La fraude scientifique est une réalité en France, mais elle est difficile à quantifier et les moyens de lutte déployés contre elle depuis la signature de la charte nationale d'intégrité scientifique adoptée en janvier 2015 par 8 grands organismes de recherche français, 6 grands établissements de recherche et la conférence des présidents d'universités.
Telles sont les constatations du rapport remis mercredi matin par le Pr Pierre Corvol, du Collège de France, au secrétaire d'État chargé de l'enseignement et de la recherche Thierry Mandon. Nommé « Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique », ce rapport contient 16 propositions, dont la plus saillante est la création d'un office français de l'intégrité scientifique (OFIS) dont Thierry Mandon a confirmé la création d'ici la fin de l'année 2016.
Des présidents d'universités pas au rendez-vous
« Je ne veux pas d'une énième nouvelle agence, a confié le secrétaire d'État, il s'agira d'une structure légère, composée des acteurs de la recherche dont le rôle sera de faire diffuser l'intégrité scientifique dans leurs organismes respectifs. » Selon le constat dressé par le rapport du Pr Corvol, la « diffusion » a encore du chemin à faire.
Si l'intégrité scientifique (les règles qui gouvernent la pratique de la recherche, à distinguer de l'éthique qui aborde les questions plus vastes et philosophiques de l'impact sociétal de la recherche) semble être un sujet important pour des organismes comme l'INSERM, le CIRAD ou L'INRA qui ont tous répondu à son questionnaire, cela semble être un peu moins le cas des professeurs d'université. Seulement 27 d'entre eux ont répondu sur les 72 sollicités, malgré la collaboration de Jean-Loup Salzmann, le président de la conférence des présidents d'université. « C'est très faible, reconnaît le Pr Corvol, il y a un travail à faire. »
Deuxième point important : en un an, de nombreux dispositifs ont été montés, mais « de façon très hétérogène, explique le Pr Corvol. Certains ont mis en place des comités, d'autres ont signé des chartes d'intégrité scientifique, d'autres encore ont nommé un délégué à l'intégrité. Il y a cependant une volonté de mutualisation des moyens, notamment en ce qui concerne la conception des outils comme un MOOC sur l'intégrité scientifique en cours de constitution à Bordeaux. »
Parmi les propositions du Pr Corvol figure la mise en place d'une nomenclature de référence des inconduites ainsi qu'un vade-mecum juridique national retraçant précisément les typologies de sanctions en cas de manquement à l'intégrité scientifique, leurs modalités de traitement administratif et juridique, les textes et la jurisprudence applicables en la matière. C'est là une des tâches auquel devra atteler l'OFIS, avec la publication de ses premiers travaux également avant la fin de l'année.
70 grosses fraudes en 5 ans, mais combien de petites ?
L'ampleur de la fraude est méconnue en France. En 5 ans, 46 cas de plagiats ont été rapportés par l'ensemble des universités françaises, de même que 2 fabrications de résultats et 22 falsifications.
« Cela peut paraître peu, mais ce chiffre est à prendre avec précaution, commente le Pr Corvol. Il ne prend pas en compte l'immense majorité des fraudes moins spectaculaires : les petits embellissements de résultats qui sont un problème très sérieux qui discrédite la recherche. » La recherche biomédicale est la plus touchée par ces « petits arrangements », et cela « d'autant plus que la reproductibilité y est bien moindre », précise le Pr Corvol. La quantification et la qualification de ces fraudes, grandes ou petites, via un observatoire dédié, figure également sur la to do list de l'OFIS.
De l'amont vers l'aval
« On peut agir en amont et en aval pour inciter les chercheurs à respecter les règles de l'intégrité scientifique, poursuit le Pr Corvol. L'ANR, à l'instar des agences européennes de recherche à une politique d'éthique et d'intégrité scientifique de l'institution bénéficiaire. Les financeurs privés comme les laboratoires ainsi que les fondations devraient pouvoir en faire de même. En aval, c'est le haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) qui pourrait examiner spécifiquement les modalités de la mise en œuvre de la charte de déontologie. »
Le Pr Corvol plaide aussi pour que l'on oblige les laboratoires à rendre accessible toutes les données des essais cliniques, positives ou négatives, publiées ou non. Le rapport préconise également l'introduction de l'éthique et de l'intégrité scientifique dans les programmes des écoles doctorales (propositions 4 et 5). Ces recommandations ont été satisfaites par l’arrêté du 15 mai 2016 qui précise que les écoles doctorales doivent « veiller à ce que chaque doctorant reçoive une formation à l'éthique de la recherche et à l'intégrité scientifique ».
Le Pr Corvol reconnaît que certaines questions ne sont pas tranchées par son rapport lancé en janvier dernier, et notamment celle de la publicité autour des fraudes. « Certaines universités préfèrent gérer ça en interne, je pense personnellement qu'il vaut mieux être le plus transparent possible, mais c'est un débat difficile à trancher », conclut-il.
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