LE QUOTIDIEN : Que pensez-vous du décret sur l'infirmier en pratique avancée ?
PHILIPPE TISSERAND : Cette mesure cosmétique n’apporte aucune réponse aux problématiques qu'elle est censée résoudre comme la désertification médicale. La proposition du gouvernement traduit la totale méconnaissance de la réalité des pratiques des infirmiers libéraux. Les pratiques avancées telles que présentées dans le décret font déjà partie de notre quotidien. Certaines missions, comme la prévention, relèvent du rôle des infirmiers depuis longtemps ! Même constat pour les cibles de ces pratiques avancées : les personnes âgées et les patients souffrant de maladies chroniques sont déjà prises en charge par les infirmiers libéraux.
Les nouvelles prérogatives ne vous conviennent pas ?
Le projet est en décalage total avec la réalité mais aussi avec les négociations conventionnelles en cours, qui prévoient la création d’un bilan de médication, déclenché par le médecin traitant, quand il y a un doute sur l’observance thérapeutique. Ces prérogatives font partie du métier socle des infirmiers libéraux, comme l’éducation à la santé. Autre exemple dans le cas des patients diabétiques, les infirmiers réalisent les injections d’insuline, contrôlent les taux de glycémie et adaptent les doses si besoin. L’adaptation des traitements fait déjà partie de la base légale de la pratique. Avec ce décret, on réinvente l’eau chaude ! Par ailleurs, en formant une poignée de super-infirmiers, on crée un risque de captation par les infirmiers en pratiques avancées d’une partie de l’activité libérale actuelle alors qu’en parallèle, on subit une forte poussée pour le transfert des actes infirmiers vers les aides-soignants. Ces glissements sont pernicieux et suscitent l’inquiétude, d’autant qu’ils sont réalisés sans concertation.
Quelles formes de pratiques avancées pourraient vous satisfaire ?
Ce n’est pas une demande prioritaire des infirmiers libéraux ou de la FNI. L’article 51 de la loi Bachelot permet déjà la mise en place [à titre dérogatoire, NDLR] de transfert d’actes ou d’activités de soins aux infirmiers dans le cadre de protocoles de coopération. À l’hôpital, les échocardiographies infirmières ne sont pas nouvelles. Or, ce n’est pas valorisé et ça ne se traduit pas en augmentation de salaires.
Notre urgence porte plutôt sur l'évolution du métier. Il faut exploiter pleinement le rôle des infirmiers et mobiliser leurs compétences, mais aussi développer les protocoles de coopération. Il en existe déjà 56 qui impliquent des infirmiers. Il faut aller plus loin. Nous réclamons aux pouvoirs publics que les infirmiers libéraux puissent par exemple assurer seuls la surveillance et le retrait des cathéters périnerveux. Ces évolutions sont nécessaires avant d’envisager l'essor des pratiques avancées. Au Canada, pays qui a inspiré la proposition du gouvernement, le modèle a émergé en réponse à un besoin spécifique, celui de l’isolement en hiver. Or, ce modèle est grippé : peu d’infirmiers ont été formés et les médecins font machine arrière sur la prescription partagée.
Comment interprétez-vous la réticence des médecins ?
Ils redoutent le retour des officiers de santé, ce que nous comprenons. Cela fait écho aux craintes des infirmières à chaque fois que l'on évoque l'ouverture d'autorisation de la vaccination aux pharmaciens. Par ailleurs, le contexte est celui de la remise en cause du paiement à l’acte. On transforme le modèle pour le faire basculer vers un statut de personnel administré voué au salariat. C’est une remise en cause du système conventionnel. La réaction des médecins n'est donc pas étonnante.
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