« EN L’ÉTAT ACTUEL du projet, le plan national 2010-2014 ne définit pas une politique publique efficace face aux défis actuels de la lutte contre le VIH et les IST. » Sollicité par la DGS (direction générale de la Santé), l’avis des deux CNS, voté à l’unanimité, est sévère : le document stratégique qui leur a été soumis le 14 mai dernier est bien en deçà des attentes des acteurs de lutte contre le sida, experts et associatifs. Faute d’avoir reçu l’intégralité du plan, qui devait leur être adressé le 15 juin dernier, les deux instances se sont prononcées sur ce seul document, dont l’examen a « suscité suffisamment d’appréciations convergentes relatives aux grandes orientations du plan pour qu’il apparaisse pertinent (...) de rendre un avis conjoint ».
« Incompréhensible ».
La première des critiques formulées par les CNS concerne la prévention et le dépistage. Au lieu du changement espéré, « les interventions attendues, très en retrait des recommandations de la HAS sur des points essentiels, apparaissent avant tout dans la continuité de la politique et du dispositif actuels et ne sont pas de nature à mettre en œuvre le véritable changement de paradigme et d’échelle attendu ». En particulier, la mesure qui constituait le pilier essentiel des recommandations, à savoir proposer le test de dépistage à l’ensemble de la population âgée de 15 à 70 ans en dehors de toute notion d’exposition à risque de contamination ou de caractéristique particulière, n’a pas été reprise.
L’abandon de cette proposition, qui devait reposer sur une large mobilisation des acteurs de santé, en particulier des médecins généralistes, est « incompréhensible », soulignent les CNS, ce d’autant que son caractère coût/efficace avait été clairement établi par la Haute Autorité de santé (HAS). « Le document stratégique n’apporte aucun élément explicatif sur les raisons de ce renoncement qui marque le refus des pouvoirs publics de s’engager dans la stratégie volontariste d’élargissement et de banalisation de l’offre de dépistage que préconise depuis plusieurs années l’ensemble des instances expertes », ajoutent-ils.
En matière d’offre ciblée, le document ne reprend les recommandations de la HAS que « partiellement et a minima », estiment également les CNS. Certes, le principe d’une offre de dépistage à un rythme annuel est retenu pour les homosexuels et les personnes originaires d’Afrique subsaharienne et des Caraïbes ayant eu plus d’un partenaire sexuel au cours de l’année écoulée, ainsi que pour les usagers de drogues injectables. Le document prévoit aussi une proposition de dépistage à l’ensemble de la population en Guyane, département le plus touché. Mais quid des hétérosexuels ayant eu plus d’un partenaire sexuel au cours des 12 derniers mois, des populations des autres départements français d’Amérique, des prostitués, des personnes dont les partenaires sexuels sont infectés par le VIH, interrogent les CNS ?
Un dépistage régulier avait été pourtant préconisé par la HAS. La proposition de test lors de circonstances particulières semble également avoir été oubliée : interruption volontaire de grossesse, en cours d’incarcération, en cas de suspicion ou de diagnostic d’IST, d’hépatite B ou C, de tuberculose.
Quant au discours de prévention, le projet souhaite simplement de le « clarifier ». Pour les auteurs de l’avis, on est, là aussi, bien loin du compte. « Le document élude l’enjeu d’une véritable refonte du discours de prévention, qui poserait l’objectif d’articuler fortement entre eux ces nouvelles approches et les différents outils disponibles, dont bien évidemment le préservatif. Une place insuffisante est accordée à la question de la connaissance du statut sérologique et à son inscription dans une perspective plus globale de santé sexuelle et de construction, par chacun, de stratégies de prévention adaptées à sa situation, ses contraintes, ses besoins », regrettent-ils.
Interprétation abusive.
Plus généralement, l’impression prévaut « que l’on se satisfait d’une baisse très relative, limitée à certains groupes de population, du nombre de nouvelles contaminations en France », observent-ils. Les CNS dénoncent une « interprétation abusive des données disponibles », qui conduit les autorités à se fonder sur une « incidence à la baisse depuis 10 ans ». La relative stabilité du nombre total de nouvelles contaminations « ne permet en aucun cas de conclure à une stabilisation de l’épidémie en France », affirment-ils. Le simple maintien d’un niveau important de transmission de l’infection, associé à l’allongement de l’espérance de vie dû à l’efficacité des traitements, entraîne une augmentation de la prévalence du VIH dans la population. Si l’incidence apparaît stable ou légèrement en diminution depuis cinq ans avec 7 000 à 8 000 nouvelles contaminations par an, un fait saillant ne doit pas être négligé, « le caractère concentré de l’épidémie », rappellent les CNS. La prévalence et l’incidence restent « extrêmement élevées » dans certaines populations : les homosexuels qui concentrent 40 à 50 % des nouvelles contaminations enregistrent un taux de prévalence de 1 % par an et de 17 % chez ceux fréquentant les établissements de convivialité gays parisiens. Des taux d’incidence sont également élevés chez les migrants d’origine subsaharienne, les usagers de drogues injectables alors que, en raison de disparités régionales très marquées, certains départements comme la Guyane sont particulièrement touchées.
Plus inquiétant, le nombre de personnes infectées qui ignorent leur statut sérologique, évalué aux alentours de 50 000 soit entre 30 et 40 % de l’ensemble des personnes infectées, tend à augmenter régulièrement. Cette situation se traduit par un retard délétère au diagnostic et à la prise en charge médicale. Les recommandations actuelles indiquent qu’un traitement doit être instauré chez tout patient dont le taux de CD4 est inférieur à 350 CD4/mm3. En 2008, « 50 % des personnes dépistées avaient un taux de CD4 inférieur à ce seuil », soulignent les auteurs de l’avis. Cette proportion devrait encore augmenter du fait de l’évolution prochaine des recommandations vers un début de traitement encore plus précoce. Si, au plan individuel, un dépistage et un accès au traitement tardifs entraînent une perte de chances thérapeutiques considérable pour les personnes infectées avec une morbidité et une mortalité accrues, au plan collectif, ils contribuent au maintien de l’épidémie. « La puissance des traitements actuels et futurs, par leur impact sur la transmission secondaire, peut permettre de réduire l’incidence dans des proportions suffisantes pour obtenir à terme une réduction de la prévalence », réaffirme l’avis. L’objectif doit être d’augmenter suffisamment la proportion de personnes diagnostiquées et traitées au sein de la population des personnes infectées et l’amélioration des performances du système de dépistage doit être une priorité. Les messages de prévention doivent être redéfinis dans ce sens.
Alors que le contexte épidémique et thérapeutique s’est profondément transformé, il semble que la France tarde à adapter son dispositif. Les CNS craignent que « l’immobilisme » que dénonçait la Cour des comptes en 2009, ne perdure en dépit de plusieurs expertises convergentes (ANAES 2000, CNS 2006 et 2009, Rapport national du groupe d’experts 2008, HAS 2009) et des recommandations des différentes institutions internationales. Les CNS formulent leurs propres recommandations, en particulier, ils demandent que l’ensemble des recommandations de la HAS soient reprises sans restriction. L’avis dénonce également les contradictions persistantes entre les politiques de santé et les autres politiques publiques, en particulier de santé et d’immigration. De même, il déplore, sur le plan international, l’effondrement du leadership de la France depuis la fin des années 2000, appelant à « un sursaut ». Le Pr Willy Rozenbaum, président du Conseil du sida en appelle à la « responsabilité politique ».
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