Contesté par les syndicats des universitaires, le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) est de retour ce 17 novembre à l’Assemblée nationale pour une lecture en séance publique où il a été adopté à 188 voix pour et 83 contre, avant un vote et une promulgation probable avant la fin de l’année 2020. Il doit également être examiné une dernière fois au Sénat ce vendredi 21 novembre.
Présenté en Conseil des ministres pendant l’été, le texte a fait l’objet d’une procédure accélérée pour un examen à l’Assemblée nationale dès septembre. Amendé par les sénateurs fin octobre, il est passé en commission mixte paritaire (CMP, composée de 7 députés et 7 sénateurs) qui a adopté une version finale du texte le 9 novembre.
La crainte d'une précarisation accrue de la recherche publique
Les syndicats, qui dénoncent un « passage en force » de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, craignent que la LPPR n’instaure une plus grande précarisation de la recherche publique. La version adoptée en CMP entérine en effet plusieurs mesures qui créent une crispation au sein de la communauté de la recherche publique.
La version finale valide ainsi la modification du cadre national de recrutement des enseignants-chercheurs par la mise à l'écart du Conseil national des universités qui délivre les qualifications nécessaires au recrutement, mais également la création des « CDI de mission » (pour recruter des chercheurs sur le temps d’un projet) et les « tenure track » (des CDD de 3 à 6 ans, avec la possibilité d’une titularisation à la fin). Le nouveau texte en limite tout de même la portée, « en ramenant à 15 % le volume de recrutement des professeurs juniors dans les universités et 20 % dans les organismes de recherche », souligne un communiqué du ministère de la recherche, jugeant la position « équilibrée ».
Une programmation sur 10 ans
Côté financement, l’augmentation de cinq milliards d'euros d'ici à 2030 du budget annuel de la recherche est maintenue, malgré les tentatives de la ramener à 7 ans, notamment pour « synchroniser la programmation avec le programme Horizon Europe », comme le préconisaient les responsables de 23 sociétés savantes académiques.
En contrepartie du maintien de la « trajectoire initiale de la programmation » sur 10 ans, le ministère promet une « meilleure visibilité des moyens supplémentaires » et une actualisation de la programmation « au plus tard tous les trois ans ». Avec une mise en place dès 2021, le ministère assure que les « laboratoires verront ainsi leurs financements de base augmenter de 10 % dès l'an prochain ».
Cette hausse budgétaire a été saluée par les Académies de Médecine et de Pharmacie, qui soulignent que cet effort financier devrait porter « la part des crédits publics consacrés à la recherche d’un peu plus de 0,7 % du PIB actuellement à environ 0,9 % du PIB en 2030, la rapprochant des taux actuels de l’Allemagne, l’Autriche ou des pays nordiques », indiquait un communiqué publié en juillet.
Les deux instances déplorent néanmoins l’absence de chiffrage des financements pour la recherche en santé. Seule indication, les financements de base des laboratoires seront accrus de 10 % d’ici 2022. Le financement sur projets via l’Agence nationale de la recherche (ANR) va également augmenter avec 7 milliards supplémentaires sur la période avec un objectif de 30 % de succès aux appels à projets (contre environ 15 % actuellement).
L’augmentation des financements des laboratoires hors projets, liée notamment à la meilleure prise en charge des frais d’environnement, est saluée par Franck Perez, directeur de recherche au CNRS : « alors que la recherche de financements est un vrai problème en ce qu’elle monopolise les directeurs de laboratoires sur des questions administratives, les financements hors projets vont, je l’espère, offrir plus de liberté et une perspective plus durable pour initier des travaux sur le long temps ».
La recherche en médecine générale « sacrifiée »
Côté recherche en santé toujours, l’article 24 du projet initial qui prévoyait la création d’un comité territorial de la recherche en santé (CTRS) destiné à chapeauter la recherche clinique, y compris en ambulatoire, est abandonné dans la nouvelle version du texte. Ainsi, « rien n’est prévu pour la recherche en médecine générale et en soins primaires, déplore le Pr Vincent Renard, président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE). Elle dépend toujours de l’objectif national des dépenses d'Assurance-maladie (ONDAM) hospitalier, avec comme conséquence structurelle des arbitrages défavorables ».
La création d’une source de financement indépendante des hôpitaux est pourtant une nécessité pour structurer cette recherche et créer une dynamique en faveur de la médecine générale. Dans un communiqué commun, le CNGE, le Collège de la médecine générale et les syndicats ISNAR-IMG et SNEMG estiment que la recherche en médecine générale « sacrifiée », réduite à une « déclinaison de la recherche hospitalière », alors qu’elle ne « porte pas sur les mêmes problèmes de santé, n’utilise pas les mêmes démarches ni les mêmes leviers et ne mobilise pas les mêmes acteurs ».
Un manque pourtant révélé par la crise sanitaire
Cet oubli de la recherche en médecine générale a par ailleurs un retentissement sur l’attractivité de la discipline, en butte à des problématiques de déficit d’effectifs. « Les chefs de clinique ont un rôle de locomotive et de leaders d’opinion auprès des jeunes, rappelle le Pr Renard. En favorisant la recherche, on participe à une dynamique en faveur d’une identification à la discipline ».
La crise sanitaire a par ailleurs mis en lumière la pertinence d’un réseau structuré d’investigateurs en médecine générale formés aux bonnes pratiques, capable de faire remonter des données en temps réel. Mais, « faute de décisions, de financements et de structuration, le réseau d’investigateurs constitué par les universitaires de MG ne pouvait pas fonctionner, regrette le Pr Renard. Nous aurions pu mettre en place des essais sur les thérapeutiques par exemple et avoir des réponses rapides sans dépendre des résultats des essais internationaux. Au lieu de ça, le paysage français a été complètement embolisé par des polémiques stériles ». Selon lui, les montants nécessaires pour amorcer une telle structuration ne représenteraient pourtant qu’une infime partie des financements de la recherche clinique.
Mis à jour le 18/11/2020
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