs, avec l’aide de Santé publique France, de la CNAM, des ARS, nous mettrons en place un dispositif très complet, qui permettra aux soignants d’obtenir de la documentation.
« Si je vois que la vaccination grippale ne progresse pas chez les soignants (...), la question de l’obligation se reposera »
Et auprès du grand public, quelle sera votre démarche d’information, et quelle place y auront les médecins ?
Il y aura des formats variés car tous, au sein du grand public, ne sont pas sensibles à l’écrit. Nous avons ainsi demandé à des Youtubeurs de faire des vidéos ; nous avons réalisé des infographies ; et j’ai aussi fait des vidéos pour le site du ministère, où je réponds aux fausses informations. Nous multiplions les formats et les supports pour toucher tout le monde.
Mais l’information n’est jamais aussi bien comprise et entendue que quand elle est faite par les professionnels de santé et notamment par les médecins. Les Français ont confiance en leur médecin traitant et sa parole est primordiale. Les médecins sont les vecteurs de la parole rationnelle et scientifique, et les mieux à même de rassurer leur patientèle.
La vertu de l’exemple peut aussi jouer : le vaccin contre la grippe n’est pas obligatoire pour les soignants. Le deviendra-t-il ?
Il faut distinguer la vaccination infantile de celle contre la grippe. Dans la vaccination contre la grippe chez les soignants, il n’y a pas de risque mortel chez la personne qui se vaccine, le bénéfice n’est pas individuel. L’enjeu est déontologique : il s’agit de protéger sa patientèle. Si je vois que la vaccination grippale ne progresse pas chez les soignants dans les années à venir, la question de l’obligation se reposera.
[[asset:image:7365 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]« On ne va pas mettre un policier derrière chaque directrice de crèche et dans chaque mairie »
La vérification des carnets de santé pour les inscriptions des enfants en collectivité est prévue en juin, comment se passera-t-elle ?
Je fais confiance au terrain et aux acteurs. On ne va pas mettre un policier derrière chaque directrice de crèche et dans chaque mairie. Chacun connaît les risques qu’il prend. Une directrice de crèche qui accepte des enfants non vaccinés prend une responsabilité pour tous : pour l’enfant en question et pour les autres, les petits non encore vaccinés, ceux atteints de pathologie et qui ne peuvent pas être vaccinés.
Par ailleurs, nous allons fournir un document d’information aux collectivités qui sont en charge des inscriptions, pour leur permettre de lire les carnets de santé à partir du 1er juin. Il sera par exemple possible de faire une inscription temporaire de trois mois s’il manque un rappel, le temps que les parents se mettent à jour. Il ne s’agit pas d’une démarche coercitive, mais de rendre la confiance dans les vaccins.
Un jugement vient de décider l’indemnisation d’une secrétaire médicale ayant présenté des symptômes suite à une vaccination obligatoire contre l’hépatite B : ne craignez-vous pas que la cohérence de la politique vaccinale soit mise à mal par ce type de décision ?
La décision de justice ne fait pas le lien entre vaccin et troubles physiques. Le problème est que la myofasciite à macrophages (dont se plaint la patiente indemnisée, N.D.L.R.) est une maladie qui n’existe pas pour l’OMS, elle n’existe qu’en France, pour une seule équipe. Ce jugement est une façon de régler un problème mais il ne s’agit pas d’un argument scientifique certifiant un lien causal.
« À l'hôpital, chacun cherche à faire le plus d'activité, plus ou moins utile pour le malade, pour combler ses déficits »
À l'hôpital, comment comptez-vous sortir de la tarification à l’activité (T2A) et basculer vers d’autres modes de rémunération au forfait, à l’épisode et au parcours ?
Nous sommes arrivés au bout d’un système. Au départ vertueuse, la tarification à l’activité a abouti à des effets pervers. Le secteur public hospitalier doit aujourd'hui être rentable. Il se retrouve en compétition avec le privé. Chacun cherche à faire le plus d'activité – plus ou moins utile pour le malade – pour combler ses déficits. Les établissements se battent pour des parts de marché ! Entendre ce genre de propos dans les couloirs de l’hôpital a été pour moi un déclic.
Plutôt que basculer totalement d’une tarification à l’autre, je propose de diversifier les modèles pour favoriser le bien faire, la qualité et la pertinence tout en conservant pour moitié la T2A. La rémunération au forfait ou au parcours de soins ont l'avantage de favoriser la coopération entre la ville et l'hôpital. Aujourd'hui, rien ne le permet. Nous allons donc travailler en 2018 à l'évolution des tarifs petit bout par petit bout. Rien ne pourra se faire sans la communauté médicale. Il ne s’agit en rien d’une décision administrative.
Il faudra, pour chaque pathologie ou parcours pensés, déterminer des indicateurs de qualité sur chaque nouvelle rémunération afin d'éviter par exemple une sélection à l’entrée des malades ou une dérive pour en faire le moins possible. Tout cela nécessitera énormément de concertation.
Vous souhaitez « restructurer » l’hôpital, ce qui signifie fermer des services et des lits. Comment ?
