Hématologie

Hémophilie A et B : le fitusiran, une petite molécule innovante en injections mensuelles

Par
Publié le 28/04/2023
Article réservé aux abonnés
Le fitusiran, un petit ARN interférent ciblant l'antithrombine, apporte des preuves de son efficacité et de sa tolérance dans l'hémophilie A et B, avec ou sans inhibiteurs. Les résultats sont publiés dans deux revues du groupe « Lancet ».
En l'absence d’inhibiteur, la prophylaxie repose sur l'administration de facteurs anti-hémophiliques

En l'absence d’inhibiteur, la prophylaxie repose sur l'administration de facteurs anti-hémophiliques
Crédit photo : Phanie

Le fitusiran développé par Sanofi se révèle très prometteur à plus d'un titre dans l'hémophilie sévère. Deux essais de phase 3 dans le cadre du projet Atlas montrent que ce petit ARN interférent est efficace en injections mensuelles sous-cutanées pour la prophylaxie de l'hémophilie sévère A et B avec ou sans inhibiteurs. Les résultats sont publiés dans « The Lancet » pour l'hémophilie A et B avec inhibiteurs (1) et dans « The Lancet Haematology » pour l'hémophilie A et B sans inhibiteurs (2).

C'est le premier traitement prophylactique efficace à la fois dans l'hémophilie A et B, à la fois des patients avec ou sans inhibiteurs, et ce en injections mensuelles sous-cutanées participant à l'amélioration de la qualité de vie avec administration à domicile. C'est également la première fois qu'un petit ARN interférent (siRNA) est développé dans l'hémophilie. Ce type de thérapie est conçu pour interférer avec la production de protéines spécifiques. Le fitusiran cible l'antithrombine afin d'améliorer la capacité à coaguler.

Des besoins non couverts dans l'hémophilie B avec inhibiteurs

Le traitement prophylactique repose actuellement dans les recommandations françaises sur l'administration de facteurs anti-hémophiliques en l'absence d’inhibiteur. Chez les patients avec inhibiteurs, l'utilisation des agents by-passant (Feiba et NovoSeven) est possible, mais limitée du fait de leur demi-vie courte, de leur coût élevé et d'événements indésirables (thromboses vasculaires et micro-angiopathies thrombotiques avec Feiba). L'anticorps monoclonal emicizumab (Hemlibra, laboratoire Roche) mis sur le marché en 2018 a transformé la prophylaxie dans l'hémophilie A avec inhibiteurs, surtout en pédiatrie. « En 2019, il constitue probablement le traitement de première intention dans cette indication », indique la Haute Autorité de santé.

Récemment, dans « The New England Journal of Medicine », un autre candidat, l'efanesoctocog alfa du laboratoire Sanofi, a montré des résultats très prometteurs en injections hebdomadaires pour la prophylaxie de l'hémophilie A sans inhibiteur (3).

Dans l'étude du « Lancet », 25 des 38 patients avec inhibiteurs (66 %) qui ont reçu une injection mensuelle de fitusiran n'ont présenté aucun saignement à neuf mois, par rapport à un sur 19 (5 %) dans le groupe comparateur recevant des agents by-passant à la demande. Il s'agissait d'hommes âgés en médiane de 27 ans et d'au moins 12 ans.

Dans l'étude du « Lancet Haematology », 40 des 79 patients sans inhibiteur (51 %) traités par injections mensuelles n'ont eu aucun saignement, par rapport à deux sur 40 dans le groupe comparateur (5 %).

Une balance bénéfices/risques à évaluer

Pour le Pr Guy Young de l'hôpital pour enfants de Los Angeles et auteur principal de l'étude du « Lancet », « ce pourrait être le premier traitement prophylactique (...) qui fonctionne à la fois pour l'hémophilie A et B avec inhibiteurs. Les options thérapeutiques dans l'hémophilie B sont actuellement limitées aux traitements à la demande. »

Parmi les participants avec inhibiteurs traités par fitusiran, 13 participants (32 %) ont eu une augmentation des ALAT ; dans l'essai chez ceux sans inhibiteur, c'était le cas pour 28 des 80 patients (23 %). Une thrombose a été rapportée chez deux participants avec inhibiteurs.

« L'effet indésirable le plus fréquent était l'augmentation des ALAT, qui est observée avec beaucoup de médicaments et indique une inflammation, explique le Pr Young. De façon importante, la plupart de ces élévations sont temporaires et n'ont pas conduit à l'arrêt du fitusiran. Dans ce contexte, cela suggère que le fitusiran n'entraîne pas de lésion hépatique à long terme, mais cet événement indésirable doit continuer à être évalué dans cet essai et dans d'autres sur le fitusiran. Les régulateurs auront besoin d'évaluer les bénéfices et les risques du médicament pour décider de l'approbation et des patients pour qui le traitement est approprié. »

Dans un commentaire associé, la Pr Flora Peyvandi de l'Università degli Studi à Milan estime quant à elle que « le fitusiran pourrait être la première option prophylactique pour les patients ayant une hémophilie B et peut-être une alternative à l'emicizumab, la première approche de non-substitution approuvée et sous-cutanée dans l'hémophilie A. En raison de l'efficacité élevée dans la réduction du taux de saignement annualisé, de la facilité d'administration et la fréquence faible des injections à la fois pour l'emicizumab et le fitusiran, choisir quel médicament utiliser chez les patients ayant une hémophilie A sera un défi difficile. »

(1) G. Young et al, The Lancet, 2023. doi.org/10.1016/S0140-6736(23)00284-2
(2) A. Srivastava et al. The Lancet Haematology, 2023. doi.org/10.1016/S2352-3026(23)00037-6
(3) A. von Drygalski et al, The New Engl J of Med, 2023. DOI: 10.1056/NEJMoa2209226

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin