Controverses scientifiques médiatisées autour de l’hydroxychloroquine, appui du discours et des décisions politiques sur les scientifiques, expertise collégiale inaudible : la crise sanitaire a interrogé à plusieurs égards la place des médecins et des scientifiques dans l’espace public.
« Cette pandémie en faisant surgir un ennemi commun, microbien de surcroît, aurait peut-être pu permettre à notre pays de faire bloc et de se convaincre de la valeur d’au moins une partie de ses élites. Or, c’est l’inverse qui s’est produit », constatait Yves Sciama, président de l’Association des journalistes scientifiques, le 23 septembre, devant les sénateurs de la commission d’enquête sur la gestion de la crise.
Faire entendre une voix mesurée
Alors que les médecins et les scientifiques bénéficient de la confiance de la population, l’irruption sur les plateaux de télévision de controverses scientifiques a été « catastrophique », juge le Pr Yves Buisson, président de la cellule Covid-19 de l’Académie nationale de médecine. « Nous avons tous été plongés dans un débat qui a duré des mois et qui a discrédité les médecins et la recherche », regrette-t-il.
Dans un univers médiatique modelé par de nouveaux usages (réseaux sociaux et chaînes d’informations en continu), il devient difficile pour les scientifiques de faire entendre une voix mesurée, souligne le sociologue Olivier Borraz : « On ne parvient pas à avoir un débat entre experts sur les mesures à prendre pour lutter contre l’épidémie par exemple. On peut avoir des avis différents et argumentés, mais il est très difficile de les faire valoir dans un espace public polarisé et très clivé. Le contexte ne permet pas une critique constructive ».
Dénonçant les « controverses multiples » alimentées par des « messages sans argumentation scientifique approfondie », la « cacophonie d’experts autoproclamés » ou encore les « querelles qui ont alimenté bien des peurs inutiles », les sociétés savantes de pédiatrie invitaient ainsi, dans une tribune publiée dans « Ouest France » le 13 octobre, à « mieux réfléchir à la place que devrait tenir dans le débat public le travail scientifique basé sur les preuves et mené par des experts reconnus dans le domaine concerné ».
Maintenir la confiance dans les scientifiques
Parmi les pistes pour repenser la place du travail scientifique dans l’espace public et médiatique, la création d’une « maison de la science et des médias » pour lutter contre les fake news est en discussion dans le cadre du projet de loi de programmation de la recherche.
Inspirée de l'initiative britannique du « Science Media Centre » (SMC), cette structure aurait vocation, selon le projet de loi, à « permettre la mise en contact rapide entre journalistes et chercheurs, favoriser l’accès des citoyens à une information scientifique fiable et accroître l’apport d’éclairages scientifiques dans les débats publics sur les grands sujets actuels ».
Lancée en 2002 outre-manche, l'initiative est critiquée pour son manque d'indépendance vis-à-vis des lobbys. Selon une étude de l'université de Bath, citée par « Le Monde », un tiers du budget du SMC était abondé par des industriels entre 2011 et 2013.
En France également, le projet suscite des réticences. « Une telle institution serait perçue comme une tentative d’imposer une science officielle et aggraverait la défiance aussi bien envers les médias qu'envers les productions scientifiques », anticipait, devant les sénateurs, Yves Sciama, plaidant par ailleurs pour un retour des journalistes scientifiques dans les rédactions.
De son côté, la Dr Sylvie Briand, directrice du département préparation mondiale aux risques infectieux à l’OMS, invite scientifiques et médecins, parce qu’ils bénéficient d’un capital de confiance auprès de la population, à s’organiser sur les réseaux sociaux, où une partie de la population, notamment les plus jeunes, s’informe. « Délivrer de l’information sur ces canaux permet de combler un vide qui sera sinon rempli par autre chose, et notamment de la mésinformation », estime-t-elle.
Une autre piste émerge du côté de l’édition scientifique. « The Lancet », qui a dû rétracter une étude en juin, a annoncé, dans un texte mis en ligne le 17 septembre, une révision de ses procédures de publication pour « réduire encore davantage les risques d’inconduite en matière de recherche et de publication ».
À côté d’un examen renforcé des données, la revue encourage le recours à la prépublication, dans l’optique de favoriser l’examen critique des articles par les pairs. « Dans le domaine de la physique, les articles sont disponibles sur des sites de prépublication avant d’être soumis à des revues. Cela permet des discussions de bon niveau entre pairs et des publications moins contestées », observe le Pr Vincent Maréchal, virologue à Sorbonne Université.
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