Le secteur est soumis à deux contraintes parfois contradictoires : la nécessité de conserver des soins de proximité et celle d’apporter à tous les patients des soins de qualité. La gradation des soins répond à cette équation. C'est ainsi qu'ont été pensées les maternités de niveau 1, 2 et 3. Au même titre que les plus petites structures qui enregistrent moins de 300 accouchements par an sont transformées en service de périnatalogie pour des questions de dangerosité pour les parturientes, le geste médical à compétence particulière devra se faire dans un hôpital plus éloigné mais au service médical rendu plus sûr.
Les critères d'évaluation de la qualité des pratiques vont différer d'une activité à l'autre. Regardons l'existant : la chirurgie du sein repose sur le seuil d’activité chirurgicale de l'établissement. Or, pour le cancer ovarien, le seuil de qualité est défini par l'activité du chirurgien lui-même. Sur le cancer de l’œsophage qui nécessite une « réa » de haut niveau, c’est la qualité du plateau technique qui prime. Toutes nos décisions reposeront sur la littérature. Il n’y aura pas de règles uniques.
[[asset:image:7366 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]« Je trouve plus vertueux qu'une équipe qui a harcelé un collègue perde le poste »
L’actualité du CHU de Grenoble a remis en lumière le problème du harcèlement et de la maltraitance à l’hôpital. Que faire ?
J’ai dit devant les députés que je souhaitais qu’un médecin hospitalier victime de harcèlement au sein d'une équipe médicale puisse partir avec son poste. Je maintiens ce propos. Aujourd'hui, un praticien harcelé doit trouver un autre poste, un autre point de chute. C'est pour le moins compliqué après une période de harcèlement, car les victimes sont assez détruites. Maintenir ce système revient à délivrer un bonus au harceleur, qui se débrouille parfois pour faire partir une personne afin de placer quelqu’un. C'est anormal ! Je trouve donc plus vertueux qu'une équipe qui a harcelé un collègue perde le poste.
Le CHU de Grenoble aura donc un PU-PH en moins. Cette décision sera mise en œuvre conjointement avec le ministère de l’Enseignement supérieur. D’ici là, nous pouvons agir au cas par cas. Globalement, cette mesure devrait obliger les directions, les doyens et les services à être un peu plus attentifs au management humain.
« Désormais, la permanence des soins est l’un des problèmes à l'accès aux soins »
Pour faciliter l’accès aux soins dans les territoires, vous avez décidé de confier aux acteurs de terrain, notamment libéraux, une autonomie accrue pour construire leurs propres solutions. Les choses vont-elles assez vite localement ?
Je ressens une urgence territoriale. C’est encore plus vrai le soir et la nuit, et c'est l'une des raisons de l'engorgement des urgences. Tant qu'il y avait pléthore de médecins libéraux et que le service médical était au diapason des besoins de la population, on laissait chacun disposer de son emploi du temps. Désormais, la permanence des soins est l’un des problèmes à l'accès aux soins.
Les médecins libéraux doivent s'organiser rapidement et s'auto-interroger sur la réponse collective apportée aux patients au niveau de chaque territoire. Je ne suis pas sûre qu'ils aient tous bien conscience de la réalité de l'urgence à agir. Je préfère en tout cas miser sur la responsabilité collective de la profession plutôt que sur des mesures coercitives, même si je ressens une véritable pression à l'Assemblée nationale. 100 % des groupes parlementaires sont favorables à la coercition ! Je tiens encore bon. La Cour des comptes a proposé de rémunérer les médecins selon leur implication dans la PDS… Je préfère commencer par leur faire confiance.
Cette politique ira de pair avec la réorganisation de certains services d'urgences, notamment dans les hôpitaux locaux obligés de tourner avec des médecins intérimaires la nuit pour rester ouverts, ce qui pose parfois la question de la qualité du service rendu. Nous pourrons être amenés à fermer certains services d'urgences de proximité la nuit. Nous y travaillons avec les urgentistes.
L’assurance-maladie et les médecins libéraux vont entamer des négociations sur la télémédecine. Qu’en attendez-vous ?
La télémédecine existe de façon anarchique et sans être rémunérée. Or, elle peut rendre d'immenses services dans certaines spécialités, notamment en dermatologie ou en ophtalmologie. Elle peut éviter des contraintes de transports ou des retards de diagnostic. La CNAM doit désormais identifier un tarif.
Cela dit, la télémédecine ne répondra pas à tous les problèmes médicaux. Il faudra toujours une main à poser sur le ventre en cas de douleur abdominale aiguë. J'ai demandé à la Haute Autorité de santé (HAS) d'établir un cadre pour éviter les pertes de chance. Nous nous donnons six mois pour aboutir. Les médecins sont la première brique. L'idée est d'ouvrir d'autres salves de négociation avec d’autres professionnels de santé comme les infirmières, appelées à utiliser la télémédecine en EHPAD la nuit, les sages-femmes, etc.
Vous avez supprimé le tiers payant généralisé obligatoire au 30 novembre sans renoncer à l’objectif de généralisation. Quelles sont les prochaines étapes ?
Un rapport est attendu sur la faisabilité technique du tiers payant le 31 mars. Il identifiera les nouveaux publics prioritaires. Des Français continuent à renoncer aux soins, ne bénéficient pas de la CMU ou de l'aide à la complémentaire santé (ACS). Je pense aux jeunes, aux étudiants. Je rappelle enfin que le taux de non-recours à l'ACS est de 60 %. Tout cela doit changer.
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